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"On peut quand même difficilement préconiser une décélération dans le temps du versement des allocations chômage et refuser, par exemple, un plafonnement ou une dégressivité des allocations familiales ! "
"On peut quand même difficilement préconiser une décélération dans le temps du versement des allocations chômage et refuser, par exemple, un plafonnement ou une dégressivité des allocations familiales ! "
©Flickr

Bonnes feuilles

Tout va mal et, si on continue comme ça, cela ira de plus en plus mal. Mais nous pouvons nous en sortir. Ça dépend de vous. Ça dépend de nous. Jean-François Kahn nous explique comment... Extrait de "Comment s'en sortir" (2/2).

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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Qui doit concourir aux économies sans lesquelles aucun redressement, dans l’intérêt de toute la communauté nationale, ne sera possible ? Sans lesquelles on ne parviendra pas à dégager les 100 milliards qu’il convient d’injecter dans l’économique et le social ? Tout le monde ! Mais à proportion de sa surface, de sa sécurité, de sa stabilité, de ses revenus et de sa responsabilité.

A cet égard, il est surprenant que personne n’ait avancé cet argument : ceux dont les annuités de cotisations donnant droit à la retraite sont passées de 37 années à 42 n’ont certes pas accepté de bon cœur ce sacrifice conséquent (5 ans d’annuités !), mais (la retraite à 60 ans étant une folie) ils ont très largement contribué à cet effort collectif. Pourquoi ne partirait-on pas de ce marqueur pour évaluer les sacrifices auxquels certaines autres catégories socioprofessionnelles, en particulier les plus privilégiées, seraient invitées à consentir ?

On peut quand même difficilement préconiser une décélération dans le temps du versement des allocations chômage et refuser, par exemple, un plafonnement ou une dégressivité des allocations familiales ! Accepter que les jeunes traders se sucrent quand les retraites doivent accepter un rabotage.

Nous avons évoqué la nécessité d’une nouvelle Nuit du 4 août : que chacun mette sur la table ce à quoi il est prêt à renoncer, à proportion, pour le bien de la patrie.

Une retraite chapeau, un parachute doré, un bonus « en platine », un salaire honteusement mirifique ? On vous rétorquera que cela n’a rien à voir, que ça ne coûte rien à l’Etat, qu’une entreprise fait ce qu’elle veut de son argent. Voire… Car, dépassé un certain seuil raisonnable, toute somme excessive qui participe de la satisfaction d’un confort privé, soit d’une thésaurisation, soit d’un hédonisme délirant, au détriment d’un investissement créateur d’activité et d’emplois, induit un manque à gagner collectif qui est, en fin de processus, compensé par l’Etat. Une retraite chapeau si grasse qu’elle permettrait d’en payer cent ordinaires : ce n’est pas l’Etat qui en subit directement les conséquences. Mais les exclus, en bout de piste, c’est bien lui qui les ramasse. Lui et les contribuables qui cotisent.

Sans compter que toute exigence est réversible : soit, au nom d’une séparation étanche entre privé et public, l’entrepreneur fait ce qu’il veut de son argent, mais alors il doit renoncer à recourir, quelles que soient les circonstances, à l’aide publique. On admettra que l’ultralibéralisme de Serge Dassault laisse rêveur alors qu’il a bénéficié de beaucoup plus d’argent public que globalement l’ensemble des opéras et théâtres subventionnés du pays. Antoine Zacharias, l’ex-patron du groupe de BTP Vinci, s’engraissait en grande partie grâce aux commandes de l’Etat. Or, conseillé entre autres par Alain Minc (qui n’en hante pas moins les coulisses de tous les pouvoirs d’Etat), il s’était concocté, en se payant sur la bête, des revenus cumulés atteignant, certaines années, plusieurs milliers de fois le Smic, ce qui, alors qu’il s’apprêtait à arrondir encore ce magot, incita la majorité de son conseil d’administration (mais pas Alain Minc) à le dégager.

Affaire privée ? Alors que l’Etat et ses diverses ramifications, ainsi que les collectivités locales, constituaient les principaux clients de cette firme ? Le calcul est facile à faire : même si le patron de Vinci ne gardait pour sa pomme que 5 millions d’euros par an, parce qu’il faut bien vivre, parce que son considérable talent méritait d’être arrosé, avec le restant de ce qu’il s’était arrogé et avait accumulé les dernières années, il eût été possible de payer l’équivalent du Smic à plusieurs milliers d’actifs privés d’emplois. Si de telles sommes avaient été recyclées dans l’entreprise, au lieu d’être indûment ponctionnées par un morfal, elles eussent permis, par exemple, de favoriser la création de petites entités décentralisées qui, ensuite, auraient été créatrices d’emplois tout en irriguant les budgets des collectivités locales les moins bien dotées.

