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Aujourd’hui particulièrement, les entreprises moyennes ont besoin de reconnaissance, de stabilité économique, juridique et fiscale.
Aujourd’hui particulièrement, les entreprises moyennes ont besoin de reconnaissance, de stabilité économique, juridique et fiscale.
©Reuters

B.a.-ba

Le rapport Queyranne, qui sera remis à Arnaud Montebourg mardi 18 juin, prévoit de réduire de trois milliards d'euros les aides publiques accordées aux entreprises. Le coût total de ces aides est estimé à plus de 100 milliards d'euros par an.

Éric  Verhaeghe,Olivier Babeau et Bernard Cohen-Hadad

Éric Verhaeghe,Olivier Babeau et Bernard Cohen-Hadad

Éric Verhaeghe est l'ancien président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
 

Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Olivier Babeau est professeur de stratégie d’entreprise à l’université Paris 8. Co-auteur d’une biographie sur l’homme politique de la Troisième République Jean Zay, il a également publié en 2011 La transgression ordinaire (Ed. Eska), et, en septembre 2012, Devenez stratège de votre vie (éd. JC Lattès).

Il publiera en juin 2013 Les nouvelles énergies pour les nuls aux éditions First.

Bernard Cohen-Hadad est président de la commission financement des entreprises de la CGPME. Il est également président du think-tank Etienne Marcel et assureur.

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Atlantico : Alors que le rapport Queyranne suggère de couper 3 milliards d'euros d'aides aux entreprises, Arnaud Montebourg a présenté vendredi un "logiciel" permettant d'estimer pour une entreprise les bénéfices qu'elle tirerait à relocaliser ses activités en France. Outre ces mesures relatives aux coûts, ces politiques - même si elles partent d'une bonne intention - révèlent-elles une incompréhension à l'égard du monde de l'entreprise ?

Eric VerhaegheVous voulez dire : est-ce qu'une politique économique, c'est un concours Lépine de la mesure la plus favorable aux entreprises ? S'il n'y avait pas des millions d'emplois à la clé, je dois dire que le spectacle offert par le gouvernement serait assez divertissant. Il me rappelle le film E la nave va, de Fellini, où l'on voit une cohorte d'aristocrates ne jamais quitter le pont du bateau, mais beaucoup disserter de ce qu'il faut faire et ne pas faire aux étages inférieurs. Chacun y va de sa petite considération pour pouvoir briller dans les dîners mondains et tirer la couverture à lui, dans les médias ou ailleurs. Que tout cela coûte cher et ne serve à rien ne constitue évidemment pas une préoccupation pour cette caste parasitaire qui vit sur le dos de la bête comme l'aristocratie sous Louis XVI.

Dans la pratique, je vois mal comment le gouvernement va pouvoir sortir indemne de cette phase critique où les marchés financiers ne tarderont pas à sanctionner des annonces et des promesses suivies par un vide opérationnel criant. D'un côté, on nous a annoncé un crédit d'impôt compétitivité qui n'est absolument pas financé et qui va faire "flop". De l'autre, le gouvernement va bien devoir donner le sentiment de se préoccuper un peu des affaires du pays qu'il est supposé diriger. Pour cela, soyons clairs, il va falloir augmenter les impôts de toutes parts. Personne n'y échappera. Les entreprises, qui se sont entendus promettre monts et merveilles, devront passer à la caisse.

Il faut évidemment n'avoir jamais connu l'angoisse du chef d'entreprise, qui voit ses clients se faire rare et ses appels à cotisations tomber régulièrement, pour imaginer qu'un logiciel va changer le cours des choses. De ce point de vue, l'annonce faite par Montebourg est pathétique, et illustre bien tout le décalage qui existe entre une classe politique professionnalisée, pour qui l'action quotidienne consiste à produire des règlements et des lois, et le pays réel, dont l'enjeu est de vendre des produits et dégager de la valeur.

