Prix du paquet de cigarettes : jusqu'où peut-il grimper ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La France est le pays d'Europe continentale où le tabac est le plus cher.
La France est le pays d'Europe continentale où le tabac est le plus cher.
©Reuters

Volutes fiscales

Ce lundi, le prix des cigarettes augmente de 20 centimes. Le paquet le moins cher coûtera 6,30 euros et le plus cher sera à 6,80 euros. Le prix du tabac à rouler va lui augmenter de 40 centimes, le paquet moyen sera vendu autour de 7,20 euros.

Gérard Dubois

Gérard Dubois

Gérard Dubois est membre de l’Académie nationale de médecine, où il occupe la fonction de président de la Commission Addictions. Il est le co-auteur du rapport des "Cinq sages" au ministre des Affaires sociales sur la Santé Publique à l'origine de la loi Evin.

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Atlantico : Le prix du paquet de cigarettes doit augmenter le 1er juillet, consécutivement à une hausse de 30 centimes de la fiscalité, a annoncé la ministre Marisol Touraine. Sait-on jusqu'où ce prix peut aller ? Existe-t-il un seuil que les fabricants n'auraient pas intérêt à dépasser ?

Gérard Dubois : Les prix les plus élevés en Europe se trouvent en Irlande et en Norvège, non loin des 10 euros. Nous sommes aujourd'hui en France à 80% de taxes. La complexité du système est telle que l'on n'est pas certain que cette hausse des prix n'augmente pas les revenus des cigarettiers. Si le fabricant augmente son prix industriel, les taxes qui sont indexées dessus augmenteront passivement, mais d'une façon très complexe, car il existe des « taxes de taxes ». Si on augmente doucement les prix de 5 à 6%, le revenu de l'industrie et des taxes augmente, mais sans dissuader la consommation.

Dans l'Union européenne, les États ont la maîtrise du niveau des taxes, parmi lesquelles on distingue celles qui sont fixes et celles qui sont proportionnelles. La France est l'un des pays où la taxe proportionnelle est la plus importante, et est donc particulièrement liée au comportement de l'industrie. Avec un système de taxe fixe, l’État prélève sur chaque paquet un montant bien défini, pour ainsi avoir la maîtrise totale de ladite taxe. Si au contraire il prélève 80% du prix final, l’État dépend du prix décidé par l'industrie. La France pratique les deux, mais en favorisant tout de même le levier du fabricant.

L'administration de Bercy entretient la complexité du système, à tel point que celui-ci est obscur aux yeux du ministre lui-même. Une association a modélisé ce système afin de calculer, en fonction des annonces, l'impact de la taxe. L’État peut décider de cette dernière, mais pas du prix final.

L'année dernière, les parlementaires ont décidé d'une augmentation des taxes dans le cadre de la loi de finances applicable au 1er juillet 2013. L'impact était si faible que l'industrie a décidé de le gommer dans ses prix pendant au moins trois mois. De vives réactions, avec de nombreux effets d’annonces, se sont terminées par une nouvelle victoire de Bercy. L’augmentation restera unique, faible et probablement sans impact de santé publique.

La connivence en France entre le politique, les douanes et l'industrie dans le cadre de la fixation des taxes et des prix est-elle appelée à durer ?

Cette relation est extrêmement ancienne puisque les douanes ont pratiquement toujours été la tutelle du tabac qui, tout comme l'alcool, a été fiscalisé. La filière avait été établie avec les buralistes, qui sont des auxiliaires de l’État, puisqu'ils ont normalement le monopole de la vente.

La proximité entre l’État et l'industrie est intime. Lorsque la SEITA (Société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) a été privatisée au milieu des années 1990, c'est un ancien directeur des Douanes, Jean-Dominique Comolli, qui en est devenu président. Quand la SEITA et son équivalent espagnol Tabacalera ont fusionné pour devenir Altadis, c'est M. Comolli qui est devenu président de ce dernier, et lorsque Imperial Tobacco a racheté Altadis, il a temporairement occupé un poste important, puis est rentré en France pour terminer sa carrière dans la haute administration.

La proximité entre le Ministère du budget, les Douanes et l’industrie du tabac est devenue d'autant plus flagrante avec le reportage de France 2 diffusé dans le cadre de l'émission « Cash », qui montre un déjeuner auquel participent ensemble des députés, un haut fonctionnaire des Douanes et la présidente de British American Tobacco France.

La mainmise de l'industrie sur les prix et les circuits de distribution, aux dépens des États, connaît-elle des limites ? De quels exemples pourrait-on s'inspirer ?

La situation est en train d'empirer. Suite à la plainte déposée au début des années 2000 à New York par la Commission européenne et dix pays (dont la France) contre Philip Morris et Japan Tobacco, pour « organisation de la contrebande, blanchiment d'argent et organisation du terrorisme international », l'affaire s'est terminée par un « accord » qui avait plutôt des allures de transaction. Les deux groupes ont accepté de verser des sommes d'argent et se sont engagés à aider les Douanes dans la lutte contre la contrebande et la contrefaçon. Voyant cela, les deux autres grands groupes (British American Tobacco et Imperial Tobacco), qui n'étaient pas mis en cause, ont manifesté leur volonté de payer pour signer le même accord. Ce dernier leur était favorable au point qu'ils ont payé respectivement 300 et 100 millions d'euros. Désormais les « quatre grands », qui sont les organisateurs de la contrebande, ont tous un accord avec les Douanes.

Il y a bientôt deux ans, Philip Morris a financé Interpol pour l'aider à lutter contre la contrefaçon et la contrebande. Dans le même temps, le groupe promeut un système de traçage du tabac appelé « co-identity », qui vise entre autres à empêcher les Douanes et l'OMS d'organiser cette même lutte contre la contrebande. L'industrie essaye d'imposer son propre système qui ne serait géré que par elle pour tracer les cigarettes au niveau mondial, alors que la Convention-cadre de la lutte anti-tabac de l'OMS prévoit que cette prérogative revient aux pouvoirs publics.

Le Brésil a un système de traçage d'Etat qui fonctionne, ce qui démontre que l'on n'a pas besoin du système obscur proposé par l'industrie, qui veut en garder la maîtrise. Autrement cela reviendrait à ce que le contrebandier informe les Douanes à partir d'un système organisé par lui-même...

Propos recueillis par Gilles Boutin

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