Regarde, c'est mémé : ce que les nouvelles technologies ont révolutionné dans la manière dont les familles modernes gardent le contact<!-- --> | Atlantico.fr
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Les nouvelles technologies ont modifié radicalement la manière dont les gens communiquent.
Les nouvelles technologies ont modifié radicalement la manière dont les gens communiquent.
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Connecting people

Skype vient de fêter sa 100 millionième installation. Ce logiciel gratuit de visioconférence est un des symboles de la façon dont les familles utilisent les nouvelles technologies, en complément de la communication de visu.

Catherine Lejealle et Anne-Marie Laulan

Catherine Lejealle et Anne-Marie Laulan

Catherine Lejealle est docteur en sociologie et ingénieur télécom (ENST Bretagne). Elle est professeur associé à l’ESG Management School et co-fondatrice de la Chaire Digital Business. Ses domaines de recherche couvrent les usages des TIC (téléphone portable, Internet, médias sociaux…) Elle a publié La télévision mobile personnelle : usages, contenus et nomadisme  et  Les usages du jeu sur le téléphone portable : une mobilisation dynamique des formes de sociabilité  aux Editions L'Harmattan

Anne-Marie Laulan est philosophe, ancienne professeure émérite de sociologie à Université Montaigne Bordeaux 3.

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Atlantico : Mails, SMS, téléphone, visioconférence… Les familles modernes ont à disposition de plus en plus de moyens de communication. Skype, un logiciel qui permet de communiquer par webcam, vient d’annoncer sa 100 millionième installation. Comment les modes de communication virtuels se sont-ils installés au sein des familles ? Quelle place prennent-ils désormais ? Quels services lui ont-ils rendu ?

Catherine Lejealle : En une décennie, de nouveaux moyens de communication se sont développés au domicile pour faciliter la communication : email, SMS, appels téléphoniques, visio, Skype… Chez les jeunes par exemple, beaucoup utilisent Facebook et les messages téléphoniques dès qu’ils se lèvent.  La place de ces nouvelles technologies de communications est naturelle et complètement imperceptible.Elles ne sont plus décrites comme étant une perturbation. Quand le mobile est arrivé, il a été décrit telle une perturbation dans le sens où on voyait bien qu’il y avait un changement.

Aujourd’hui, les nouvelles formes de communication, de plus en plus simples à utiliser, sont tellement ancrées qu’on ne les considère plus comme une intrusion. On parle de présence connectée pour qualifier ce lien interpersonnel continu. On commente sa journée, on partage en direct son ressenti et son expérience.  Leur essor s’est accompagné d’une part d’une amélioration de la qualité des réseaux permettant des usages simultanés au sein des foyers ; d’autre part d’une baisse des coûts d’accès. Les forfaits illimités sont la règle dans le fixe comme le mobile.

Anne-Marie Laulan : Il y a une dizaine d'années déjà que le téléphone s'est démocratisé au sein des familles. L'un des premiers usages de nouvelles communications est de garder le contact quand on est séparés des siens. Je suis allée aux Açores il y a une quinzaine d'années, et j'ai remarqué qu'il y avait une radio spéciale pour les marins qui voulaient contacter leur famille. Ce lien a toujours été capital. Egalement, il y a un lien utilitaire en dépit de la distance : un mari peut très bien envoyer un SMS à sa femme pour lui demander s'il faut prendre du sel ou du tapioca alors qu'il fait les courses.  C'est comme cela que tout a commencé dans les familles. Néanmoins, il faut noter que cette fonction de lien n'est pas apparue avec les nouvelles technologies, elle est beaucoup plus ancienne.

Comment les nouvelles formes de communication transforment-elles, en bien et mal, les rapports humains et familiaux ? 

