Comment faire en sorte que vos excuses soient le plus efficaces possible<!-- --> | Atlantico.fr
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Si le tort est public, l’excuse doit souvent l’être également.
Si le tort est public, l’excuse doit souvent l’être également.
©Flickr

Désolé pour hier soir

"Je suis désolé(e) !" Une phrase que l'on prononce tous. Mais pour que nos excuses soient efficaces, il faut savoir les adresser correctement. Petit guide pour apprendre à s'excuser.

Laurent Bègue

Laurent Bègue

Laurent Bègue est professeur de psychologie sociale à l'université Pierre Mendès-France de Grenoble, et directeur de la Maison des Sciences de l'Homme Alpes. Spécialiste des motivations individuelles et régulations sociales dans le jugement et les conduites sociales, il s'est beaucoup penché surles phénomènes d'agression, du jugement moral, et de la psychologie sociale de la délinquance.

Il est notamment l'auteur de Psychologie du bien et du mal (Odile jacob, 2011) et d'une cinquantaine d'articles scientifiques et chapitres d'ouvrages.

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Atlantico : Nous rencontrons tous des conflits, plus ou moins graves avec notre entourage : professionnel, amical, familial, etc. Pour régler ces problèmes, la solution la plus simple est de présenter des excuses. Comment adapter ses excuses en fonction de la personne à qui on souhaite les présenter ? Quelle attitude adopter ?

Laurent Begue : Présenter des excuses n’est pas si simple, car plusieurs aspects décisifs doivent être correctement intégrés dans la demande d’excuse par l’auteur d’un tort pour que le mea culpa soit vraiment efficient. Par exemple, si le tort est public, l’excuse doit souvent l’être également. S’il relève d’une incapacité à exercer un contrôle sur un événement (accident), de l’incapacité à observer une obligation liée à une fonction sociale (absence professionnelle, délais de remise d’un travail) la forme de l’excuse sera naturellement affectée. La relation entre la victime du tort et son auteur est primordiale.

Par exemple, arriver très en retard au dîner d’anniversaire d’un proche va exiger l’expression de sentiments empathiques ("Tu as dû m’attendre, cela a dû te peiner ou t’irriter") ; arriver en retard à une réunion professionnelle exigera plutôt l’expression de la claire reconnaissance de la transgression d’un code de conduite : "Je suis censé être à l’heure à ce groupe de travail et je suis en retard ". Lorsque le tort concerne une personne inconnue, la formulation d’excuse sera insuffisante en cas de dommage matériel : inutile de dire à la personne dont vous venez de tacher le manteau avec votre café que vous comprenez sa contrariété ou que vous n’avez pas assez fait attention, si vous négligez de lui proposer de prendre en charge le pressing.

On a tendance à vouloir se justifier "Je ne voulais pas... Mais j'essaie de... J'avais une bonne raison...". Est-ce une bonne solution de parler de soi lorsqu'on présente ses excuses ?

Pour l’auteur d’une transgression, l’enjeu et de parvenir à exprimer un compromis entre l’introduction d’informations permettant d’interpréter une situation dans laquelle il est mis en cause et la nécessité de prendre en compte en même temps la victime de son action inconséquente. Une excuse est une raison apportée pour se soustraire à une obligation, ou pour se disculper. En fonction de sa crédibilité, elle peut donc modifier en profondeur la perception que se fera autrui de vous et de votre tort, dans le sens d’une atténuation ou d’une aggravation de votre cas (si l’excuse traduit un refus d’endosser une responsabilité qui est la vôtre).  Ceci étant, une victime, lorsqu’elle est proche ou que le tort est important, a besoin de plus que de simples explications : elle veut sentir que l’auteur du tort est affecté par ce qu’il a fait.

Est-il préférable de présenter des excuses maladroites que de ne pas en présenter du tout ?

Un bilan de nombreuses recherches sur l’effet des excuses a été réalisé par Barry Schlenker, de l’université de Virginie. Il indique que celles-ci sont très fréquemment bénéfiques pour celui qui les formule, mais aussi pour qui le reçoit, qui comprend alors que le tort qu’il a subi est reconnu, ce qui a des conséquences psychologiques et physiologiques positives. Bien qu’elles puissent être formulées de manière inappropriée, des excuses restent souvent préférables à l’absence d’excuses. Cependant, l’excuse s’use : quelqu’un qui a l’habitude de présenter des excuses sera perçu comme irresponsable, ou va faire l’objet d’un jugement globalisant : chercher à faire excuser son absence au travail ou une irritabilité excessive par une consommation d’alcool peut fonctionner ponctuellement, mais expose au risque de se voir coller une étiquette d’alcoolique.

Pourquoi est-ce si compliqué de reconnaître ses torts, même les plus petits ? Qu'est-ce que le fait de s'excuser implique sur le plan psychologique ?

L’un des obstacles à l’excuse est notre suffisance morale, d’où découle notre facilité à nous auto-excuser et à désigner des causes extérieures pour expliquer nos échecs. Dans une recherche, des sujets travaillant par paires à une tâche donnée recevaient des feedbacks sur la performance moyenne de la dyade (les points de chaque sujet étaient supposés s’additionner à ceux de l’autre puis être divisés par deux). On leur faisait croire que par rapport aux dyades en général, leur paire avait une performance moyenne supérieure, inférieure ou égale. Sans grande surprise, il est apparu que lorsque le score était élevé, les sujets s’attribuaient la responsabilité de ce succès ; ils faisaient exactement l’inverse lorsque le score était faible. Lorsqu’il était "moyen", ils considéraient que cela résultait de leur bonne performance et du mauvais résultat de leur partenaire.

Lorsqu’un mal a été fait à quelqu’un, reconnaître ses torts passe souvent par l’expérience de la culpabilité, qui initie fréquemment des conduites réparatrices ou la présentation d’excuses. Dans une étude réalisée à Grenoble, nous avons montré que des personnes qui étaient amenées à se sentir coupables après avoir blessé quelqu’un durant une tâche de laboratoire en lui administrant des chocs sonores de 115 décibels (il s’agissait d’une mise en scène) étaient plus enclines à donner une partie de leur rémunération à une association caritative lorsqu’une sollicitation se présentait dans les minutes qui suivaient.

Dans une autre étude menée dans un musée, un expérimentateur déguisé en gardien admonestait des visiteurs qui venaient de poser leurs doigts sur des œuvres exposées, insistant sur les dégradations qu’ils pouvaient occasionner au patrimoine artistique. On guettait ensuite l’arrivée de ces mêmes visiteurs dans une pièce voisine, où un deuxième expérimentateur laissait tomber sur leur passage un sac contenant divers objets (stylos, pièces de monnaie…).Comparés à ceux qui n’avaient pas été réprimandés, ceux qui l’avaient été se montraient plus altruistes envers l’inconnu, l’aidant davantage à ramasser ses affaires. Psychologiquement, l’excuse est une forme de compensation et de reconnaissance.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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