Sur le fond, je ne jette pas la pierre : en toute bonne foi, Montebourg imagine probablement qu'agir c'est faire des lois, des circulaires, des logiciels. C'est sa forme de contribution à la prospérité collective. Mais s'il connaissait des chefs d'entreprise, il saurait que leur obsession n'est pas d'obtenir des subventions ou de jouer au golf sur le parcours interminable des réglementations françaises. Et si Montebourg n'avait pas les idées obscurcies par une vie passée en huis clos dans les couloirs du pouvoir où l'on rampe sans amour propre pour avoir des postes, il comprendrait que le problème n'est pas de livrer un logiciel pour aider les chefs d'entreprise à s'y retrouver dans les règlements. Le problème est de simplifier les règlements, d'en diminuer le nombre et le volume.

Tiens... vous avez remarqué? plus personne ne parle du choc de simplification... ou alors comme d'un lointain souvenir.

Olivier Babeau : L’attractivité ne se décrète pas. Elle est la conséquence à la fois de conditions objectives (système fiscal, formation de la main d’œuvre, etc.) et subjectives (l’attitude des institutions locale face aux entreprises par exemple). Dans les deux cas, ces conditions sont aujourd’hui clairement négatives. On peut se féliciter néanmoins que l’attractivité soit devenu un thème d’actualité des discours politiques car cela témoigne d’un début de compréhension de la part de nos responsables. Mais la route est encore longue, comme en témoigne l’extravagant et technocratique système du crédit impôt compétitivité dont l’inefficacité était prévisible, et qui est très loin de compenser l’alourdissement fiscal qui l’a précédé. Au pays de Descartes, l’incapacité de notre administration à mettre en place des processus simples ne laisse pas d’étonner. Les trop nombreuses aides aux entreprises en sont l’exemple le plus désolant : pour alléger des charges pesant sur le travail dont on comprend qu’elles sont trop lourdes, on multiplie les niches et décharges de toutes sortes, rendant ainsi (en partie) d’une main ce que l’on prend de l’autre, et créant d’importants coûts liés à la complexité.
Bernard Cohen-Hadad : Les deux exemples que vous évoquez sont significatifs de la complexité de notre situation économique, de la volonté des politiques de chercher et de trouver des remèdes pour sortir de la crise. Avec plus ou moins d’effet de levier, plus ou moins de réformes structurelles à court, moyen et long terme, plus ou moins de réalisations concrètes, d’effets de communication ou de gadgets. La gauche au pouvoir, qui a annoncé la priorité aux PME et le changement. Cinq ans après le début de la crise elle se demande comment s’y prendre.  Une chose est sûre, elle ne pourra pas se passer de la confiance des entrepreneurs pour emprunter le chemin de la croissance. Cette confiance est encore au plus bas. Les différents baromètres en témoignent régulièrement. Personne ne doit s‘en réjouir. Cette réflexion sur la place de "la diversité PME" dans notre société nous n’avons pas attendu mai dernier pour la mener au sein du think tank Etienne Marcel. C’est un débat à conduire sans a priori et sans esprit partisan. Il n’est pas toujours accepté même dans le monde de l’entreprise car il bouscule les idées reçues et les allégeances. Mais il est au cœur de l’évolution de notre choix de société. Malgré les Assises de l’Entrepreneuriat, il reste à valoriser l’esprit PME. Il reste à inventer une nouvelle politique entrepreneuriale à destination des TPE-PME. Il reste à reconnaître la place centrale que jouent ces entreprises dans notre économie et dans nos régions. Il reste à mettre en place une stratégie cohérente et dresser un tableau précis du financement des PME. Il reste à donner aux organisations patronales représentatives, et aux vrais entrepreneurs, leur juste place dans les instances qui les concernent. Il reste à valoriser la prise de risque et sa rémunération… Ces attentes sont-ils une découverte pour les politiques de la majorité ou de l’opposition ? Mais effectivement de chaque côté de l’échiquier une infime minorité d’élus vient du monde de l’entreprise. Cela ne veut pas dire qu’ils ne le mesurent pas.
Concernant l’orientation des aides publiques aux entreprises, l’enjeu n’est pas de reconnaître qu’il y en a trop ou trop peu, que l’on peut être plus sélectif et qu’il convient de mieux distinguer les niveaux des aides européennes, nationales, régionales. A l’été 2011 avec la révélation du niveau des dettes souveraines, à plusieurs reprises, nous avions indiqué qu’il fallait un aggiornamento. Nous sommes dans un labyrinthe. Même un spécialiste s’y perd. C’est pourquoi ces dispositifs perdent en efficacité et réactivité. Ils manquent leur cible. Les patrons de PME ont du mal à y faire appel. Ils les connaissent peu ou préfèrent les ignorer face aux conditions d’obtention qui relèvent du parcours du combattant. Et entraînent immanquablement des contrôles fiscaux. La vraie problématique est aujourd’hui de rationaliser, faire le tri dans ce qui est mal fléché et de choisir d’orienter les fonds publics disponibles vers toutes les entreprises moyennes qui en ont besoin pour créer de la richesse et de l’emploi. Même s’il s’agit de très petites entreprises. Et de réaffecter le coût des "aides inutiles" pour moitié à la compétitivité des entreprises, sous forme d’une diminution des prélèvements, et pour moitié au paiement de la dette.

