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Europe bashing : quels risques le PS prend-il ?
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Depuis qu'Arnaud Montebourg a qualifié José Manuel Barroso de "carburant du Front national" les dirigeants socialistes se déchaînent contre le président de la Commission européenne. Ils l'accusent d'entretenir l'euroscepticisme en prônant des politiques d'austérité.

Alexandre Vatimbella et Yves-Marie Cann

Alexandre Vatimbella et Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur adjoint du Pôle Opinion Corporate de l'Institut CSA.

Alexandre Vatimbella est le directeur de l’agence de presse LesNouveauxMondes.org qui est spécialisée sur les questions internationales et, plus particulièrement sur la mondialisation, les pays émergents et les Etats-Unis. Il est également le directeur du CREC (Centre de recherche et d’étude sur le Centrisme). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages (dont Santé et économie, Le Capitalisme vert, Le dictionnaires des idées reçues en économie, Le Centrisme du Juste Equilibre, De l’Obamania à l’Obamisme).

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Atlantico : La stratégie d’"Europe Bashing" menée par certaines figures du PS, y compris au sein du gouvernement, est-elle authentique ou relève-t-elle plus d’une posture électorale éphémère pour résister à la vague eurosceptique de 2014 ? La montée du Front national motive-t-elle une position plus dure du PS sur la question de l’Europe ?

Alexandre Vatimbella : L’anti-européanisme d’une partie du PS est authentique. Certains socialistes voient depuis toujours cette Europe, selon eux "néolibérale, représentée par l’arrogante Commission de Bruxelles, bras armé d’un capitalisme mondialisé triomphant, comme une adversaire, voire un ennemi qu’il faut combattre et, surtout, abattre.

C’est le cas, notamment aujourd’hui, des deux ministres, Arnaud Montebourg et Benoit Hamon, mais pas seulement.

S’il est indépendant d’une posture électorale ou de la montée du Front national, ce positionnement essentiellement idéologique au départ – faire l’Europe "sociale" contre l’Europe libérale, selon ses défenseurs –, peut se transformer aisément en une stratégie électorale d’un «retour aux fondamentaux» de la lutte des classes d’un PS plus combattif idéologiquement parlant, retrouvant des accents ouvriéristes propres à séduire un électorat populaire de plus en plus anti-européen à qui on a désigné depuis toujours, avec le Parti communiste puis avec le Front national, l’Union européenne comme l’ennemi principal.

Yves-Marie Cann : Pendant longtemps, la construction européenne a bénéficié au sein de l'opinion publique d'un relatif consensus. Cette tendance s'est progressivement inversée, cette inversion se traduisant notamment par la courte victoire du "Oui" au référendum sur le Traité de Maastricht en 1992, puis la victoire du "Non" lors du référendum de mai 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen. A l'occasion de ce dernier événement l'euroscepticisme de gauche s'est d'ailleurs pleinement exprimé, jusqu'au sein du Parti socialiste où la campagne du "Non" avait notamment été menée par Arnaud Montebourg et Vincent Peillon.

Aujourd'hui lorsque l'on interroge les Français, on s'aperçoit que le rapport à l'Europe n'est plus structuré par le clivage traditionnel gauche / droite mais plutôt par un clivage  opposant les partis de gouvernement, europhiles, aux partis contestataires, eurocritiques. Tout l'enjeu pour les premiers (PS, UMP notamment) est donc de parvenir à concilier les attentes parfois contradictoires de leurs électorats sur ce sujet. La récente déclaration d'Arnaud Montebourg pourrait ainsi être interprétée comme un signal donné à l'aile gauche du Parti socialiste, et à un électorat de plus en plus critique vis-à-vis de l'Europe.

Quels sont les dangers potentiels pour le Parti socialiste à adopter des postures eurosceptiques ?

Alexandre Vatimbella :Le PS est un parti qui se définit comme pro-européen et pour une plus grande intégration européenne. Bien évidemment, il existe dans ses rangs des anti-européens et des eurosceptiques mais ils sont théoriquement minoritaires et ont été systématiquement marginalisés avec plus ou moins de réussite par la direction du parti à chaque fois que la question européenne a refait surface.

