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Les prévisions portant sur la croissance du PIB américain ces trente dernières années n'ont presque jamais correspondu avec la réalité.
Les prévisions portant sur la croissance du PIB américain ces trente dernières années n'ont presque jamais correspondu avec la réalité.
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Si j'avais su...

Il apparaît dans un graphique de la Société générale que les prévisions portant sur la croissance du PIB américain ces trente dernières années n'ont presque jamais correspondu avec ce qui s'est réellement produit. Et alors que les chiffres sont, dans les faits, passés à plusieurs reprises en-dessous de zéro, les prévisionnistes se sont toujours refusés à franchir cette barre.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Crédit : Société Générale

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Atlantico : Un graphique de la Société générale montre à quel point depuis plus de 30 ans les prévisions sur la croissance du PIB aux Etats-Unis sont en décalage avec ce qui s’est réellement passé. Si les prévisionnistes se trompent autant, ont-ils réellement une utilité ?

Jean-Yves Archer : Votre remarque générale sur la divergence entre les prévisions et la réalité est incontestable et concerne bien des pays, y compris la France. Pour les Etats-Unis, il est raisonnable de penser que la flexibilité de leur économie engendre des variations d'autant plus délicates à détecter. Ainsi, en cas de repli d'activité, il est d'autant plus accentué que les licenciements sont alors monnaie courante d'où une contraction assez rapide de la demande. A l'opposé, ce grand pays a le talent du rebond par la constitution de géants sous quelques années. Songeons à Microsoft, Google, Amazon, etc. Cette irruption sur le scène des producteurs d'acteurs de taille majeure est un phénomène difficile à planifier dans des modèles de prévisions qui n'aiment pas le mot : disruptif. Enfin, troisième élément, les Américains sont des citoyens ou des producteurs très sensibilisés à l'économie : ils alimentent donc la théorie des anticipations rationnelles qui veut que les agents effectuent des calculs prévisionnels assez pointus. D'où, par exemple, des vagues d'achats si une période inflationniste semble se profiler à l'horizon.

De ces trois éléments, on déduit des facteurs sérieux qui expliquent la divergence entre le prévu et le réel. Comme vous, il faut être prudent sur le recours à ces prévisions qui ont des taux d'erreurs parfois dignes d'un bloc de fonte posé sur un livre de macroéconomie.

Pour en savoir plus, lire sur Atlantico Editions Oui, les marchés financiers sont irrationnels, d'Evariste Lefeuvre

Les Etats, les marchés et les entreprises peuvent-ils pour autant se passer de prévisions, même erronées ? La peur de l’inconnu et le besoin de nous raccrocher à certaines informations, aussi fragiles soient-elles, nous empêchent-ils de sauter dans l’inconnu ?

Concernant les entreprises, Antoine Riboud éminent fondateur de BSN devenu Danone ( dans l'Heure de vérité en 1999 ) avait expliqué que son groupe parvenait de manière correcte à planifier ses ventes. C'est ce qui ressort du rapport annuel 2012 ( " Innove " ) de L'Air Liquide. Donc, les grandes firmes savent assez convenablement les tendances de leurs marchés. Hélas, c'est très différent pour les PME, pour la sous-traitance et autres qui sont des variables d'ajustement et qui, notamment en ce moment, une très faible visibilité de leur carnet de commandes. Plus la situation macro-économique est incertaine et floue donc peu lisible, plus les éléments de visibilité font défaut.

Concernant l'Etat, cet agent d'importance a besoin de chiffrages prévisionnels mais la variable politique vient trop souvent interférer avec les tentatives de juste appréciation des économistes. Dans un article publié ici le 16 octobre 2012, nous avions écrit que les 0,8% de croissance pour 2013 était une prévision " à valeur d'insulte pour l'intelligence ". A cette époque, une majorité d'analystes tablaient déjà sur 0,2 à 0,3% : il y a donc eu duperie sous couvert d'un volontarisme qui n'apporte rien sauf des désillusions. Comme Raymond Barre et bien d'autres l'estiment, le citoyen est à même de comprendre ce qui se trame. En clair, il pressent l'horizon et il est contreproductif de chercher à bâtir un rideau de fumée. Nous verrons si le HCFP ( Haut conseil des Finances publiques ) parvient à faire rectifier des trajectoires de croissance manifestement surévaluées. Vaste programme.

Un fait est particulièrement frappant : les prévisions ne passent jamais sous la barre des zéros, alors que dans les faits cela s’est passé à plusieurs reprises.  Existerait-il un « tabou » qui dissuaderait les économistes de procéder à des « sous-prévisions » ? Pourquoi ?

Freud a finement analysé les tabous et les totems : on peut donc répondre positivement à votre question. Il y a sûrement une incapacité culturelle à vouloir quantifier le pire. C'est totalement vrai dans le cas de la Grèce où l'impact récessif du plan de rétablissement a été vraiment minoré comme le reconnait désormais la Troïka. C'est aussi vrai pour l'exploitation de certaines données brutes du modèle Mésange.

Que faudrait-il pour se rapprocher de prévisions un tant soit-peu proches de la réalité ?

Plus d'humilité face aux faits. Plus d'interdisciplinarité. Donc plus d'économie politique que de sciences économiques. Par ailleurs, plus de sens du jugement digne de celui des anciens qui savent travailler avec talent la vigne. Autrement dit, nous sommes en phase avec cette citation de Gustave Le Bon : " En matière de prévision, le jugement est supérieur à l'intelligence. L'intelligence montre toutes les possibilités pouvant se produire. Le jugement discerne parmi ces possibilités celles qui ont le plus de chance de se réaliser ".

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