Que doivent-ils absolument comprendre sur les entreprises et pourquoi ?

Eric Verhaeghe :Pour comprendre les entreprises, il faut un esprit simple et basique. Un chef d'entreprise, c'est un homme ou une femme qui décide de vendre des produits qu'il fabrique. Son métier est donc d'être fabricant et vendeur. Ce n'est pas d'être lecteur assidu du Journal Officiel, d'être remplisseur de formulaires incompréhensibles, ou d'être piquet dans une file d'attente à un guichet administratif.

Ce point est fondamental dans un pays où l'administration n'est plus dirigée et donc livrée à elle-même par des hauts fonctionnaires obsédés par leur carrière, donc occupés à cirer les pompes des puissants, et peu enclins à faire le sale boulot de manager dans les services. La première raison pour laquelle la réglementation en France subit une inflation galopante tient à la défaillance des hauts fonctionnaires, dont la pensée moyenne consiste à mépriser le secteur privé (sauf les grandes banques ou les anciens monopoles d'Etat, bien entendu), à ne jamais prendre de risque, à ne jamais bousculer les mauvaises habitudes des bureaux, et à chercher à se faire bien voir de leur ministre. Pendant ce temps, les ronds-de-cuir sous leurs ordres produisent de la circulaire qui les occupent, justifient leur emploi et nécessitent même des renforts.

Le deuxième enjeu de l'entreprise, c'est d'avoir un accès facilité au capital. La sous-capitalisation des entreprises françaises, en particulier des petites entreprises, est un handicap majeur pour le retour à la prospérité, car elle empêche le développement rapide de l'innovation. De ce point de vue, l'Etat est convaincu qu'il doit mettre son nez dans cette affaire. Quelle erreur ! c'est par ce colbertisme larvé que la France est parvenue à saccager tout ce qu'elle a inventé à la fin du vingtième siècle : depuis le micro-ordinateur jusqu'à Internet. Si l'on avait laissé le Minitel à l'initiative privée, en capitalisant bien les entreprises désireuses de le développer, la France serait aujourd'hui championne des nouvelles technologies. Mais la grande noblesse d'Etat a voulu faire du Minitel sa chose, et ce fut un fiasco.

La grande force des Etats-Unis tient à leur capacité à soutenir l'investissement des PME par un marché fluide du capital-risque. En France ce marché est corseté et frileux. Il tient à des rémunérations élevées tout de suite. Une entreprise française ne peut pas imaginer lever 500.000 euros en moins de six mois. C'est aberrant, dans un monde où 6 mois équivalent à une éternité.

Et puis, disons-le, il y a le grand tabou du salariat. Le salariat est une forme de travail dépassée, et totalement inadaptée au monde contemporain. Proposer à quelqu'un que vous ne connaissez pas de le payer tous les mois à vie, avec une garantie de droits complexes, répond de moins en moins aux attentes des salariés eux-mêmes comme des employeurs.

De ce point de vue, il faudrait lever quelques tabous. Le premier est celui du prix de l'immobilier. Quand vous êtes employeur, vous êtes sommé de répondre à une injonction forte : celle de permettre à vos salariés de se loger. Ce phénomène est très lourd à Paris et en région parisienne, où un salarié, pour se loger, doit apporter des milliers de garanties en tous sens, et s'acquitter d'une somme colossale chaque mois. Mécaniquement, la rémunération du patrimoine immobilier pèse sur le coût et la rigidité du travail dans des proportions alarmantes. La France arbitre manifestement en faveur de ses propriétaires au détriment de ses entrepreneurs.