Catherine Lejealle: Je ne pense pas qu’elles transforment les rapports humains en mal. Au contraire, elles les enrichissent, elles offrent une ouverture. Il y a une immense nostalgie du passé comme si le mobile et Internet avaient tué la communication, la vraie relation en présence. Il y a comme un espèce de vide d’un âge d’or, comme si avant on conversait et qu’on avait de vraies relations et qu’il n’y en a plus. Non, les nouvelles technologies ont densifié la communication et les liens avec les gens. Elles ont même permis de créer des liens avec des inconnus : c’est le cas par exemple des sites de covoiturage, le site de rencontres amicales www.onvasortir.com, etc.

Anne-Marie Laulan : Il y a toujours eu une inquiétude devant chaque nouvelle technologie. Cette peur des technologies est quelque chose de permanent, quelque soit la technologie : je pense notamment au disque et au téléphone portable par exemple. Elle est considérée comme une menace d'un certain ordre établi. Pour les premiers téléphones, les pères de famille ne concevaient pas le fait que quelqu'un puisse parler à leur fille par exemple, sans qu'ils puissent intervenir. Il y a toujours une volonté de contrôle dans la circulation de l'information. L'affaire WikiLeaks et l'affaire Snowden entre tout à fait dans cette problématique du contrôle de l'information. Il y a une crainte que l'information nous échappe et qu'elle se retourne contre nous.

Un porte-parole de l’entreprise Toshiba s’est inquiété de voir certains parents communiquer avec leurs enfants via un écran ou par téléphone alors qu’ils sont dans le même bâtiment ou dans une pièce à côté. Quelles sont les faces sombres de cette sur-communication virtuelle ?

Catherine Lejealle : Cette personne n’est pas réellement venue dans les foyers pour voir ce qui se passe dans les familles. La communication n’a en aucun cas été tuée, au contraire, on peut parler de présence continue. Certains disent que "les gens ne communiquent plus dans les transports, qu’ils sont tous rivés sur leur portable", mais avant on ne parlait pas plus ! On s’imagine un âge d’or qui n’a jamais existé. Même à l’époque des histoires de Marcel Pagnol, les gens ne se parlaient pas.

Dans la plupart des situations, les nouvelles communications ajoutent des occasions de communiquer dans des situations où la communication en coprésence n’est pas possible. Ils ne suppriment pas de occasions de se voir mais ajoutent des modalités d’entretien du lien. Envoyer un SMS de réconfort y participe.  

Anne-Marie Laulan : Il est vrai que le téléphone portable, les SMS et Skype sont de plus en plus utilisés, par les sociétés occidentales notamment. J'aimerais prendre l'exemple des réseaux sociaux : on peut désormais avoir 3000 amis dans le monde entier. Mais quand on observe concrètement les usages des utilisateurs, on s'aperçoit que les échanges dépassent rarement les départements et encore plus rarement la région. Virtuellement, on est en contact avec le monde entier. Les utilisateurs qui ont des relations suivies les ont avec des contacts à proximité de leur localisation. La virtualité internationale n'entraîne pas une consommation internationale. 

Vers quoi ce phénomène est-il enclin ? Dans un futur proche, la communication ne passera-t-elle plus que via des écrans de téléphones ou d’ordinateur ? Quel en est le risque ?

Catherine Lejealle : L’être humain est d’abord un animal social. Il a besoin de voir les gens, de manger et boire un verre, de faire de choses avec eux. En sociologie, pour  tisser le lien, il y a le « faire ensemble » et le « dire ensemble ». Les deux sont complémentaires. Contrairement à ce qu’on pensait, l’avènement du village planétaire n’a pas vu le jour. On n’entre pas en communication avec des inconnus à l’autre bout du monde.  Les communications entre liens forts se sont encore intensifiés sans nécessairement développer les liens faibles.

Anne-Marie Laulan : D'après l'expérience que l'on a des nouveaux moyens de communications, on a remarqué que les nouvelles technologies ne se substituaient pas à la communication réelle, mais n'était en fait qu'un complément. Souvent, les coups de téléphone sont faits pour préparer une rencontre. Je pense que dans le futur, nous ne communiqueront pas par écran mais surtout à l'oral. Nous, chercheurs, nous prévoyons un retour à l'oralité. 

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