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Le PS est-il devenu une machine à alimenter le vote FN ?
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Défaites

Ce dimanche, le candidat PS a été éliminé dès le premier tour des législatives partielles de la troisième circonscription de Lot-et-Garonne, ancien fief de Jérôme Cahuzac. A l'annonce du résultat, les militants socialistes ont hué le candidat FN, qualifié pour le second tour.

Jean-François  Kahn,Bruno Cautrès et Laurent Pinsolle

Jean-François Kahn,Bruno Cautrès et Laurent Pinsolle

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste. Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne. Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012. Il est l'auteur de "La catastrophe du 6 mai 2012".

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques.

Laurent Pinsolle tient le blog gaulliste libre depuis 2007. Il est également porte-parole de Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan.

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Atlantico : Ce dimanche, le candidat socialiste est arrivé derrière celui du FN et a été éliminé dès le premier tour des législatives partielles de la troisième circonscription de Lot-et-Garonne, ancien fief de Jérôme Cahuzac. Quelle est la part de responsabilité du PS dans cette progression du FN? 

Laurent Pinsolle : La part de responsabilité du Parti Socialiste est colossale. Le vote de Villeneuve-sur-Lot a un double sens :

François Hollande avait été élu sur un triple agenda : une forme plus modeste, une relance de la croissance pour réduire le chômage et les inégalités et la lutte contre la finance. Si la forme est plus modeste que celle de son prédécesseur, les Français sont préoccupés par le manque de volontarisme et d’action de l’équipe au pouvoir, qui semble ballottée par les flots, alors que son prédécesseur semblait au moins un peu plus actif et réactif. L’ancien candidat socialiste avait également été élu pour réorienter l’Europe vers des politiques plus favorables à la croissance. Et au lieu de la relancer, elle a encore diminué, au point que le pays est entré en récession et subit une nouvelle forte hausse du chômage.

Enfin, les électeurs n’ont pas l’impression que l’équipe au pouvoir a véritablement changé la donne sur la réforme de la finance puisque le président de la Société Générale a révélé que le projet gouvernemental n’allait affecter qu’1% de ses actifs. Le gouvernement ne satisfait personne. La gauche lui reproche son manque d’action pour la croissance et l’emploi et de privilégier la baisse des déficits. La droite lui reproche les multiples hausses d’impôt.

Le deuxième sens du résultat de cette élection, c’est bien sûr une sanction contre le parti de Jérôme Cahuzac. Les électeurs sont sidérés que François Hollande ait mis à la tête du budget (et donc de la lutte contre la désertion fiscale) une personne qui avait caché son argent en Suisse. Tout le volet moral de sa candidature est profondément ébranlé par cette affaire.

En fait, beaucoup d’électeurs ont l’impression d’avoir été trahis sur la plupart des plans. Et encore, la sanction est limitée par le spectacle peu motivant donné par une UMP qui n’est pas sortie de sa querelle des chefs et pénalisée par les multiples affaires dans lesquelles certains de ses chefs sont impliqués.

Jean-François Kahn :En raison de son refus de regarder en face les questions dérangeantes comme l'immigration et l'insécurité, de son refus de prendre en compte les revendications des petits artisans et des petits commerçants, de son discours "boboïsant" sur les questions sociétales au détriment des questions sociales, la responsabilité de la gauche est importante. La presse, qui représente la gauche bourgeoise et petite bourgeoise, a également une responsabilité importante.

Mais la droite a également une part de responsabilité. L'UMP de tendance "copéiste"  est ressentie comme disant la même chose que le FN, mais en moins social et en plus patronal. Logiquement, un électorat populaire en colère, va préférer le FN.

Si pour le PS cette élection est un désastre, il s'agit également d'un vrai échec pour l'UMP. En dépit du marasme actuel du PS, la droite n'a pas progressé depuis les dernières législatives. Dans cette circonscription, le candidat de l'UMP fait exactement le même score qu'en 2012. Malgré l'échec du gouvernement, la crise économique qui s'aggrave et l'affaire Cahuzac, il plafonne à 28%. Cette élection est avant tout une nouvelle manifestation du rejet des deux grand partis de gouvernement. 