J'en dirais de même sur la protection sociale. Si son coût élevé se justifiait par une protection des salariés, cela ne me choquerait. Le problème tient au fait que les cotisations sociales sont très élevées à cause de ceux qui ne travaillent plus : le coût des retraites et du vieillissement pèsent sur les salariés, qui, leur tour venu, ne bénéficieront pas de la moitié de ce qu'ils donnent aujourd'hui aux autres.

Olivier Babeau : Pour des raisons historiques liées à une grande méfiance réciproque, l’administration ne traite pas les entreprises comme des partenaires sur lesquels la prospérité nationale reposerait mais comme des moutons à discipliner et à tondre. Elle sait très peu se mettre à la place des entreprises pour essayer d’être non pas un créateur de contraintes supplémentaires mais un guide efficace pour se développer. Elle ne voit ainsi jamais aucun problème à édifier de véritables jungles réglementaires dont notre droit du travail est le plus redoutable exemple. Et pourtant, pour en revenir à l’exemple du coût du travail et de son effet sur la compétitivité, il suffirait de baisser les charges directement. Pourquoi ne le fait-on pas ? Baisser les charges impliquerait de réformer en profondeur notre mécanisme de protection sociale, en cessant par exemple de faire reposer sur le travail uniquement des prélèvements dont chacun profite. Mais personne n’en a encore eu le courage. La complexité qui étouffe nos entreprises a ce grand avantage qu’elle élève un rideau de fumée, crée un flou permettant de soutenir (de bonne foi peut-être) que l’on concilie les deux contraintes contradictoires que sont le maintien du statu quo fiscal et réglementaire d’une part et la lutte pour la compétitivité d’autre part. C’est évidemment illusoire.

Bernard Cohen-Hadad : Aujourd’hui les entreprises moyennes ont besoin de reconnaissance, de stabilité économique, juridique et fiscale. Elles peuvent renouer avec la performance économique si on accepte de mettre en place une "exception économique pour les TPE-PME". Depuis des années on parle de la mise en place d’un "small business act" à la française. Cela veut dire réduire efficacement la complexité administrative et privilégier le modèle économique des PME. Un médiateur des relations interentreprises et un médiateur des marchés publics sont désormais en place. Est-ce suffisant ? L’Etat, les régions et leurs établissements publics jouent-ils le jeu des PME ? Quels sont les chiffres dont on dispose ? Où est le corpus législatif ? D’autre part, une entreprise ne peut pas se développer sans créer de la richesse et la distribuer. C'est-à-dire faire des bénéfices. Les investisseurs n’ont pas d’intérêt à investir si leur prise de risque n’a aucune chance d’être rémunérée. On a trop tendance à calquer le modèle de rentabilité des services publics sur celui  des entreprises marchandes. Ce qu’elles ne sont pas. Même si dans les territoires beaucoup de TPE-PME jouent de fait le jeu de l’implication sociétale. Notre pression fiscale est toujours trop lourde. Les entreprises ont besoin d’améliorer leurs marges. Et les patrons travailleurs non-salariés (TNS) sont essorés. Arrêtons de les contraindre. Beaucoup de sociétés non financières sont en dessous du seuil de rentabilité ce qui explique leur faiblesse en fonds propres. Il faut mettre en place une réduction de l’Impôt Société pour les bénéfices réinvestis en fonds propres. Et encourager les financements complémentaires du système bancaire tout en renforçant les passerelles entre financements publics et financements bancaires privés. Les charges sociales des PME ne sont plus supportables. La montée en flèche des coûts des conflits du travail sont une préoccupation forte et quotidienne. Nos acquis et l’absence de souplesse de notre modèle social apparaissent, face à la concurrence européenne, comme un frein à l’emploi. De même que la diabolisation du recours au contrat à durée déterminée (CDD). Pour éviter d’être mis à l’index, peu d’entrepreneurs osent le dire publiquement. Il faut enfin accepter de reconnaître qu’une entreprise n’est pas une caisse enregistreuse dans laquelle on peut puiser indéfiniment pour désendetter l’Etat.

