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Le 26 juin dernier, trois astronautes chinois sont revenus d’une mission de quinze jours autour de la Terre
Le 26 juin dernier, trois astronautes chinois sont revenus d’une mission de quinze jours autour de la Terre
©DR

Conquête spatiale

Le 26 juin dernier, 3 astronautes chinois sont revenus d’une mission de 15 jours autour de la Terre. Certains soulignent l’inutilité de ce programme national de vols habités en arguant que la Chine ne fait que répéter des étapes déjà franchies par les États-Unis et l’Union Soviétique (puis la Russie) afin de se doter d’une «panoplie» de grande puissance. Si le prestige national n’est pas absent de l’agenda spatial du régime de Pékin, il n’en est pourtant pas la seule motivation. Loin de là.

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy

Olivier Sanguy est spécialiste de l’astronautique et rédacteur en chef du site d’actualités spatiales de la Cité de l’espace à Toulouse.

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En fait, la Chine applique une "recette astronautique" déjà utilisée avec succès par plusieurs puissances spatiales et qui mélange – pour simplifier – souveraineté, connaissance et croissance économique.

Rappelons que l’ère spatiale commença sous les auspices de la Guerre Froide qui opposait alors les États-Unis et l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques). Le 4 octobre 1957, cette dernière plaça sur orbite le premier satellite artificiel : Spoutnik. L’exploit fut vécu comme une humiliation par le pouvoir américain, mais aussi comme une menace : la fusée Sémiorka (aujourd’hui appelée Soyouz) utilisée pour Spoutnik était à l’origine un missile intercontinental. De plus, la démonstration de Moscou continua puisque son programme spatial enchaîna les premières avec une emphase particulière sur les vols habités : premier homme dans l’espace (Youri Gagarine, 1961), première femme (Valentina Terechkova, voici juste 50 ans le 16 juin 1963), première sortie en scaphandre, etc. Les politiciens de Moscou, avec le bouillant Nikita Khrouchtchev en tête, saisirent rapidement le formidable outil de propagande et d’affirmation de souveraineté dont ils disposaient désormais.

Le locataire de la Maison-Blanche d’alors, John Kennedy, tenta le tout pour le tout en transformant la course à l’espace en course à la Lune. On connait la suite, le programme Apollo sonna la victoire par KO des États-Unis qui reste à ce jour le seul pays à avoir amené des hommes sur notre satellite naturel (de 1969 à 1972 au cours de 6 missions).

Prestige national : le trompe-l’œil

S’il est évident que le prestige national, et pour être exact un impératif de démonstration de souveraineté, fut un impératif majeur du programme Apollo, il existait pourtant déjà les deux autres ingrédients de la recette spatiale, à savoir la logique de connaissance et la croissance économique. La première découlait du fait que, quitte à aller sur la Lune, autant en profiter pour faire de la science, ce qui mobilisa nombre d’institutions universitaires américaines qui reçurent alors des subsides de la NASA. De plus, pour remporter le défi annoncé par Kennedy, l’Amérique dynamisa ses filières de formation professionnelle, notamment dans les domaines technologiques. Les vocations pour les études scientifiques montèrent en flèche à cette époque, encouragées par un discours officiel mobilisateur doublé de débouchés concrets. Il faut dire qu’Apollo a représenté plus de 100 milliards de dollars de budget - en dollars réajustés de l’inflation - sur plusieurs années que la NASA (une administration fédérale ne l’oublions pas) redistribuait au secteur privé via les contrats industriels de construction des fusées et vaisseaux ou d’infrastructures au sol, assurant une croissance économique assortie de la garantie de paiement de l’état. En bon programme étatique, Apollo participa même à l’aménagement du territoire puisque la NASA implanta certains de ces centres dans des zones rurales jusque-là délaissées par l’essor économique d’après-guerre.

L’exemple d’Ariane

En Europe, le lanceur Ariane s’impose comme un autre exemple de l’application de cette recette. Au début des années 1970, l’Europe spatiale naissante est en crise. Son programme de lanceur Europa, basé sur un premier étage issu d’un missile britannique, enchaîne les échecs. La France, forte de son statut de troisième puissance spatiale (grâce à sa fusée Diamant qui plaça sur orbite le satellite Astérix en 1965), propose alors un lanceur qu’on baptisera plus tard Ariane. Une solution qui n’emballe guère les partenaires européens malgré l’engagement de la France de prendre en charge le programme à 60 % et la création de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) en 1975. Mais survient alors l’aiguillon de la souveraineté : lorsque l’Europe se tourne vers les États-Unis pour placer son satellite de télécommunication Symphonie sur orbite, ceux-ci acceptent... mais en exigeant qu’il ne puisse être employé de façon commerciale ! Ce protectionnisme fait alors prendre conscience aux politiciens qu’un lanceur n’est pas qu’une question de prestige national, c’est également un vecteur de souveraineté. La croissance économique est aussi présente puisque grâce à Ariane (premier vol le 24 décembre 1979), le "Vieux Continent" accède de façon autonome au juteux marché des télécommunications par satellite. Aujourd’hui, Arianespace (filiale de l’agence spatiale française CNES), qui vend notamment le lanceur Ariane (fabriqué par Astrium, groupe EADS), est devenue le leader mondial du marché des lancements tandis que l’un des géants des télécommunications par satellite est l’européen SES au Luxembourg. La connaissance répond également présente avec la dynamisation des filières technologiques et universitaires nécessaires.

La Chine applique la recette à la lettre. On pourrait multiplier les exemples, y compris avec les programmes purement scientifiques (l’exploration de Mars par des sondes pour ne citer que celui-là), qui irriguent universités, laboratoires de recherche et industriels de fonds publics et amènent de nombreuses retombées. Ce qui fait dire au président du CNES Jean-Yves Le Gall que chaque euro investit dans le spatial donne 20 euros de retour économique. Jean-Jacques Dordian, directeur général de L’Agence Spatiale Européenne, a lui plusieurs fois souligné, non sans malice, que les emplois dans le spatial ne pouvaient pas être délocalisés...

Et la Chine a parfaitement compris cette équation. Elle sait qu’elle ne pourra soutenir sa croissance en restant la fabrique "low cost" du monde et se tourne désormais vers le "Hi-Tech". Et le spatial est un outil de développement tourné vers cette cause. Avec son programme spatial, et notamment son volet habité, le régime de Pékin a dynamisé ses filières universitaires (connaissance) et industrielles (croissance économique), les poussant à la maîtrise de technologies et de logistiques complexes indispensables au Hi-Tech. Car même si le vaisseau habité chinois Shenzhou est un emprunt au Soyouz (négocié avec la Russie en bonne et due forme), il s’avère construit en Chine et a même été profondément revu par les ingénieurs du pays. De plus, l'infrastructure spatiale chinoise peut aujourd’hui proposer des satellites d’observation de la Terre «clés en main» à des pays en voie de développement qui en ont bien besoin pour gérer au mieux leurs ressources naturelles. En plus, elle les lance et les banques chinoises les financent ! Les contrats sont même parfois assortis d’un accès privilégié à certaines ressources naturelles du pays ainsi aidé...

On le voit, le prestige d’un drapeau amené sur orbite cache quasi systématiquement une logique bien plus terre à terre.

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