La décision du Comité d'éthique sur la fin de vie est en phase avec les enseignements du terrain : la loi Leonetti est suffisante<!-- --> | Atlantico.fr
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Manifestants contre l'euthanasie près du Sénat français.
Manifestants contre l'euthanasie près du Sénat français.
©Reuters

Jusqu'au bout

Le Comité d'éthique s'est dit ce lundi "divisé" sur la légalisation du suicide assisté, avis que Jean Léonetti a jugé "extrêmement positif". Nouvelle confirmation que la loi du même nom va déjà bien assez loin et ne nécessite pas de changement de fond.

Bernard Debré et Vincent Morel

Bernard Debré et Vincent Morel

Bernard Debré, né le 30 septembre 1944 à Toulouse (Haute-Garonne), est un urologue et homme politique français.

Il est réélu député UMP le 10 juin 2012, dans la quinzième circonscription de Paris, partie nord du 16e arrondissement. Il est également à nouveau membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) depuis mars 2008.

Vincent Morel est président de la SFAP (Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs).

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Cet article a précédemment été publié sur notre site le 5 décembre 2012

Atlantico : Le Comité d'éthique s'est dit très divisé sur la légalisation du suicide assisté mais pour le renforcement de la prise en compte des "directives anticipées" laissées par le patient et la formation du personnel. Sachant que Jean Leonetti s'est dit très satisfait de cet avis, peut-on considérer que la loi dont il a été le rapporteur va déjà assez loin ? 

Bernard Debré : Tout à fait, et elle a été faite pour ça. Quand on parle de hâter la mort, il faut bien comprendre deux choses : tout d'abord, il existe l'euthanasie qui consiste à injecter un produit et tuer. C'est celle qui est demandée par certains mais qui n'existe pas dans les textes français. Puis il y a la loi Leonetti qui consiste à dire qu'à partir du moment où quelqu'un est en fin de vie, il faut tout faire pour soulager ses souffrances. Cela peut passer par le fait de respecter la volonté du patient qui ne souhaite pas être réanimé.

On ne peut pas nier qu'il réside dans cette distinction une petite hypocrisie qu'il est nécessaire de conserver. L'intentionnalité dans le second cas n'est pas de tuer mais de soulager des souffrances, même si l'on sait parfois que l'on peut provoquer la mort. La première volonté est celle de soulager les souffrances car nous n'avons pas le droit de laisser souffrir des patients. Mais en délivrant des doses de plus en plus fortes, on sait que la mort peut survenir plus rapidement. Ce qui est perçu comme une ambiguïté n'en est pas une car, éthiquement parlant, ce n'est pas la même chose. De plus, il est totalement fondamental de la préserver.

Vincent Morel : La loi Leonetti est une très bonne loi qui se suffit à elle même car elle permet de répondre aux difficultés que rencontrent des patients lorsqu'ils sont en fin de vie. L'étude de l'Ined montre bien l'importance de cette loi car dans près d'une situation sur deux, la loi Leonetti est mise en œuvre en France pour accompagner des personnes qui décèdent. L'avantage de cette loi, c'est qu'elle donne deux repères fondamentaux : le refus de l'acharnement thérapeutique et l'interdiction pour un médecin de provoquer la mort. Entre ces deux curseurs, les médecins sont capables de trouver des solutions pour accompagner les patients qui sont en fin de vie et s'assurer qu'ils ne souffrent pas.

Il n'y a donc pas besoin de dépénaliser l'euthanasie. La loi Leonetti est copiée aujourd'hui dans le monde entier, et c'est un modèle pour certains pays comme l'Allemagne, la Suède ou l'Argentine. Cette loi n'a pas besoin d'être complétée par une autre loi.

Il y a quelques mois, l'INED publiait un rapport sur la question. Qu'avait-il révélé sur le fonctionnement et l'application de la Loi Leonetti depuis sa création ?

Vincent Morel : Le rapport de l'Ined montre que la loi Leonetti est mise en œuvre dans près de la moitié des situations de fin de vie. Toutefois, il révèle qu'elle pourrait être mieux appliquée, en particulier pour les personnes qui sont inconscientes. Quand elles sont conscientes, près de huit fois sur dix, le patient a une discussion avec le médecin qui précède les décisions. Toutefois, quand le patient est inconscient, le médecin ne consulte pas toujours ces collègues (dans quatre cas sur dix) et la famille du patient non plus.