Comment expliquer un tel décalage entre le monde de l'entreprise et le monde politique ?

Eric Verhaeghe : Par une raison simple : la France n'est plus une démocratie, mais une monarchie aristocratique qui ne dit pas son nom. Ceux qui exercent le pouvoir ne connaissent rien d'autre que la politique ou l'administration. Les Français qui évoluent dans le secteur privé n'ont malheureusement pas le temps, à quelques exceptions près, de se consacrer à la politique. Ce phénomène tient à la vision aristocratique de la politique qui domine en France. Les carrières se font à vie, dans un milieu traversé par les connivences et les collusions. 

Olivier Babeau : Le mode d’intervention de l’Etat dans l’économie s’apparente fortement à l’organisation scientifique du travail de Taylor : un personnel imaginant détenir la vérité scientifique grâce à sa formation se pense légitime pour diriger et ôter toute autonomie aux exécutants qui sans cela tomberaient dans leur vice (flânerie pour les ouvriers, poursuite de "l’intérêt personnel" aux dépens de l’intérêt général pour les cadres dirigeants). 
Bernard Cohen-Hadad : On vit dans un monde médiatique qui donne l’impression de la proximité alors que dans la réalité les distances sont fortes entre les acteurs. Et le pouvoir a tendance à isoler et à tamiser. Regardez les déclarations faites sur la normalité ou la proximité. Elles partent d’une juste analyse. La pratique institutionnelle est autre. Vous savez, grâce au soutien de Jean-François Roubaud, j’ai eu l’opportunité d’être invité à m’exprimer devant les parlementaires. Sinon était-ce envisageable ? A part les entrepreneurs moyens, qui se reconnaissent entre eux, qui fait attention, en France, vraiment aux patrons de PME ? Ils ne sont pas sur les plateaux TV, ne sortent pas des grandes écoles ni des grands corps de l’Etat. Il y a ce toujours ce Rubicon… En revanche, j’ai été touché de la prise de conscience par les parlementaires de terrain des difficultés des TPE-PME. Dans les territoires, ils sont aux contacts des entreprises de toutes tailles et d’activités diverses. Ils connaissent les métiers et les hommes. Beaucoup mesurent justement que l’entreprise est avant tout une aventure humaine. Attention donc de ne pas tomber dans la caricature, dans l’antiparlementarisme facile ou dans les procès d’intention. On peut néanmoins se demander pourquoi cette prise de conscience réelle n’arrive pas à trouver son expression réglementaire ou législative ? L’une des explications se trouve peut-être dans le fait que les priorités gouvernementales animent l’activité parlementaire. Et qu’il reste un fort décalage entre l’univers public et l’univers marchand, le rythme du monde public et l’urgence vécue par les acteurs du monde privé. Ce décalage existe aussi entre les PME et les grands groupes, les PME filiales de grands groupes et les PME patrimoniales. Ce qui est patent c’est qu’une PME n’est pas une administration. Une PME n’est pas un grand groupe. Une PME n’est pas non plus une association. Elle compte d’abord sur elle-même ! Il vaut mieux le dire car ce n’est pas une évidence pour tous. C’est cette spécificité et cette diversité du monde PME qui font la richesse de l’univers des entreprises moyennes. Même si compte tenu de la réduction des marges financières, le temps des PME est aujourd’hui nécessairement fait de "recours au système D" pour sauver les meubles alors qu’il est habituellement fait d’inventivité, de prospective, de réactivité et d’effet d’entrainement.  

Comment remédier à ce décalage ?

Eric Verhaeghe:Il devient urgent de purger la classe politique et la haute administration françaises.

Pour ce qui concerne la classe politique, la méthode est assez simple : interdiction du cumul des mandats et interdiction de faire plus de deux mandats de même nature dans une carrière politique. En outre, le moment vient de mettre en place une véritable démocratie liquide en associant effectivement les citoyens à la décision publique par des systèmes de travail collaboratif transparent.