Pour autant, la crise économique avec ses difficultés et ses conséquences sur l’emploi a libéré cette parole anti-européenne présente, il faut le dire, dans tous les partis. Comme le dit le commissaire français, Michel Barnier, à chaque fois que quelque chose va mal, c’est la faute à l’Europe. Et, évidemment, chaque fois que cela va bien, c’est grâce au gouvernement français ! C’est un grand classique de la politique française.

Pour autant, cette façon de fonctionner n’est pas propre à la France. Elle est pratiquée de manière plus ou moins identique par tous les pays de l’Union européenne, dans cette posture schizophrénique où chacun d’entre eux en est membre par sa propre volonté mais en a fait la méchante aux yeux de sa population, projetant sur elle tout ce qui est mauvais pour lui…

Reste qu’une partie de l’électorat n’est pas dupe et il n’est pas mince pour le PS. Il s’agit, entre autres, mais pas seulement, de ces plus ou moins 10% de sociaux libéraux qui avaient apporté leurs voix à François Bayrou lors de l’élection présidentielle de 2007 et qui lui avait permis d’atteindre, contre toute attente, un score de 18,7%. On était alors deux ans après le référendum sur la Constitution européenne où le non l’avait emporté, notamment grâce aux vociférations des leaders «nonistes» du PS.

Si le PS devait s’aligner sur les critiques d’Arnaud Montebourg sur l’Europe et la Commission de Bruxelles comme a semblé le dire la porte-parole du gouvernement Ayrault, Najat Vallaud-Belkacem, cela aurait certainement un effet négatif sur cette partie de l’électorat dont je viens de parler et qui est plus proche de la position d’un Pascal Lamy, l’actuel directeur de l’OMS (Organisation mondiale du commerce) et qui a critiqué les propos du ministre du redressement productif.

Yves-Marie Cann : L'électorat du Parti socialiste est aujourd'hui majoritairement convaincu que l'appartenance de la France à l'Union européenne est une bonne chose pour notre pays. Il manifeste toutefois des critiques à l'encontre des orientations politiques et économiques actuelles de l'Europe. Dans ce contexte, les récentes prises de position du parti pourraient être une opportunité de répondre aux inquiétudes exprimées, notamment par les catégories populaires. De plus, l'expression d'un discours critique sans pour autant remettre en cause l'existence même du projet européen (auquel restent attachés les sympathisants de gauche), permet au Parti socialiste et à ses leaders de ne pas laisser le champ libre aux partis contestataires, de gauche comme de droite. Tout l'enjeu pour le PS est donc de trouver le bon équilibre en la matière.

Les électeurs eurosceptiques peuvent-ils être séduits par cette stratégie ou vont-ils porter leurs suffrages vers le Front de Gauche ou le FN, partis ouvertement eurosceptiques ?

Alexandre Vatimbella :La posture anti-européenne ou plutôt, en l’espèce, anti-Commission de Bruxelles, tout du moins anti-Barroso, le président de ladite commission étant un homme de centre-droit, ne rapportera que peu de voix au PS.

En politique, le plus souvent, on préfère l’original aux copies. D’autant, qu’ici, il n’y a même pas une différence de prix!

En revanche, elle lui permettra peut-être de ne pas perdre celles de ceux qui seraient tentés de voter pour le Front de gauche ou les partis d’extrême-gauche, voire pour le FN et de se prendre une nouvelle veste lors des européennes de 2014.

Yves-Marie Cann : Les enquêtes réalisées dans la perspective des élections européennes qui auront lieu en 2014 tendent à montrer qu’aujourd’hui c'est le Front national qui capterait en premier le vote eurosceptique. Nous voyons dans nos études que le FN domine très nettement les intentions de vote auprès des électeurs pour qui l'appartenance à l'Union européenne est une mauvaise chose pour notre pays. Le Front de gauche, pourtant très critique sur le sujet européen, peine à rassembler au sein de cette catégorie d'électeurs. Au vu de ces résultats, on peut penser que les prises de position du Parti socialiste ne suffiront pas à elles seules à convaincre un électorat eurosceptique de gauche, d'autant plus que le gouvernement pâtit aujourd'hui d'une défiance élevée.

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