Fraude et évasion fiscale : pourquoi il est urgent de sortir de l'idéologie si l’on veut penser efficace<!-- --> | Atlantico.fr
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Le G8 qui a pris fin hier a fait la part belle à la lutte contre l'évasion fiscale.
Le G8 qui a pris fin hier a fait la part belle à la lutte contre l'évasion fiscale.
©Reuters

Hors des clous

L'Assemblée nationale examine à partir d'aujourd'hui le projet de loi visant à instaurer un procureur de la République financier ainsi qu'une lettre rectificative au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Lutte dans laquelle sont engagées la plupart des économies développées mais qui peine à porter ses fruits.

Thomas Carbonnier et François Tripet

Thomas Carbonnier et François Tripet

Thomas Carbonnier est avocat associé au sein du Cabinet Equity Avocats. Il enseigne le droit de l’entreprise notamment à l’École des Ingénieurs de la Ville de Paris (grande école d’ingénieurs).

François Tripet est avocat fiscaliste, auteur de l'ouvrage de réference "Droit Fiscal Francais et Trusts patrimoniaux Anglo-saxons " ( LITEC, 1989 )

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Atlantico : Le G8 qui a pris fin hier a fait la part belle à la lutte contre l'évasion fiscale après qu'un rapport de l'OCDE a préconisé d'imiter la loi FATCA américaine, notamment en renforçant le contrôle automatique des données fiscales. Cette lutte dont on peine à voir les résultats concrets a-t-elle jusqu'à présent péché par manque de pragmatisme ?

Thomas Carbonnier : La France dispose d’un réseau de conventions fiscales internationales, avec des clauses d’échange de renseignements et d’assistance. Ce réseau permet d’ores et déjà d’obtenir la communication d’informations auprès d’autres Etats.

Par ailleurs, le 5 février 2012, les pays du G5, dont la France est membre, ont signé un protocole avec les États-Unis par lequel ils s'engagent à faire appliquer le dispositif Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) à leurs propres banques. Les discussions menées au cours du G8 en sont le prolongement.

En France, le poids de l’impôt est tel que beaucoup de contribuables sont tentés de s’évader en changeant de pays de résidence ou de frauder. Plutôt que d’essayer d’attirer de riches contribuables exilés à l’étranger, la France préfère se concentrer sur la chasse à la fraude fiscale…

François Tripet : Déjà, le G8 de Londres avait consacré l’union entre Merkel, Sarkozy et Cameron pour chasser le fraudeur : las ! quelques mois plus tard, certains Etats semblaient s’en sortir mieux que d’autres en sorte que l’union sacrée avait vécue ! Deux ans plus tard, à nouveau changement de discours de la part de Merkel et Cameron : la première redoute que son pays souffre de la panne française ; le second perçoit que son économie est loin d’être sortie d’affaire. On ressort donc les vieilles lunes solidaires de la lutte contre la fraude alors que l’on n’hésitait pas à entrer dans un accord Rubik 25 mois auparavant ! Il faut s’y faire : l’effarant manque de maturité de nos gouvernants en matière fiscale relève d’un constat qui peut être dressé sans faille sur deux millénaires.

Quelles mesures pourraient permettre de repenser le système actuel de contrôle fiscal ?

Thomas Carbonnier : Le système fiscal déclaratif tel que nous le connaissons actuellement est récent ! Il fut un temps où l’objectif était de taxer non pas les signes de richesse, mais la vraie richesse au travers d’un système fiscal différent.

En effet, dans une adresse aux Français du 28 juillet 1791, il était proclamé : « L'Assemblée entend établir un système d'impôts par des procédés d'évaluation qui ménageront la tranquillité, l'intimité, la dignité des contribuables. Sachant par leur expérience et par les instructions que vous leur avez données que les visites domiciliaires et les exactions qu'elles entraînent sont insupportables à des hommes libres, vos représentants se sont crus religieusement obligés de repousser tout projet d'imposition dont la perception aurait obligé que l'on pût violer l'asile de sa vie que chaque citoyen a le droit de trouver dans sa maison ».

Adam Smith (1723-1790) estimait d’ailleurs qu’« une inquisition sur la situation des affaires privées de chaque individu et une inquisition qui, pour faire cadrer l'impôt avec cette situation, épierait toutes les situations de la fortune, serait une source si féconde de vexations continuelles et interminables que personne au monde ne pourrait la supporter ».