Le rapport montre aussi que le dialogue entre les patients et les personnes de confiance et les directives anticipées ne sont pas assez connus car il n'y a que 2 % des personnes qui ont utilisé cette méthode. Il faut éduquer les personnes à pouvoir s'exprimer sur leur volonté de fin de vie.

Est-il si nécessaire de préserver cette ambiguïté qui réside dans le fait de laisser mourir certaines personnes sans le reconnaître comme une euthanasie ?

Bernard Debré : Beaucoup de cas ne peuvent pas rentrer sous le coup d'une loi. Quand une personne vient à la rencontre d'un médecin en exprimant sa volonté de mourir, et c'est ce qui se passe dans les pays dans lesquels l'euthanasie est légale, même s'il n'a pas de maladie somatique, les médecins peuvent accéder à sa demande. Je considère que c'est inacceptable. Quand quelqu'un a un cancer ou une maladie grave en évolution et qu'il demande à mourir, on peut se demander à partir de quel moment on peut accéder à sa demande. Cela est impossible à mesurer afin de le prévoir légalement.

On ne peut pas simplement écouter le malade et accéder à sa demander car on ne connaît pas toujours l'état psychologique dans lequel il se trouve. C'est ce que j'appelle une loi impossible : il existe trop de cas et chaque cas est particulier et ne peut donc pas entrer dans le cadre d'une loi générale. La loi Leonetti est suffisamment intéressante justement parce qu'elle met d'abord la souffrance en exergue et en affichant le fait que nous n'avons pas le droit de laisser souffrir quelqu'un et notre geste, qui consiste à apaiser les douleurs est le geste primordial.

En outre, on peut noter tous les progrès techniques et toutes les guérisons que nous avons obtenu depuis plusieurs années. Une fracture de la hanche pour un homme âgé pouvait véritablement signifier une mort proche. Toutefois, grâce aux avancées de la médecine, une fracture de hanche se soigne assez facilement aujourd'hui. S'il y a eu autant de progrès, c'est que dans la majorité des cas, les scientifiques et les médecins se sont acharnés.

La loi sur l'euthanasie est également très aléatoire et encourage les pires dérives. En France, les déficits économiques et financiers sont majeurs, ce qui pourrait pousser certains médecins en association avec des économistes à avoir des raisonnements totalitaires. Dans un certain nombre de pays, se développe une pratique qui consiste à préciser grâce à des formulaires sa volonté de ne pas se voir pratiquer une euthanasie dans le futur.

86 % des Français sont favorables à l'euthanasie. Comment expliquer la méconnaissance de la loi Leonetti auprès du grand public mais également au sein même du personnel de santé ?

Bernard Debré : Le plus grand défaut de cette loi, c'est qu'elle n'a pas été expliquée et enseignée à l'université. Elle devrait également faire l'objet d'explications spécifiques auprès du personnel de santé qui méconnaissent assez le sujet. C'est une très bonne loi qui a été votée en 2005 mais dont personne ne se préoccupe depuis.

Certains médecins se mettent un bandeau devant les yeux et ne veulent pas aborder ce problème de fin de vie. C'est un sujet qui demeure extrêmement délicat parce que la relation entre le médecin et le malade est très complexe, d'autant plus qu'elle a beaucoup évolué ces dernières années.

Vincent Morel : La loi Leonetti est effectivement assez mal connue. Dans le milieu médical et dans le milieu des infirmières, cette méconnaissance diminue car la formation se met en place mais il faut encore insister sur l'enseignement de cette loi. Du côté des patients et des familles, il y a un effort énorme à apporter pour mettre à la connaissance de nos concitoyens cette loi. Un récent sondage a montré que 7 Français sur 10 ne connaissaient pas la loi Leonetti. On s'aperçoit également que la première raison que donnent les Français pour être favorable à l'euthanasie, c'est l'acharnement thérapeutique, ce sur quoi s'oppose la loi Leonetti.

Propos recueillis par Célia Coste

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