Bruno Cautrès : Il faut tout d'abord prendre le recul de l'analyse des résultats. Comme l'ont montré mes collègues de Sciences po, par exemple Thomas Guénolé, il n'y a pas eu de montée spectaculaire du vote FN lors de cette élection législative partielle. L'augmentation spectaculaire en pourcentage des suffrages exprimés par rapport à 2012 (+11 points de pourcentage) dans cette circonscription cache en fait une relative stabilité en pourcentage des électeurs inscrits et un légère progression en bulletins de vote. C'est l'augmentation de l'abstention (64% de participation en 2012 et seulement près de 46% en 2013) qui est importante. Et n’oublions pas que l’UMP n’enregistre pas non plus de progression forte même si son candidat arrive en tête du premier tour.

Néanmoins, et notamment du point de vue politique, pour le PS cela pose de nombreuses questions : cela fait à présent huit élections législatives partielles qu'il perd depuis 2012. Si chacune est un cas à part, cela commence néanmoins à faire beaucoup et à poser des questions à gauche et pour le gouvernement : ces mauvais résultats électoraux viennent comme en écho de l'impopularité de l'exécutif malgré quelques récentes et légères remontées de la popularité. Sans compter les voix qui commencent à se faire entendre à gauche : les grands choix économiques, marqués par un compromis entre les faibles marges de manœuvre économiques et la recherche de la compétitivité, représentent-ils un centre de gravité qui convient à toute la gauche ? Et ces questions réveillent les débats sur le rapport de la gauche de gouvernement au « changement » et aux milieux populaires, qui constituent aujourd’hui une solide assise du vote FN.

Le PS fait-il preuve d'un déni de réalité ?

Laurent Pinsolle : Oui, le PS fait preuve d’un déni de réalité. Il y a un écart criant entre ce que dit le gouvernement et la réalité qui explique ses huit défaites consécutives. Quand Arnaud Montebourg dit qu’il a sauvé 60 000 emplois sur 70 000 qui étaient menacés, personne ne le croît. Le plan social de PSA seul représente plus de 10 000 emplois perdus. Et on ne compte pas Renault, Goodyear, Continental, Arcelor, Sanofi… A force de dire n’importe quoi, le gouvernement perd toute crédibilité.

Il en va de même quand le gouvernement se glorifie d’avoir réorienter l’Europe vers plus de croissance alors même que la zone euro en est à 6 trimestres consécutifs de récession ! L’écart entre le discours et la réalité saute aux yeux et discrédite la parole du pouvoir, au point que les Français ne semblent même plus vouloir écouter, comme le montrent les audiences décevantes de l’émission Capital dimanche soir.

Au-delà du contexte local invoqué par le président de la République, quels effets les choix politiques du gouvernement et sa posture "moralisatrice" à l'égard du FN ont pu avoir sur le résultat de cette élection et plus largement sur l'opinion ?

Jean-François Kahn : Depuis plusieurs mois, le PS s'embarque dans une fuite en avant dans les sujets sociétaux (mariage gay, PMA, prostitution) pour dissimuler qu'il est en train d'empoisonner le terrain économique et social. C'est une stratégie qui ne fait pas illusion et qui au contraire nourrit l'exaspération populaire. Dans ce contexte, il y a une vraie possibilité de progression pour le FN.

Bruno Cautrès : On ne peut comprendre ce qui s’est passé dimanche dans cette circonscription sans prendre en compte les deux aspects. Rappelons une évidence : sans l'« affaire Cahuzac », il n’y aurait pas eu de législative partielle….Et cette « affaire » touche de plein-fouet l’image d’exemplarité et de justice fiscale qu’entendent incarner François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Un autre élément, intermédiaire entre les contextes local et national, est celui du nombre de candidats de la gauche qui étaient présents au premier tour. Le PS est encore, sur cette question, un peu « traumatisé » par le 21 avril 2002 et ses alliés ont envie de faire entendre leur différence. Enfin, il y a des éléments de contexte national : l’économie qui va mal, les annonces sur les retraites qui inquiètent, les hausses des impôts. Cette combinaison était un challenge difficile pour le candidat du PS, même dans le contexte de l’ex « fief » de Jérôme Cahuzac. Le coup de semonce parti du Lot et Garonne hier va sans doute être analysé à la loupe par la Rue de Solférino...

