Système éducatif français : ce qu'il faut garder, ce qu'il faut changer<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le politique avait auparavant le souci, à travers l'école, de promouvoir un individu citoyen alors que maintenant, le politique cherche à faire passer des conceptions idéologiques."
"Le politique avait auparavant le souci, à travers l'école, de promouvoir un individu citoyen alors que maintenant, le politique cherche à faire passer des conceptions idéologiques."
©Reuters

Tri sélectif

L'OCDE publie ce mardi son rapport annuel "Regards sur l'éducation", une comparaison internationale souvent cruelle pour l'Éducation nationale française.

Jean-Marc  Louis

Jean-Marc Louis

Jean-Marc Louis a été professeur de lettres en collège d'enseignement technique puis en lycée avant de devenir inspecteur de l’Éducation nationale. Il tient la rubrique "Éducation" au Républicain lorrain et est l'auteur de plusieurs ouvrages de mieux-être psychologique et de pédagogie dont Communiquer avec les ados... sans se les mettre à dos (2004) et Itinéraire d'un angoissé heureux (2008) parus aux Presses de la Renaissance.

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Atlantico : Ce mardi , l'OCDE publie son rapport annuel comparatif Regards sur l'éducation. La France, même si elle ne démérite pas, a de plus en plus de mal à tenir la distance face aux meilleurs du classement, et ce malgré les moyens importants consacrés à l'Éducation nationale. Peut-on parler d'un "problème français" sur cette question ?

Jean-Marc Louis : Le constat que l'on fait grâce à ces enquêtes, c'est que le système éducatif français est de plus en plus en difficulté sur le plan des performances scolaires. Mon option pour remédier à ces problèmes serait de recentrer l'école sur sa mission initiale qui est la réussite des élèves, et non pas – comme c'est le cas depuis un certain temps déjà – de s'attacher à la réussite de l'enseignement, et du système. L'école de la France a perdu en efficacité dès lors qu’elle a quitté son statut d'institution portée par des valeurs républicaines d'égalité et de promotion de l'individu, et qu'elle a voulu passer à un système auto-centré qui n'a eu de soucis que son propre équilibre et une certaine forme de rentabilité financière alors qu'elle gère de l'humain et que la réussite de l'humain relève d'une toute autre logique.

Quels sont les principaux facteurs qui expliquent le niveau passable des élèves français ? Comment y remédier ?

Le niveau des élèves pèche tout d'abord parce que la pédagogie a disparu de l'école française. Depuis quelques années cette question n'est plus considérée comme fondamentale. La formation initiale ou continue des enseignants est lamentable sur le plan pédagogique. L'Éducation nationale est la seule institution qui travaille avec des enfants et des adolescents et où la formation sur leur psychologie est quasi absente. Nous avons des élèves soumis à des médias et des technologies qui modifient leur perception du monde et leur manière d'apprendre, et nous avons une pédagogie dépassée reposant sur un enseignement vertical qui n'est plus adapté. Apprendre, c'est une posture, mais aussi des techniques et des valeurs qui sont à actualiser. L'école n'a pas pris conscience de cela, et donc les apprentissages posent problème et nous avons maintenant des difficultés pour faire réussir les élèves.

Le premier point pour y remédier, c'est la formation des enseignants. Elle doit être très poussée sur un point : les connaissances dans un monde qui évolue rapidement. Elle doit être aussi poussée sur la didactique – l'art de transmettre ses connaissances – et sur la psychologie. Il faut aussi repenser la dimension et la fonction de l'enseignant qui doit avoir un rôle d'éducation dans son travail. Ce n'est pas une éducation qui remplace la famille, mais, au travers de son enseignement, il doit faire passer un certain nombre de valeurs inhérentes à l'apprentissage car on n'apprend pas sans efforts et sans travail. Or, ces données sont de plus en plus diluées dans la société, et il n'y a plus que l'école pour les revaloriser. Enfin, il faut savoir que tout élève "appartient" à tous les enseignants de l'école qui doivent n'avoir qu'un but : sa réussite. Or, avec la gestion "système" où chaque enseignant doit rendre des comptes chiffrés, il n'y a plus d'équipe et chacun travaille pour satisfaire le système et – à contrecœur – ne se soucie plus de la réussite de l'élève.

A l'inverse, quels sont les avantages que la France a su conserver, et qui peuvent faire la force du système ?