Certes, il y a l’autre versant : faux chômeurs, escroqueries à l’aide sociale, tire-au-flanc vivant aux crochets de la collectivité, gabegie bureaucratique, coulages, salariats de complaisance dans certaines administrations régionales ou locales, subventions clientélistes à la tête ou plutôt à la couleur (politique) du client, organismes incrustés dont sont dissoutes depuis belle lurette les raisons d’être, missions permanentes dépourvues de missions, agences qui n’ont plus aucune fonction à répartir à leurs agents, arrosages électoralistes, détournements de charité, rentabilisations abusives des pouvoirs de nuisances ou des moyens de chantage de certaines corporations, mille et unième feuille subrepticement ajoutée à tous les mille-feuilles, gaspillages considérés comme modes de distribution annexes ou occultes…

Mais évoquer obsessionnellement ce versant-là sans jamais faire référence à l’autre, aux autres, qui ruissellent de sommes autrement plus considérables, voilà qui devrait être sifflé hors jeu. Pourquoi une telle discrétion quand il s’agit d’évoquer les faramineuses dépenses improductives, corruptrices, narcissiques, ostentatoires, parfois perverses, qui ne profitent qu’à un hyperbolique marché de l’illusion, de la domination, de l’autopromotion et de l’adoration de soi ?

 On imagine ce que serait le rapport d’une Cour des comptes du secteur privé d’en haut ! Au-delà d’un seuil d’obscénité, certaines rémunérations ne s’apparentent-elles pas à de pures et simples dilapidations de fonds, non pas publics, mais privés, fruits cependant d’un travail collectif ? On sait que des sommes énormes, avant même le peu cohérent matraquage fiscal hollandais, allaient se blottir et s’arrondir dans des holdings ad hoc disséminées sur des territoires complaisants. Or, quelle différence, au vu de l’intérêt national, entre cette captation, cette bifurcation, et des coulages dans des administrations publiques, des escamotages de subventions ou des obtentions d’allocations indues ? La seule différence, c’est que, dans un cas, celui de la délinquance fiscale et financière, les sommes en question sont himalayesques comparées aux vosgiennes gabegies publiques et, surtout, que de l’argent qui fuit et se cache, le pays ne reçoit pas la moindre goutte, alors que les sommes gaspillées, évaporées ou même malhonnêtement distillées finissent par retomber sous forme de pluie dans les recoins de notre territoire. L’autre différence, c’est que, des petits magouilleurs sur fonds d’Etat, on ne fait pas des héros.

Les économies à réaliser, on ne les exige que des autres, jamais des siens. A-t-on entendu Mme Parisot en proposer de la part de ses mandants, ne fût-ce qu’en échange de celles qu’elle ne cesse de préconiser et d’exiger ? A-t-on entendu des responsables du syndicat FO proposer une économie administrative, un allègement bureaucratique ?

Il est plaisant d’écouter les commentateurs économiques de la télévision faire assaut d’orthodoxie financière, alors que les chaînes sur lesquelles ils s’expriment ont fait massivement grève pour protester contre un plan d’économies que leur situation paraissait cependant exiger. Ou de lire, dans la presse écrite, des dénonciations bien senties du laxisme financier de l’Etat, alors même que les journaux qui les publient attendent du même Etat – et obtiennent – des subventions et soutiens tous azimuts qui feraient défaillir un libéral bon teint, c’est-à-dire à l’ancienne.

Le patron du groupe Hersant obtint, pour accompagner la mutation technologique de ses journaux, que l’Etat casse, sans lésiner, ses tirelires. Lesquels journaux n’en faisaient pas moins assaut de libéralisme intransigeant. Gabegie ? Comment peut-on qualifier autrement l’empilement de dispositifs qui ont la même finalité et s’emmêlent les pinceaux ? Chaque plan banlieue en ajoute un. Mais le même qualificatif vaut pour les effarants déploiements de forces policières et gendarmiques qu’exigeait le moindre déplacement de l’ex-président Nicolas Sarkozy ; pour la pléthorique cargaison de conseillers, clients et courtisans du prince qui accompagnent chaque déplacement du chef de l’Etat ; pour la doublure de chaque responsable ou sous-responsable gouvernemental par son ombre élyséenne ; pour l’inflation de ministres ; pour l’inflation des attachés de cabinets ; pour la prolifération de structures d’administration locale.

Sait-on ce que nous coûte notre monarchisme présidentiel ? Notre soviétisme culturel ? Ou l’accumulation des « conseils », « comités » et « centres » qui se substituent de plus en plus aux instances démocratiques ? Essayez donc de convaincre un conservateur libéral que le défilé militaire du 14 Juillet représente la quintessence même de l’argent jeté par les fenêtres.

Extrait de "Comment s'en sortir", Jean-François Kahn, (Editions Plon), 2013. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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