Le PS est-il devenu un machine à exclure ? Par quels moyens ? Que faut-il penser du Front républicain ?

Laurent Pinsolle : La gestion du débat sur le mariage pour tous a été calamiteuse. Le Parti Socialiste s’est avancé dans le débat avec une posture moralisatrice, partant du principe que tous ceux qui s’y opposaient étaient des homophobes réactionnaires, alors qu’ils auraient du admettre que la grande majorité cherchait juste à défendre leur vision de l’intérêt général. Il y a eu un manque criant d’écoute, et pas de reconnaissance de la légitimité du débat. A ce titre, l’attitude de la grande majorité des médias (qui a milité ouvertement pour le mariage pour tous) a accentué la crispation des opposants qui n’appréciaient pas d’être caricaturés et de se voir donner des leçons au lieu de débattre.

On peut se demander s’il n’aurait pas été plus pertinent de couper le débat de manière différente, d’un côté le mariage sans la parentalité, de l’autre la parentalité, l’adoption et même la PMA. Il est probable que de cette manière, un relatif consensus serait apparu pour la première partie, ce qui aurait contribué à un débat plus apaisé, puisque les lignes auraient été moins tranchées que pour la parentalité, qui était l’objet du contentieux. Mais le PS a sans doute voulu déclencher une guerre idéologique sur ce sujet pour repousser la droite plus à droite, un peu comme Nicolas Sarkozy avait cherché à cliver pour remobiliser son camp en 2012.

Sur beaucoup de sujets, le PS adopte une attitude moralisatrice et affirme qu’il n’y a que son choix qui est bon, refusant le débat démocratique (sur le traité budgétaire européen ou l’Europe en général, sur sa politique budgétaire, ou pour l’emploi), ce qui a le don de radicaliser tous les opposants. Le Parti Socialiste semble avoir complètement oublier que la démocratie, c’est justement la liberté de choix et qu’il y a forcément plusieurs choix…

Jean-François Kahn :  La gauche soixante-huitarde a toujours eu tendance à ostraciser l'adversaire. Elle le diabolise, le criminalise de manière presque systématique. C'est ce qu'illustre parfaitement le concept de populisme employé à des fins purement "disqualificatrices". Dès lors qu'on n'est pas d'accord, on est désormais "populiste".  On a également retrouvé cette logique lors du débat sur le mariage homosexuel : les personnes qui s’opposaient au mariage homosexuel venaient d'horizons très différents : il y avait des "réacs" et des extrémistes, mais aussi la droite gaulliste ou la gauche chrétienne qui s'y opposait pour des raisons intimes et profondes. Il fallait les respecter. Malheureusement, la tendance des partisans du mariage homosexuel a plutôt été de les rejeter, voire de les "fasciser"...

Concernant le Front républicain, cette stratégie est devenue complètement obsolète. Le Front national a seulement deux députés alors qu'il représente presque 20 % des électeurs. Je ne vois pas en quoi ce serait un drame qu'il soit représenté par un troisième député. Cette espèce d'alliance des contraires pour empêcher un parti d'accéder à l'Assemblée nationale donne une impression de refus de la démocratie et de la représentativité. Cela conforte le discours du Front national sur l'UMPS. De toute façon, ces élections partielles ont montré que  les électeurs ne suivent plus les consignes.

Par ailleurs à partir du moment où il y a une certaine radicalisation à droite à travers la stratégie de Jean-François Copé, cette stratégie n'a plus beaucoup de sens. Le discours du FN sur les mœurs ou la question de l'immigration est très proche de celui de Jean-François Copé et en plus Marine Le Pen a un discours beaucoup plus social que celui-ci. Elle n'est donc pas perçue par l'électorat, et notamment l'électorat de gauche, comme plus à droite que la fraction la plus à droite de l'UMP.

Que faut-il penser des réactions violentes des militants PS à l’annonce de la qualification du candidat FN (celui-ci a été hué, invectivé et traité de fasciste) ? Les militants socialistes en viennent-ils à utiliser les mêmes méthodes que ceux qu'ils veulent combattre ?

Laurent Pinsolle : Certaines réactions de militants socialistes sont franchement choquantes car le FN est un parti légal et ce faisant, ils manquent de respect pour les électeurs qui ont mis le candidat du FN devant le PS. Ces réactions ne sont clairement pas très démocratiques. Après, je ne pense pas que l’on puisse faire un parallèle entre des personnes qui se réclament de Jaurès et des personnes qui rendent des hommages Dominique Venner ou Bastien-Thiry.

Jean-François Kahn : C'est une attitude ridicule car il le candidat du FN représente 26 % des électeurs. Des deux côtés, il y a une tendance déplorable à la caricature, au paroxysme et à l'invective. On peut le voir par exemple à travers la violence inouï des commentaires sur le site internet du Figaro. De même que sous Nicolas Sarkozy des gens de gauche se livraient à des excès. Ce n'est pas bon pour la démocratie et ce qui n'est pas bon pour la démocratie fait le jeu des extrêmes. Plus encore que le PS, deux personnes font aujourd'hui le jeu du Front national : Jean-François Copé d'un côté et Jean-Luc Mélenchon de l'autre. La radicalité de leurs discours donne l'impression que Marine Le Pen est plutôt modérée. Cela la normalise et fait son jeu.

De manière générale, peut-on dire que le PS en est venu à alimenter le vote FN ? En quoi cela a-t-il pu changer la nature de ce vote  ?

Laurent Pinsolle : Complètement, le PS est le principal responsable de la montée du Front National. Quand on constate que la sociologie électorale du FN est nettement de gauche (son score est inversement proportionnel au niveau des revenus), cela est bien le signe que les classes populaires ne croient plus du tout dans le PS. Mais ceci n’est pas nouveau. Déjà, en 2002, les ouvriers avaient largement préféré Jean-Marie Le Pen à Lionel Jospin. Les classes populaires, qui sont les premières victimes de la crise (chômage, baisse de pouvoir d’achat) ne croient plus dans la capacité du Parti Socialiste à améliorer leur destin. Et comme l’UMP n’a pas été plus efficace au pouvoir, elles se tournent en masse, et logiquement, vers le plus gros parti qui s’est toujours opposé aux politiques suivies.

En outre, l’angélisme du Parti Socialiste sur les questions de sécurité et d’immigration ne passe plus du tout dans les classes populaires. Pour paraphraser Jean-Claude Michéa, le Parti Socialiste semble être devenu le parti des immigrés clandestins (qu’il veut régulariser et garder sur le territoire) et des délinquants (avec qui il faut être compréhensif). Sachant que les violences aux personnes progressent depuis plus de 15 ans, ce discours heurte les classes populaires qui sont les premières à subir cette progression des violences physiques et l’insécurité culturelle provoquée par la montée des communautarismes qu’une majorité du PS accepte, pour ne pas dire encourage. 

Jean-François Kahn :  Comme je l'ai expliqué plus haut, le déni de la gauche de certaines réalités a souvent alimenté la colère des électeurs, notamment celle des classes populaires. Mais, le fait que les ouvriers se détournent du vote socialiste au profit du FN n'est pas nouveau. Dans le cas présent, l'électorat ouvrier n'est pas très important dans la circonscription de Villeneuve-sur-Lot. En revanche, c'est un endroit où il y a un électorat traditionnel paysan et rural de gauche. D'après les premiers résultats, il semblerait que c'est cet électorat, très important, qui a abandonné le parti socialiste. C'est extrêmement rare et inquiétant.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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