Marine Le Pen et les prières de rue : faut-il vraiment lever l’immunité parlementaire à chaque fois qu’un député dit une connerie ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Marine Le Pen a perdu son immunité parlementaire
Marine Le Pen a perdu son immunité parlementaire
©

Bouclier de papier

Le Parlement européen a décidé de lever l’immunité parlementaire de Marine Le Pen, présidente du FN. Cette décision fait suite à des propos de cette dernière sur les prières de rue de certains musulmans, qu'elle a comparé à une occupation de territoire. La levée d'une immunité n'est pas un acte anodin qui mériterait peut-être d'être traitée avec plus de parcimonie.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

Voir la bio »

Atlantico : Le Parlement européen, a décidé, de lever l'immunité parlementaire de la présidente du FN. Cette décision intervient alors que Marine Le Pen est poursuivie pour incitation à la haine raciale pour des propos tenus en décembre 2010 : "Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s'il s'agit de parler d'occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça [les prières de rues des musulmans] c'est une occupation du territoire". Ce dérapage est-il fondamentalement plus choquant que d'autres dont auraient pu se rendre coupables des députés européens ?

Dominique Jamet : On peut imaginer que si un député européen avait dit que le Front national n’avait pas sa place sur Terre, on n’aurait certainement pas levé l’immunité. La décision qui a été prise par le Parlement européen est une décision qui vise davantage la personne et le parti de Marine Le Pen qu’une sanction à l'encontre des propos tenus. Ces propos sont le reflet d’une analyse, d’un diagnostic que fait depuis longtemps le FN. C’est un diagnostic que l’on peut contester, ce sont des propos que l’on peut récuser mais ils ne sont ni nouveaux, ni scandaleux. Ils ne sont pas scandaleux car ils ne constituent nullement un appel à la violence ou à la haine, ils relèvent d’un jugement que l’on peut partager ou pas. Marine Le Pen pense que l’afflux d’une population d’origine étrangère dont la religion les mœurs, les coutumes, les comportements sont de nature à "troubler notre pays", est regrettable et qu’il faudrait mettre un terme à l’immigration. En ce sens, elle a déclaré que les prières de rues lui rappelaient l’occupation, je ne vois pas en quoi cela se rattache au négationnisme qui pourrait justifier la décision du Parlement européen.

Au-delà de l’anecdote, c’est un point fondamental dans les États de droits que les parlementaires et les personnalités politiques aient le droit à une libre parole. Si dans une Assemblée, dans le déroulé d’une vie politique, on n’a pas le droit de dire ce que l’on pense, dans la mesure où cela n’est pas hors cadre légal, où va-t-on ? Sommes-nous encore dans une démocratie ou dans un régime qui déroge aux habitudes de la démocratie sur ce plan-là ?

Ce qui est regrettable dans cette décision, c’est que les parlementaires européens eux-mêmes ne semblent pas se rendre compte qu’ils justifient d’avance d’autres levées d'immunités parlementaires, si jamais d’autres propos aussi contestables mais aussi peu dangereux étaient tenus par d’autres. L’immunité parlementaire est liée à l'élection des parlementaires, elle est la garantie de leur liberté. C'est un principe auquel il ne faudrait toucher qu’avec beaucoup de précautions.

Il y a dans notre société, et dans le milieu politique notamment, des vieux démons qui rodent. Mais fondamentalement il vaut mieux une société où la parole est libre, où l’on tolère des discours même choquants, plutôt qu’une société où l’on censure et réprime. Or nous allons plutôt vers la deuxième configuration...

Faut-il lever l'immunité parlementaire à chaque fois qu'un député tient des propos stupides ?

Les députés devraient avoir le droit de tenir des propos stupides ou des propos qui déplaisent à la majorité des députés. Si l'on pose comme principe que le député n’a pas le droit de dire des sottises ou qu’il n’a pas le droit d’avoir des opinions qui choquent la majorité, alors nous ne sommes plus dans la démocratie. C’est un petit pas, même s'il ne faut dramatiser, vers une régime non démocratique.

Qu'est-ce que cette décision traduit de l'efficacité de l'immunité parlementaire, est-ce un désaveu ? Cette immunité est-elle toujours nécessaire aujourd'hui et pourquoi ?

Cette levée d’immunité n’est pas la conséquence des propos de Marine Le Pen lors d’une séance dans le cadre du Parlement européen, mais hors Parlement. En ouvrant la voie à des processus politiques et judiciaires qui entravent la liberté de parole, le Parlement européen s’attaque lui-même.

L'immunité parlementaire est indispensable, elle appartient à des dispositions aussi vieilles que la Démocratie elle-même. La levée de l’immunité parlementaire traduit un retour à des temps très anciens. La parole du parlementaire dans son principe devrait plutôt être sacrée que sujette à poursuite.

En agissant ainsi, le Parlement européen prend-il finalement le risque de donner l'occasion à Marine Le Pen d'être dans sa position préférée, celle de la victime ?

Je ne sais pas si on en verra réellement les effets, car l’incarcération de Marine Le Pen est très peu probable. Cette décision est contre-productive  car si elle peut faire du mal au Parlement européen, elle ne peut pas en faire ni à Marine Le Pen, ni à son parti.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !