Guerre civile ou démocratie ? Ce qui attend l’Egypte après la destitution de Morsi par les militaires<!-- --> | Atlantico.fr
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L'armée a renversé mercredi l'islamiste Mohamed Morsi, premier président civil démocratiquement élu d'Egypte.
L'armée a renversé mercredi l'islamiste Mohamed Morsi, premier président civil démocratiquement élu d'Egypte.
©Reuters

Avenir incertain

A la suite de la destitution de Mohamed Morsi par l'armée égyptienne, une élection présidentielle anticipée a été annoncée et la Constitution a été suspendue.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico.fr : Que va-t-il se passer en Egypte alors que l’armée a démis de ses fonctions cette après-midi le président Morsi ?

Alexandre del Valle : Ce coup d’état était très prévisible. L’armée égyptienne est aujourd’hui la seule force qui conserve une capacité de stabilisation de la crise politique en Egypte. L’hypothèse d’une réelle guerre civile est peu probable, même si des heurts graves sont à redouter, car seuls quelques mouvements djihadistes très faiblement armés et des militants des structures activistes des Frères musulmans les plus radicales sont capables de passer à l’acte. Mais ils ne peuvent pas résister à l’armée égyptienne qui est très puissante et qui, contrairement à la Libye ou à la Syrie, contrôle l’ensemble du territoire et demeure populaire. Elle est légitime en ce moment car elle a su récupérer le mécontentement exprimé par des millions de manifestants anti-Morsi.

Y a-t-il un risque de guerre civile et l’armée a-t-elle évité un scénario à l’algérienne en intervenant au moment où les Frères musulmans sont discrédités ?

Je pense que le risque de guerre civile, comme en Algérie dans les années 1990, est faible, d’autant que face au coup d’Etat militaire, le président Morsi a appelé à résister par des moyens pacifiques. A la différence de l’armée algérienne, qui annula la victoire électorale du Front islamique du Salut, ce qui déclencha une terrible guerre civile de près de quinze ans, l’armée égyptienne a eu l’intelligence de laisser faire les Frères musulmans, en n’empêchant pas leur victoire. Elle a donc su intervenir au "bon" moment, c’est-à-dire une fois que les Frères et M. Morsi ont épuisé leur capital de sympathie et déçu une grande partie du peuple. J’ajoute que l’armée a dit dès le début qu’elle ne compte pas gouverner mais mettre en place un "conseil présidentiel de transition" puis organiser au plus vite des élections, ce qu’ont approuvé immédiatement non seulement des millions de manifestants anti-Morsi mais aussi les leaders de l’opposition comme Baredai ou Amr Moussa.

Qu’est-ce qui a poussé le Conseil suprême des forces armées et le général al-Sissi à intervenir ?

La raison officielle est de rétablir l’ordre, de répondre aux désirs des manifestants et d’empêcher une dérive autoritaire de Morsi.Mais la vraie raison est que l’armée est un Etat dans l’Etat, doté de fortes prérogatives politiques et économiques et que les Frères musulmans voulaient mettre au pas cette armée au nom de la démocratie. Les militaires devaient donc trouver un prétexte, et le mécontentement populaire immense manifesté ces derniers jours a été une formidable occasion pour donner à l’armée une nouvelle légitimité et pour intervenir. Rappelons qu’au départ, après le départ de Moubarak et la victoire électorale de M. Morsi, il y eut un deal entre l’armée et les Frères musulmans. Mais cet accord tacite, qui consistait à laisser l’armée assez libre et à ne pas toucher à ses prérogatives, en échange de son acceptation  d’un gouvernement issu des Frères musulmans, a été rompu par Morsi qui a voulu aller plus loin et a tenté de réduire considérablement les pouvoirs de l’armée, imitant ainsi la stratégie du Premier ministre turc Erdogan. Le coup d’état était donc la seule façon pour l’armée égyptienne de garder ses pouvoirs et ses prérogatives. D’autre part, si l’armée a ainsi opéré un coup d’état c’est que les généraux égyptiens ont eu en amont un accord tacite des Etats-Unis, car Sissi est proche des Etats-Unis, dont Égypte dépend puisqu’elle vit littéralement sous perfusions américaines, que ce soit en ce qui concerne l’aide alimentaire et financière ou l’armement.