Pour ce qui concerne la haute administration, deux mesures simples. Premièrement: obliger les fonctionnaires à se mettre en disponibilité quand ils exercent un mandat électif ou quand ils occupent un poste en cabinet ministériel, et leur interdire de prendre un poste dans ce ministère par la suite. Cette technique permettra de juguler très vite la politisation folle de la haute administration. Deuxièmement, fixer des objectifs mesurables, notamment en terme de maîtrise des dépenses, aux directeurs d'administration centrale et aux responsables de services déconcentrés. En cas d'inexécution de ces objectifs, ils doivent être licenciés de la fonction publique (et non reclassés dans des postes planqués d'inspecteurs généraux comme aujourd'hui). Je suis convaincu que cette technique permettra de résoudre en moins de deux ans le déficit de l'Etat.

Olivier Babeau : Il faut le rappeler, aucun membre du gouvernement actuel ne vient du privé. Comme l’a montré l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF), 44% des élus de l’Assemblée nationale et 43% de ceux du Sénat sont issus de la fonction publique. Les chefs d’entreprises ne représentent en France qu’entre 2,9% et 6% des élus, alors qu’à l’étranger ils en représentent environ un quart. Notre personnel public n’a aucune expérience de l’entrepreneuriat. Il n’a jamais créé ou dirigé une entreprise. Trouver des financements, prendre des risques en engageant ses actifs, affronter une concurrence internationale, adapter constamment ses produits, se battre pour conquérir des clients sont autant d’activités qui font partie du quotidien d’une entreprise mais qu’ignore le fonctionnaire. Ce dernier obéit à d’autres logiques et à d’autres contraintes radicalement différentes. Il dont est urgent d’introduire plus de mixité dans notre fonction publique, d’encourager des allers et retours entre public et privé, d’encourager des formations croisées, de mettre un terme au monopole de la formation de nos élites. Pour cela, il faudrait sans doute réformer en profondeur le système des grands corps de l’Etat pour y introduire plus de flexibilité et diversifier enfin les formations d’origine de nos hauts fonctionnaires. 
Bernard Cohen-Hadad : Faut-il rappeler que les PME représentent en France 2.5 millions d’entreprises ? La majorité des entreprises et la majorité de l’emploi ! Pour faire face à la mondialisation et à la concurrence que nous affrontons, même en Europe, donnons aux entreprises moyennes la place politique qui leur revient compte-tenu de leur réalité économique. Ce n’est pas aujourd’hui le cas. Cependant par le dialogue les choses progressent. Mais nous n’en sommes encore qu’au rythme des tous petits pas. Combien de patrons de PME patrimoniales occupent des mandats de responsabilité dans les conseils d’administration des organismes publics, dans les instances de décisions ou de contrôle qui les concernent ? Combien ont été pressentis par l’Etat pour un honneur, une fonction ou "plus simplement" pour participer à la rédaction d’un rapport public ? Mutatis mutandis nous vivons encore sous des règles et des références d’Ancien Régime. La PME ne fait pas rêver nos élites. Alors que les valeurs et les repères ont changé. Une partie de nos décideurs n’ont non pas non plus conscience de cette évolution nécessaire. D’autres ne l’encouragent pas. L’univers PME leur est "sincèrement" étranger. On pense pour les PME, on octroie aux PME, on étend aux PME… Et ce que l’on peut dire de la classe politique ou des grands corps de l’Etat est parfois encore plus vrai de certains dirigeants de grands groupes ou d’une partie des salariés. Pourtant nous faisons face à un enjeu démocratique et une révolution culturelle sans précédent. C’est-à-dire la construction d’un modèle économique nouveau et compétitif qui passe par la dynamisation de l’emploi de proximité, la transmission des savoir-faire, l’adaptabilité des entreprises moyennes au monde qui bouge et qui les entoure. Pour réussir, ce changement des mentalités doit passer par l’école de la République, par la formation professionnelle et bien entendu par les médias. Sans l’implication des médias et leur capacité d’interpellation publique rien ne se fera dans la durée. Mais personne ne fera pour les patrons de PME ce qu’ils ne commencent pas de faire pour eux-mêmes. C’est pourquoi ce chantier doit s’animer avec l’appui des organisations patronales représentatives, telles que la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), dont le rôle est d’attirer les énergies, de favoriser les échanges, de mutualiser les expériences et d’en être le ciment.

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