C’est dans cet environnement que les révolutionnaires français de 1789 avaient envisagé d’établir un impôt unique sur la propriété immobilière, et plus particulièrement la terre (richesse immobilière). Seule la richesse réelle devait être frappée et non ses signes.

Ce système fiscal basé sur le foncier était composé de quatre contributions : les contributions directes, la foncière, la mobilière, et la patente. Leur longévité leur a valu le surnom de « Quatre Vieilles ». Elles avaient toutes essentiellement pour base l'immobilier.

Elles se fondaient sur un revenu théorique correspondant à la valeur locative cadastrale. Autrement exprimé, la taxe portait sur les gains susceptibles d’être tirés de la location du bien immobilier. Peu importait que le bien soit loué ou non. La patente et la contribution des portes et fenêtres portaient également sur des immeubles.

La contribution mobilière voulait atteindre le revenu du capital notamment à partir de signes extérieurs. À l'origine, elle était formée de cinq taxes différentes : la taxe civique fixée à la valeur de 3 jours de travail ; celle sur les chevaux ; une autre sur les domestiques ; la cote d'habitation ; la taxe sur les revenus d'industrie et les richesses mobilières. Les charges de famille étaient prises en compte car elles réduisaient le revenu disponible. La taxe civique et celle sur les revenus d'industrie faisaient que le travail était soumis à l'impôt. Cependant, le revenu servant de base à la contribution foncière était déduit de celui soumis à la mobilière, le capital venait donc s'imputer sur le travail.

Dix ans après la Révolution, ce système s’étant révélé trop complexe, la contribution mobilière ne portait plus que sur la valeur locative de l'habitation. Elle restait toutefois calculée en fonction des facultés contributives du citoyen.

Avec le développement du capitalisme, la richesse autrefois essentiellement immobilière tend à devenir de plus en plus mobilière (actions de sociétés). Le système fiscal de la révolution française, qui pourrait être une source d’inspiration, ne semble plus adapté à notre société moderne…

La fiscalité est le sujet de révolutions, de passions et d'agitations depuis deux siècles. Elle demeure en France un sujet politique hautement sensible et empreint de fortes émotions. Aussi, sa réforme en profondeur, pour assurer une meilleure répartition de son poids entre les contribuables, apparaît bien difficile.

François Tripet : La lutte contre la fraude fiscale relève, de la part de nos gouvernants et depuis la nuit des temps, d’une fonction biologique essentiellement « réactive-éruptive » : rien n’est pensé, ni préparé, tout est affaire de réaction épidermique. Pourtant, les penseurs et auteurs de qualité ne manquent pas mais nul ne les lit, tant l’urgence éruptive est aveuglante. Leurs enseignements sont pourtant dignes d'intérêts :

- Premièrement (la fameuse courbe de Laffer) : trop d’impôt tue l’impôt. C’est l’impôt lui-même , par sa brutalité ou son impréparation, qui est la première cause de sa ruine .Aucun gouvernant ne l’admettra aisément, tant est grande la tentation facile d’appuyer sur le bouton législatif pour faire sortir un supplément de jus fiscal. Ciceron ,voici 2200 ans, qui fut un remarquable gouverneur de province avant de devenir le contempteur des excès de Jules César , écrivait : « la loi naturelle nous conduit à ne pas comprendre pourquoi nous devrions consacrer plus du tiers de nos efforts à sauvegarder l’harmonie d’une société pour qu’elle nous garantisse l’appropriation des deux autres tiers » .

- Ensuite, Le contribuable suit la règle qui lui convient le mieux. C’est donc une erreur totale d’imaginer que la règle fiscale s’impose au contribuable qui n’en veut pas . Plus grande est la distorsion entre l’idéal souhaité par le contribuable et l’espace que lui laisse la puissance publique, plus cette dernière s’épuise dans le forcement d’une règle inapplicable . On en voit le constat tous les jours avec les grandes entreprises multinationales : ce sont elles qui savent le mieux ce qui leur convient et le résultat en est une productivité et une richesse dont tous profitent, la puissance publique la première. Si vous voulez contraindre une multinationale à se ruiner face à la concurrence pour les beaux yeux d’un politicien dont la carrière ne dure le plus souvent que l’espace d’une élection, elle déplacera les termes opératoires pour les besoins de sa propre survie : tenter de la poursuivre pour « fraude » ou « évasion » est d’une insupportable posture qui ne conduit qu’à satisfaire les imprécateurs. Ca ne fera pas rentrer plus d’argent, ça déplacera seulement le problème .

