Les Chinois rachètent des producteurs français de jambon : pourquoi la filière française va mal et comment y remédier <!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que la consommation de charcuterie à domicile est en augmentation en 2012 (+1,7%), la rentabilité moyenne du secteur est devenue nulle et les emplois reculent de 1,3 %.
Alors que la consommation de charcuterie à domicile est en augmentation en 2012 (+1,7%), la rentabilité moyenne du secteur est devenue nulle et les emplois reculent de 1,3 %.
©D.R.

Discutons le bout de gras

Alors que la consommation française de charcuterie ne cesse de croître, la rentabilité du secteur est nulle et la France est même dernière dans le classement européen de compétitivité de la filière porcine.

Robert Volut - Marie-Alix Roussillon

Robert Volut - Marie-Alix Roussillon

Robert Volut est président de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs.

Marie-Alix Roussillon est ingénieure économiste à l'Institut français du porc (Ifip).

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Atlantico : Alors que la consommation de charcuterie à domicile est en augmentation en 2012 (+1,7%), la rentabilité moyenne du secteur est devenue nulle et les emplois reculent de 1,3 %. Quelles sont les raisons de cette situation paradoxale ? 

Robert Volut : 93% de notre activité est réalisée en France. Or 70% est faite avec la grande distribution, qui refuse de prendre en compte certaines contraintes auxquelles la filière est confrontée : l'augmentation des coûts de matière première  de 11 % rien que pour l'année dernière, l'augmentation des prix des céréales qui entrent en compte dans l'alimentation des animaux etc. A cela il faut ajouter l'augmentation des coûts liés à l'énergie soit environ 5%. La moyenne pondérée de tous ces facteurs est de 9%, alors que les prix n'ont augmenté que de 4%. Il manque donc 5% pour conserver les marges des années précédentes. Pour la deuxième année consécutive, les effectifs de la filière ont du être revus à la baisse. 

Marie-Alix Roussillon : Le marché du porc est très ouvert en Europe. Les entreprises et produits français de porc se retrouvent alors en concurrence avec ceux provenant d’Allemagne, d’Espagne, du Danemark… La progression de la consommation de charcuterie provient de produits nationaux mais aussi de la croissance des importations.

La rentabilité des entreprises de charcuterie a été fragilisée en 2012 par cette concurrence et la hausse des prix des matières premières (céréales et soja pour l’alimentation animale) et la hausse du prix du porc. Les difficultés des industriels de la viande à répercuter ces hausses des matières premières à la grande distribution sont une des raisons des pertes de rentabilité du secteur.

Selon le nouvel indicateur de la compétitivité des filières porcines européennes réalisé par l'Institut du porc pour l'interprofession porcine, la France arrive dernière derrière ses principaux concurrents dont l'Espagne et l'Allemagne. Comment l'expliquer ?

Robert Volut : Il y a un faisceau de faiblesses qui créent cette situation : les contraintes administratives – notamment le respect des normes sanitaires, fondamentales mais extrêmement coûteuses – et environnementales qui sont parmi les plus sévères d'Europe. Les Allemands et les Espagnols ont réalisé des plans d'élevage avec de l'énergie solaire, plans que l'on a pas réalisé en France et qui auraient pourtant été bénéfiques. Les exploitations françaises sont également très souvent de trop petite taille, et concurrencent difficilement les porcheries beaucoup plus grandes espagnoles et allemandes. Sur le plan de l'abattage, notre réseau d'abattoirs est vieillissant, il a par conséquent du mal à assurer le rendement et la productivité que l'on trouve dans d'autres pays européens. Il n'est également pas assez spécialisé et ne s'est pas assez modernisé. Il y a également trop peu d'efforts de recherche, de développement et de marketing afin de promouvoir les produits.