Quelles sont les conséquences de ce coup d’état militaire sur la situation politique égyptienne?

Ce coup d’Etat était prévisible, car Égypte ne pouvait pas totalement passer sous le contrôle d‘islamistes foncièrement internationalistes (anti-nationalistes), anti-israéliens, et, dans le fond, foncièrement anti-américains. Le chef du conseil suprême des forces armées (CSFA), Al-Sissi, avait bien précisé que s’il n’y avait pas de solution acceptable par toutes les parties et si le président refusait d’obtempérer dans les 48H, l’armée rétablirait un ordre et convoquerait de nouvelles élections. Je pense que l’armée a accéléré quelque chose de très prévisible depuis le début : le discrédit progressif, croissant et programmé des islamistes à l’épreuve de l’exercice du pouvoir. En effet, les Frères musulmans ont fait rêver les masses égyptiennes par leurs promesses de bien-être, de démocratie et leur démagogie, mais ils ont très vite déçu par leur incompétence, leur incapacité à résoudre la gravissime crise économique, leur viol permanent de la démocratie dont ils se réclament, et leurs promesses non tenues. Nous assistons donc à la "phase 3" de la révolution arabe : une phase programmée de désenchantement face à l’islamisme incapable de faire mieux que les autres. Cette phase, qui arrive après la phase 1 (début du "printemps arabe" porté par des blogueurs laïques ou libéraux, la phase 2 (récupération par les Islamistes vainqueurs des premières élections), aurait pu arriver plus tard, mais elle a été accélérée par l’armée, qui a su anticiper les désirs et frustrations des masses et des élites anti-islamistes qui n’ont pas accepté de se faire voler leur révolution par les "Barbus", de plus en plus arrogants.

Quels sont les scénarios envisageables pour sortir Égypte de la crise politique? Quelles peuvent être les alternatives politiques ?

La société égyptienne est aujourd’hui coupée en deux. Il y a d’un côté une société  islamisée qui rêve de Oumma ou de Charia et qui veut faire du passé table rase, et cette société est puissante. Mais on observe de plus en plus une résistance populaire face à cette islamisation politique de la société, d’autant que l’islamisme, qui devait être"la solution des solutions", n’a pas du tout démontré sa capacité à régler les problèmes politico-économiques, bien au contraire. Et beaucoup d’Egyptiens pieux qui ont voté la première fois pour les Frères, longtemps persécutés, ne veulent plus que l’islam soit confondu avec la politique et accusent les Frères musulmans d’avoir autant réprimé, sinon plus, que leurs prédécesseurs. Les profils pour succéder à Mohammed Morsi à la tête de l’état égyptiens sont multiples. Mohammed El Baradei, qui est bien vu par les forces laïcs et les libéraux égyptiens, demeure l’un des grands favoris à la succession de Mohammed Morsi. Il peut-être un candidat de consensus dans cette période de transition qui s’ouvre. Il y a également d’autres profils, comme Amr Moussa, qui s’est solidarisé avec l’armée, ou encore des personnalités de l’ancien régime. Mais les ultra-laïques comme Tarek Heggi n’ont à mon avis aucune chance, car Égypte est un pays très islamique du point de vue social. Si l’on revote dans quelques mois, les Frères musulmans et autres islamistesne sont plus certains de gagner, même s’ils sont encore électoralement assez puissants en Egypte. Et les forces anti-islamistes, jadis divisées (d’où leur échec électoral cuisant), n’ont jamais été autant unies entre elles et autant en phase avec l’armée. Les Frères ont donc perdu une partie de leur électorat et de leur capacité de séduction. Ils ne peuvent à présent compter que sur leur noyau dur électoral et militant et s’ils s’opposent violemment à l’armée, ils sont condamnés à tomber dans le piège de l’alliance fatale, compromettante avec les salafistes, or l’armée voit dans ces derniers de parfaits épouvantails.

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