- Enfin, il y a un problème de conception, dans le sens où il est paradoxal de reprocher au contribuable une quelconque « fraude » lorsque l’on sait que la première des fraudes est celle des mots : en effet, le propre d’une « règle » , spécialement en matière fiscale, est qu’elle soit « établie » ; comment peut on oser parler de l’assise d’une règle lorsque les Gouvernants la change en permanence ? l’instabilité de la règle est une source majeure d’appauvrissement de l’impôt.

Résumons nous : pour lutter contre la « fraude » (entendez plus simplement « pour lutter contre la diminution des recettes fiscales » !) , il existe trois recettes éternelles : la stabilité de la règle, la modération de la règle, l’adaptabilité de la règle . C’est très exactement l’inverse que nos gouvernants nous distillent depuis des lunes . Qu’on ne s’étonne donc pas qu’ils soient la première cause de la « fraude » qu’ils dénoncent , pardon « de la perte de recettes qu’ils déplorent » !

L’exemple suisse « d’imposition au forfait fiscal » qui se base sur le train de vie des contribuables plutôt que sur leurs revenus, ne pourrait-il pas être plus efficace pour éviter toute forme de tricherie ?

Thomas Carbonnier : Les avantages réservés par la fiscalité suisse nécessitent l’obtention de forfaits qui doivent être négociés avec l’administration cantonale. Le régime d’imposition au forfait signifie payer ses impôts sur son train de vie, sur ce que l’on dépense dans le pays et non sur ses revenus. Généralement, le revenu forfaitaire est évalué autour de 400 000 € annuels (variable selon les cantons). C’est sur cette base que sont appliqués les taux de l’IR. Sous réserve d’adaptations, ce pourrait être une piste à étudier pour réformer la fiscalité...

L’exemple fiscal des pays de l’ex-URSS un système de flat tax pourrait être une autre piste de réflexion. Le taux applicable en Russie est par exemple de 13%. C’est fiscalement très alléchant.

Quelle que soit la piste retenue, il faudrait également s’intéresser à la réforme des prélèvements sociaux, aux droits de succession, aux droits de donation, etc, en remettant tout à plat dans un souci d’équité pragmatique.

  1. En France, l'arsenal juridique prévu par le Code Général des Impôts ne permettrait-il déjà pas de lutter massivement contre la fraude et l'évasion ?

Thomas Carbonnier : Il convient de distinguer la fraude de l’évasion fiscale. La fraude fiscale consiste à se soustraire à l’impôt de façon illicite. C’est un délit fiscal et aussi délit pénal. En revanche, l’évasion est parfaitement licite puisqu’elle consiste, pour l’essentiel, à changer de lieu de résidence fiscale.

Les schémas de fraudes fiscales classiques réalisés par des contribuables sont généralement vite détectés et sanctionnés par l’administration fiscale.

Rappelons que le fichier EVAFISC, créé fin 2009, a pour objectif de recenser des informations laissant présumer de la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques ou morales. Les informations peuvent être transmises par des tiers, tels que l’autorité judiciaire ou d’autres pays lors de la mise en œuvre de l’assistance administrative internationale. A l’aide de ce fichier, la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) analyse et vérifie les données collectées.

La France s’est également dotée d’une Brigade Nationale de Répression de la Délinquance Fiscale qui est constituée de policiers et d’agents des finances publiques (appelés officiers fiscaux judiciaires) pour intervenir de façon plus musclée...

A ceux-ci s’ajoutent le système d'échange d'informations entre Etats membres EUROFISC, pour mieux lutter contre les fraudes internationales à la TVA (fraudes carrousel).

Certains départements de l’administration fiscale ont d’ores et déjà programmés leurs dates des contrôles fiscaux. En cas de fraude avérée, ils risquent d’une peine d’emprisonnement et des pénalités très élevées de l’ordre 80% en cas d’abus de droit et 4,8% d’intérêts de retard par an ! Pour cette raison, de nombreux contribuables fraudeurs gagneront à prendre les devants en ayant recours à un avocat fiscaliste pour négocier leurs pénalités avec le fisc et alléger la note. L’administration fiscale est en effet encline à être plus souple pour les repentis volontaires, ceux qui prennent les devants, que pour ceux qu’elle ira débusquer au fin fond d’un compte caché dans un paradis fiscal !

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