Cette multinationale américaine qui pourrait contraindre la France à revoir sa position sur le gaz de schiste<!-- --> | Atlantico.fr
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La compagnie pétrolière américaine Schuepbach souhaite récupérer deux permis d'exploration de gaz de schiste en France.
La compagnie pétrolière américaine Schuepbach souhaite récupérer deux permis d'exploration de gaz de schiste en France.
©Reuters

Forcing

La compagnie pétrolière américaine Schuepbach souhaite récupérer deux permis d'exploration de gaz de schiste en France obtenus en 2010, qui lui avaient été retirés en 2011 lors de l'adoption de loi Jacob qui interdit la fracturation hydraulique dans le pays. Mais Suzanne von Coester, rapporteur public auprès du Conseil d'Etat, a proposé de renvoyer la question auprès du Conseil constitutionnel pour vérifier si cette loi est conforme à la Constitution française.

Thomas Porcher

Thomas Porcher

Thomas Porcher est Docteur en économie, professeur en marché des matières premières à PSB (Paris School of Buisness) et chargé de cours à l'université Paris-Descartes.

Son dernier livre est Introduction inquiète à la Macron-économie (Les Petits matins, octobre 2016) co-écrit avec Frédéric Farah. 

Il est également l'auteur de TAFTA : l'accord du plus fort (Max Milo Editions, octobre 2014) ; Le mirage du gaz de schiste (Max Milo Editions, mai 2013).

Il a coordonné l’ouvrage collectif Regards sur un XXI siècle en mouvement (Ellipses, aout 2012) préfacé par Jacques Attali.

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Atlantico : La compagnie pétrolière américaine Schuepbach Energy souhaite récupérer deux permis d'exploration de gaz de schiste dans le sud-est de la France obtenus en 2010, qui lui avaient été retirés en 2011 lors de l'adoption de loi Jacob qui interdit la fracturation hydraulique dans le pays. Elle avait alors porté l'affaire devant le tribunal de Cergy-Pontoise. Depuis, Suzanne von Coester, rapporteur public auprès du Conseil d'Etat, a proposé de renvoyer la question auprès du Conseil constitutionnel pour vérifier si cette loi est conforme à la Constitution. Que dit exactement la loi Jacob sur la fracturation hydraulique ?

Thomas Porcher : La loi du 13 juillet 2011, surnommée loi Jacob car proposée par le président du groupe UMP à l’assemblée nationale Christian Jacob, vise à interdire l'exploration et l'exploitation de gaz et d'huile par fracturation hydraulique et à abroger les permis de recherche comportant des projets ayant recours à cette technique. La loi est donc très claire : la fracturation hydraulique est interdite en France. Normalement le message est clair pour tout le monde et aller chercher les moindres failles de la loi est pour moi une forme d’agressivité de la part de Schuepbach Energy. Surtout quand les derniers sondages montrent que les français sont plutôt contre l’exploitation du gaz de schiste. Au final, l’agressivité de Schuepbach Energy est une très mauvaise publicité pour les compagnies pétrolières et gazières, car elle laisse présager de leur comportement dans des pays en développement aux institutions plus fragiles.

A lire aussi, les bonnes feuilles de l'ouvrage de Thomas PorcherLe mirage du gaz de schiste :

Pourquoi cette loi est-elle controversée ? Est-il possible que Schuepbach Energy gagne son combat et que la loi Jacob soit considérée comme inconstitutionnelle ?

Les arguments de la société Schuepbach Energy sont que la loi du 13 juillet 2011 dépasse ce que le principe de précaution permet de faire dans l’article 5 de la Charte de l’environnement, qu’elle ne prend pas en compte le principe d’égalité en interdisant la fracturation hydraulique pour la recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux mais pas pour la géothermie, qu’elle privilégie de manière excessive la protection de l’environnement au détriment du développement économique contrairement à l’article 6 de la Charte de l’environnement et enfin que l’abrogation des permis, en portant atteinte au droit de propriété, est en opposition avec le principe de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est l’argument du principe de précaution qui a principalement motivé le choix du rapporteur public pour renvoyer la question au Conseil constitutionnel. On est vraiment dans les contradictions les plus fines du droit et cette « guerilla juridique », pour reprendre le terme employé par la Ministre de l’écologie Delphine Batho, dépasse la plupart d’entre nous. 

Si la loi venait à être considérée comme inconstitutionnelle, ce serait la fin de l’interdiction de la fracturation hydraulique et il n’est pas possible de faire appel d’une décision du Conseil constitutionnel. Par contre, il est possible que le Conseil constitutionnel fixe un délai d’application de sa décision, ce délai pourrait permettre au gouvernement de proposer un autre texte.

Quels sont les enjeux économiques du gaz de schiste en France ? Quelles seraient les conséquences de l'abrogation d'une telle loi ?

Nous avons la chance en France de bénéficier de l’expérience américaine mais il faut en avoir une grille de lecture juste et se poser les bonnes questions. De quoi sommes-nous sûrs aux Etats-Unis ? Nous savons que le prix du gaz a baissé jusqu’à 3 dollars (par million de BTU) permettant aux entreprises américaines de disposer d’énergie à bas coût et que l’exploitation du gaz de schiste a créé 600000 emplois directs et indirects pour 500000 puits.

Nous disposons également de résultats scientifiques américains sur les conséquences de l’exploitation du gaz de schiste pour les populations avoisinantes : une étude du NBER (National Bureau of Economic Research) a démontré que les biens immobiliers perdent 24% de leur valeur dans un périmètre de 2000m autour d’un puits ; des chercheurs de l’université du Colorado (MC Kenzie et al.) ont démontré qu’il y avait une augmentation des risques de cancer dans un périmètre de 805 mètres autour d’un puits ; enfin d’autres chercheurs de l’université Duke (Robert Jackson et al.) ont prouvé que l’exploitation des gaz de schiste en Pennsylvanie avait entraîné une pollution des nappes phréatiques.

Si, en connaissance de cause, certains veulent encore du gaz de schiste pour des raisons économiques, les bonnes questions à se poser sont les suivantes : premièrement, le marché du gaz européen étant plus rigide (car basé sur des contrats à long terme) que le marché du gaz américain, l’exploitation du gaz de schiste en Europe fera-t-elle baisser le prix du gaz ? Deuxièmement, sommes-nous prêts à forer 90000 puits pour créer 100000 emplois ? La réponse à la première question est négative, si la deuxième l’est aussi, alors fermons définitivement le débat sur le gaz de schiste.

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