La valeur ajoutée du système français, c'est son organisation interne et la place fondamentale de l'école maternelle. Il y aussi cette "arborescence" des formations qui permet à un jeune d'avoir un parcours scolaire qui peut se construire. Ensuite, il y a en France la volonté de faire réussir tous les élèves, avec toute une panoplie d'aides pour les jeunes en difficulté. Autre atout : tout ce qui a été fait pour la scolarisation des élèves handicapés.

J'aurais envie de dire que dans l'école française, il y a déjà tout, le fond est là. Il y a une histoire séculaire de l'école, de l'expérience, des avancées formidables (notamment dans l'égalité entre filles et garçons)... Il faut savoir réactiver ces pistes pour mieux pouvoir se retrouver.

Chaque nouveau ministre a tendance a vouloir imprimer sa "marque"en changeant les rythmes scolaires ou les programmes. Ces "envies de changement" se basent-elles sur des analyses sérieuses du système ? 

Le politique avait auparavant le souci, à travers l'école, de promouvoir un individu citoyen – certes parfois normé – alors que maintenant, le politique cherche à faire passer des conceptions idéologiques. On a reproché à la droite de se servir de l'école pour générer une main-d’œuvre bon marché pour les employeurs et à la gauche de vouloir "libérer" l'individu, ce qui a débouché sur des "pédagogies de l'éveil" où les enfants se sont retrouvés à faire tout ce qu'ils voulaient...

Autre problème qui se décline du ministre jusqu'au président, c'est la substitution dans l'école du pouvoir à l'autorité. L'autorité, elle, repose sur une compétence qui est reconnue par tout le monde ; le pouvoir c'est la fonction qui le donne. Or, l'école institutionnelle reposait sur la compétence et l'expérience. Le système actuel repose sur le pouvoir, profondément ancré dans la psychologie individuelle. Résultat : quand quelqu’un arrive, il veut absolument changer quelque chose pour affirmer son pouvoir. Un nouveau proviseur arrive dans un établissement ? Il va falloir changer quelque chose, même si personne ne demande rien.

De nombreuses réformes sont calquées sur une idée de "ce qui marche ailleurs"(par exemple, la réforme des rythmes scolaires similaires au modèle allemand). Mais ces comparaisons permanentes sont-elles une bonne manière de penser des réformes ? Ce qui marche ailleurs est-il forcément bon pour l'éducation en France ?

Si on prend l'exemple de l'Allemagne, certes les rythmes sont différents, mais le service des enseignants est différent, leur mentalité, ou même la vision de la société vis-à-vis de son école, sont là aussi très différentes. Or, sur quoi bute en France la question des rythmes scolaires ? Sur des facteurs typiquement français qui sont le maintien des prérogatives statutaires, que cela vienne des enseignants, des parents ou même du tourisme, et donc au final l'impossibilité de trouver un consensus centré autour de l'intérêt de l'enfant. On ne peut donc pas regarder et adapter les autres systèmes car ce sont nos mentalités qu'il faut changer, et dépasser les égocentrismes qui sont très marqués dans notre société qui ne pense pas beaucoup à son avenir.  

Les acteurs du système éducatif français (enseignants, encadrants, administratifs...) autrefois respectés, ont vu leur cote dégringoler dans l'opinion. Sont-ils les vrais responsables du niveau scolaire discutable de la France ? Ou seulement des "victimes" de problèmes qui les dépassent ?   

Les acteurs du système éducatif sont en très grande souffrance, mais ils sont indirectement – non pas coupables – mais responsables des problèmes du système. Il y a une politisation extrême de la question, et le syndicalisme qui devait porter les difficultés des enseignants se retrouvent dans des enjeux politiques pas très clairs... Mais les acteurs de l'éducation ont-ils mesuré l'importance de l'engagement dans l'école ? Le métier d'enseignant est bien un "métier" et non une "vocation". Autrefois, les gens s'engageaient dans ce métier par envie de transmettre et de partager. Actuellement, on parle de "profession enseignante" avec un changement d'état d'esprit qui ne peut pas coller. Enseigner, éduquer, cela nécessite un engagement, des valeurs, une volonté d'améliorer et de se soucier des enfants. Beaucoup de jeunes enseignants choisissent ce métier parce que "ça embauche" – ce qui est légitime dans un sens – mais cela peut ensuite les mettre dans de très grandes difficultés. Une partie des enseignants n'a pas mesuré les attentes de la société en termes d'éducation qui nécessitent de leur part un changement de mentalité et des évolutions sur l'approche de leur métier. Il ne s'agit pas simplement de "faire ses heures".

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