La Cour suprême des Etats-Unis vient-elle de rétablir la capacité des États du Sud à pratiquer la ségrégation ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La question raciale est une nouvelle fois au coeur du débat politique américain.
La question raciale est une nouvelle fois au coeur du débat politique américain.
©Reuters

Tous aux urnes ?

La Cour suprême des Etats-Unis s'est enfin prononcée hier au sujet de la loi sur les droits électoraux. Invalidant une partie du texte, les États au passé ségrégationniste ont ainsi obtenu gain de cause, ce qui fait redouter le pire à certains...

Anne Deysine

Anne Deysine

Anne Deysine est juriste (Paris II) et américaniste. Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, elle est professeur à l'université Paris-Ouest Nanterre. Enseignant aussi à l'étranger, elle intervient régulièrement sur les ondes d'Europe 1, RFI, France 24, LCI... Auteur de plusieurs ouvrages, dont "La Cour suprême des Etats-Unis" aux éditions Dalloz, ses travaux sont consultables sur son site Internet : deysine.com.

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La Cour suprême a rendu sa décision hier dans l’affaire Shelby County v. Holder dans laquelle le comté de Shelby contestait l’obligation pesant sur lui (et d’autres) de soumettre à autorisation préalable du Département de la Justice (Department of Justice) toute proposition de modification de sa loi électorale. Dans cette affaire. la Cour a accepté d’examiner la seule question de savoir si le Congrès, en votant en 2006 la prorogation et la ré-autorisation de la section 5 de la loi VRA (loi sur le droit de vote), a excédé son autorité en vertu des XIVème et XVème amendements, en violation donc du Xème amendement (qui protège les droits des États) et de l’article IV de la Constitution qui confère autorité aux États en matière électorale.

L’affaire Shelby County v. Holder fut entendue fin février 2013, la teneur et le ton des questions des juges conservateurs lors de l’audience laissaient mal augurer de la pérennité de la section 5. La décision conclut qu’une partie de la loi VRA de 1965 est inconstitutionnelle: la section 4 qui permet de déterminer les États et comtés qui tombent sous le coup de la section 5, cette dernière imposant la nécessité d’obtenir une autorisation préalable du Département de la Justice avant toute réforme de la procédure électorale ou du découpage électoral. Immédiatement critiquée par le président et le procureur général des Etats-Unis Holder, elle aurait pu être pire si elle avait aussi invalidé tout le dispositif de l’autorisation préalable, la section 5 du texte.

Cette affaire est le résultat des dispositions des trois amendements post-guerre de Sécession et des lois votées dans les années 1960 pour enfin mettre l’esprit de la loi et des XIVème (égale protection) et XVème  (droit de vote) amendements en conformité avec la lettre du texte suprême. Ces deux amendements prévoient l’égale protection de la loi pour tous, la garantie d’une procédure juste et interdit aux États de priver de leur droit de vote pour des raison de race ou couleur. Devant la résistance des États fédérés inventant tous les moyens pour écarter les Noirs des urnes, le Congrès à majorité démocrate des années 1960, adopta plusieurs lois dont la loi sur les droits civils (CRA) et la loi sur le droit de vote (VRA) de 1965 qui contient deux sections qui ont joué un rôle essentiel pour garantir le droit de vote des minorités. La section 2 du VRA interdit toutes pratiques qui discriminent sur la base de la race, la couleur ou l’appartenance à un groupe minoritaire. C’est une disposition permanente de la loi qui s’applique dans tous les États et dont l’application est confiée au Département de la Justice, mais aussi aux citoyens qui peuvent porter une affaire devant les tribunaux. Il suffit de prouver que la procédure contestée a un effet discriminatoire ; il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve de l’intention. La section 5, adoptée à l’origine pour cinq années, prévoit pour certains États ayant un historique de discrimination, la nécessité d’obtenir une autorisation préalable du Département de la Justiceavant toute réforme de la procédure électorale ou du découpage électoral. Ces États ont la charge de prouver que la nouvelle procédure ne portera pas atteinte au droit de vote des catégories protégées par la section 5. Neuf États sont actuellement soumis à cette règle : Alabama, Alaska, Arizona, Géorgie, Louisiane, Mississippi, Caroline du sud, Texas et Virginie auxquels s’ajoutent quelques comtés dans d’autres États (dont New York et la Californie). Cette section, parce qu’elle joue un rôle important pour réduire la discrimination, a déjà été prorogée plusieurs fois dont la dernière fois en 2006. Ainsi entre 1982 et 2004, le Département de la Justice s’est opposé à 626 propositions de modifications et 25 autres ont été rejetées car jugées discriminatoires par des juridictions fédérales. Ces chiffres doivent être complétés par les 800 propositions de changements retirées par les États, après que le Département de la Justice ait réclamé davantage de précisions.

La loi semble bien nécessaire et c’est ce que souligne la juge progressiste Ginsburg dans l’opinion de dissidence qu’elle a lue devant le public, rappelant que le texte de 2006 fut approuvé par une large majorité bipartisane au Congrès, l’unanimité au Sénat et promulgué par le Président George W. Bush.  

Alors pourquoi  la constitutionnalité de la section 5 était-elle contestée devant les juridictions fédérales et la Cour suprême ? Selon les critiques, la section 5 porte atteinte aux droits des Etats et au principe d'égalité (entre Etats).Les demandeurs alléguaient que la situation est différente aujourd’hui et que les discriminations ne sont plus nécessairement le fait des Etats soumis à la section 5 du VRA. Ils citaient des chiffres à l’appui lors des audiences orales et les conservateurs, par leurs réactions, ont bien montré leurs préférences. Il est vrai que la Cour s’est déjà prononcée sur le sujet et le Juge en chef des Etats-Unis John Roberts avait profité de ces affaires en  2006 et en 2009 pour laisser « transparaître son embarras » devant l’inégalité de traitement entre les États selon qu’ils sont ou non ciblés par le système et devant le caractère ouvertement racial (et donc en violation du XIVe amendement) du mécanisme protecteur.  Ce type de signal « codé » est très clair quant aux intentions qu’il annonce.

La décision d’invalidation partielle (de la section 4) ne justifie pas de crier à la fin des droits civils car la section 5 subsiste malgré les critiques du juge Scalia stigmatisant la « perpétuation des avantages acquis raciaux » (racial entitlements). Et il est vrai que le Congrès, dûment prévenu en 2009, n’a rien fait. Il est maintenant contraint de le faire mais pourra-t-il agir compte tenu de la polarisation croissante et des blocages nombreux (projets de loi sur l’immigration et les armes à feu toujours pas adoptés). Faut-il aussi penser que certains juges centristes ont rejoint l’opinion de dissidence, même avec des hésitations car le maintien de la section 4 en l’état actuel du pays était le moindre mal ?  Le résultat est une décision à 5 voix contre 4,  donc immédiatement qualifiée de politique et partisane et il est vrai que les cinq conservateurs ont voté pour l’invalidation, que le camp des progressistes a fait bloc et que l’administration démocrate et les progressistes ont crié à la fin des droits civils.

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