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10 députés appellent à abolir leurs privilèges : radiographie d’une opération de communication en dessous des enjeux
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Sont envisagées, entre autres, la suppression du régime des retraites ou encore l'instauration d'un mandat unique, dans une tribune parue dans "Le Nouvel Observateur".

William Genieys

William Genieys

William Genieys est politologue et sociologue. Il est directeur de recherche CNRS à Science-Po.

Il est l'auteur de Sociologie politique des élites (Armand Colin, 2011), de L'élite politique de l'Etat (Les Presses de Science Po, 2008) et de The new custodians of the State : programmatic elites in french society (Transaction publishers, 2010). William Genieys est l’auteur de Gouverner à l’abri des regards. Les ressorts caché de la réussite de l’Obamacare (Presses de Sciences Po [septembre 2020])

Il a reçu le prix d’Excellence Scientifique de la Fondation Mattéi Dogan et  Association Française de Science Politique 2013.

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Atlantico : Dix députés ont publié hier une tribune dans "Le Nouvel Observateur" réclamant la fin de plusieurs des privilèges accordés aux élus locaux. Sont ainsi envisagées, entre autres, la suppression du régime des retraites ou encore l'instauration d'un mandat unique. Cette tentative de restaurer l'exemplarité du politique peut-elle vraiment rassurer les Français dans cette période de crise ?

William Genieys : Certes, ce n’est pas une réponse directe et de fond à la crise budgétaire de l’Etat français, ni une reformulation de notre système de Welfare. Mais il est vrai que les réformes, engagées et à venir, demandent des efforts collectifs à l’ensemble des catégories sociales de la société française, il serait mal vu que seuls les élus politiques paraissent y échapper. Politiquement, cela à l’intérêt de montrer que l’aggiornamento est possible concernant les avantages x ou y hérités pour fait de résistance lié à la deuxième Guerre Mondiale ou encore au faste d’une tradition Républicaine qui dirigeait un empirique colonial.

Cela a également l’avantage de limiter l’impact des discours populistes de tous bords, qui s’essoufflent sur la question de la condamnation de l’inefficacité des technocrates ou encore la dénonciation des oligarchies financières, et commencent à délégitimer l’action des « élus politiques » en raison des quelques affaires qui secouent la classe politique française. Alors oui, ces réformes sur les statuts et les avantages de certains élus sont nécessaires même si la question de l’agenda peut apparaître comme une stratégie de diversion.

Au lendemain de l'affaire Cahuzac, le monde politique semble être obsédé par son image vis-à-vis des citoyens. Ne tend-on pas à oublier que les électeurs accordent davantage d'importance à l'efficacité de l'action politique qu'à sa représentation ?

Certes, en période de crise les images sociales du politique sont brouillées, et il faut faire attention plus que dans des conjonctures routinières aux grandx discours simplificateurs qui fleurissent ici et là et qui aujourd’hui sont agrémentés par la « tweetomania ». Mais que les élus politiques se préoccupent de leur image, c’est assez naturel, et qu’ils aient pris conscience qu’en raison des affaires mentionnées il fallait redoubler d’attention, c’est plutôt un bon signe sur la vitalité de notre démocratie.

En effet, cela veut dire que les élites politiques ne sentent pas au-dessus de leurs électeurs. Par contre, ce n’est pas un problème d’opposition entre action politique et représentation politique, les deux sont consubstantielles, c’est une question de traduction et de valorisation par les élites gouvernantes (ministres) et représentatives (mandat électif) des programmes d’action publique pensés par les experts et techniciens des administrations de l’Etat.

La situation est telle que l’on ne peut plus assister au jeu puéril ou irresponsable que jouait la classe politique à travers des politiques dispendieuses, qui ensuite faisait porter la responsabilité de ses échecs chroniques et multiples aux technocrates.

Aujourd’hui, des solutions existent à certains problèmes, elles sont coûteuses socialement, mais également électoralement, mais néanmoins, il faut avoir le courage de les mettre sur l’agenda politique quitte à perdre les élections suivantes. C’est cela qu’attendent les français et pas la symbolique pour de la symbolique. Mais il est clair que la défaite électorale n’est pas dans l’ « ADN » des élus politiques, c’est pourtant un principe de base de la vie démocratique. Mais je ne suis pas sur que cela puisse faire l’objet d’une réforme…

Doit-on y voir un sursaut des partis de gouvernement (PS, UMP, EELV) face aux succès récurrents du FN aux dernières législatives partielles ?

J’y vois surtout une réaction de « jeunes élus » de différents partis politiques qui ont des carrières politiques a développer et qui préfèrent introduire certaine réforme pour que la classe politique soit moins vilipendée à l’avenir. Dans l’absolu leur choix est complètement légitime, mais il ne faut pas oublier que depuis quelques décennies ce type de demande, notamment celle autour de la VIe République, est chronique.

Le problème est que même si ces réformes sont nécessaires, il n'est pas certain de voir venir celle d’une refondation de notre régime politique autour d’un nouveau pacte social introduisant de nouvelles règles qui prennent en compte la situation actuelle de la France et qui l’autorise à projeter des institutions politiques stables et durables pour le siècle à venir. Je ne suis pas sur que notre système politique comme notre société soient vraiment à même de supporter cela, si l’on ajoute les réformes économiques et sociales à engager.

Quel peut-être l'impact concret de ces mesures sur l'opinion ? 

Si l’on en croit les instituts de sondage, les citoyens attendent le gouvernement sur d’autres réformes, celle ces retraites notamment, alors il n’est pas sur que cela ait un effet direct sur la popularité du gouvernement actuel. Néanmoins, cela peut constituer un travail de fond de déminage d’un terrain politique sur lequel le FN s’est déjà engouffré depuis longtemps à savoir la dénonciation de la classe politique de gouvernement comme ceux qui s’arrogent droits et imposent les devoirs aux autres, c’est à dire le peuple.

Dans cette perspective, toutes les réformes du statut de l’élu, des carrières politiques, qui montrent justement que les élus politiques sont des gens « normaux » soumis à des règles et pas les suppôts d’un imaginaire « Ancien Régime », augmenteront non seulement la qualité du fonctionnement de notre démocratie, mais surtout couperont l'herbe sous le pied d’un discours politique frontiste sur la possibilité d’un « Nouveau Régime ». Il est difficile de combattre les thèses populistes en démocratie mais cela commence certainement par ce type d’action concrète.

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