Marie-Alix Roussillon : Le pôle économie de l’Ifip-Institut du porc a développé pour I’ interprofession porcine, Inaporc, un indice de compétitivité des filières porcines européennes. En résumant en un seul chiffre la compétitivité, il permet de comparer la France par rapport aux meilleurs producteurs de porcs européens : l’Allemagne, l’Espagne, le Danemark et les Pays-Bas. La France se situe dans la situation la plus défavorable avec un indicateur de 0,31, quand le Danemark est en tête avec 0,79. L’Allemagne, l’Espagne et les Pays sont dans une situation intermédiaire avec un score proche de 0,5. La France est en effet pénalisée par son environnement macroéconomique avec un moindre accompagnement des pouvoirs publics et une production peu dynamique car contrainte par la règlementation, par rapport au dynamisme de la production allemande ou espagnole ces dix dernières années. En revanche les élevages français ont de bonnes performances techniques par rapport à leurs concurrents, mais les bâtiments manquent d’investissement et de modernisation.

C’est le secteur de l’abattage-découpe, qui en moyenne au niveau national, souffre le plus. Comme en Espagne, les entreprises françaises sont de plus petites tailles et n’ont pas de filiales à l’étranger. Les relations qu’elles entretiennent avec la grande distribution sont tendues, contrairement aux abatteurs allemands proches du hard discount. La France, est comme le Danemark, pénalisée par une main d’œuvre plus chère qu’en Allemagne et en Espagne, mais elle n’a pas suffisamment investi dans l’automatisation et la standardisation des produits pour compenser ce handicap.

Et avec quels risques pour le consommateur ? A terme, pourrait-on ne trouver en France que de la charcuterie importée ?

Robert Volut : Il n'y a pas de réel risque à mon avis : d'après les chiffres, la charcuterie importée représente actuellement 12% des ventes. Il y a 5 ans, elle représentait 9%. On ne peut pas dire que c'est un phénomène qui est donc en pleine explosion.

Marie-Alix Roussillon : Le consommateur français reste attaché aux produits d’origine nationale, mais les importations de charcuteries espagnoles, italiennes ou allemandes progressent. Le solde commercial français est déjà déficitaire avec ses partenaires de l’UE pour les produits transformés. Cela met en évidence notre désavantage comparatif pour les produits à forte valeur ajoutée ainsi que la demande du consommateur français en produits spécifiques : chorizo, jambon Serrano, jambon de Parme… Cette situation pénalise l’ensemble de la filière française, par manque de valorisation de la production nationale.

La question de l’adaptation de l’offre des industriels français à la demande des consommateurs se pose alors. Les stratégies d’innovation produits doivent être développées en France pour répondre à cette évolution vers une demande plus diversifiée.

Comment pourrait-on améliorer la compétitivité de la filière française et relancer la filière ? 

Robert Volut : Il faudrait envisager un complément à la loi de modernisation de l'économie (LME), afin d'intégrer une clause de révision de prix. Le gouvernement avait donné un accord de principe en cas de forte augmentation du coût des matières premières. Il faut également penser à améliorer la qualité de l'offre de la filière : depuis deux ans des expérimentations sont menées afin de réduire le sel dans les produits, ainsi qu'un meilleur équilibre du gras et du maigre dans les produits. Une des autres faiblesses connue du secteur est l'exportation qui ne représente actuellement que 7% de l'activité alors qu'elle devrait actuellement représenter beaucoup plus. Il faut d'abord penser à l'exportation européenne, et même mondiale. 

Marie-Alix Roussillon : Aujourd’hui, le diagnostic de manque de compétitivité de la filière porcine française est partagé par tous les acteurs.  L’indicateur de compétitivité a permis d’identifier les leviers pour retrouver un dynamisme collectif. La filière porcine française a besoin de moderniser et restructurer ses élevages. Les investissements doivent être poursuivis et renforcés dans l’industrie de la viande pour améliorer la rentabilité du secteur. Enfin, des efforts de tous les maillons doivent aller vers une amélioration de l’image des produits porcins français pour reconquérir le marché national et l’export et mieux valoriser l’ensemble de nos produits. Avec l’appui des pouvoirs publics et sur la base d’une concertation des acteurs de la filière un plan de redressement est en préparation.

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