Succession de Laurence Parisot : ce que le Medef aurait gagné à un peu plus de démocratie<!-- --> | Atlantico.fr
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Pierre Gattaz devrait être le prochain président du Medef, prenant la suite de Laurence Parisot.
Pierre Gattaz devrait être le prochain président du Medef, prenant la suite de Laurence Parisot.
©Reuters

Faiseurs de roi

A quelques semaines de l'élection à la présidence du Medef, Patrick Bernasconi et Geoffroy Roux de Bézieux se sont ralliés jeudi 13 juin à Pierre Gattaz. Assurant ainsi la victoire de ce dernier à la tête de l'organisation patronale.

Éric Verhaeghe et Hubert Landier

Éric Verhaeghe et Hubert Landier

Éric Verhaeghe ancien président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et fondateur du cabinet Parménide. Il est aussi l'auteur de Jusqu'ici tout va bien (éditions Jacob-Duvernet, 2011), Au coeur du MEDEF : Chronique d'une fin annoncée, (Jacob-Duvernet, septembre 2011) et de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr

Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : Pierre Gattaz devrait être le prochain président du Medef. Ses deux principaux concurrents, Patrick Bernasconi et Geoffroy Roux de Bézieux, se sont ralliés jeudi, malgré un vote consultatif qui avait placé ce dernier en tête un mois avant l'élection du 3 juillet. Comment expliquez-vous ce spectaculaire revirement ? 

Eric Verhaeghe :De façon malicieuse bien entendu... Dans la pratique, avec le soutien des principales fédérations du Medef, Pierre Gattaz était sûr d'être élu, surtout avec la ralliement inévitable de Patrick Bernasconi, qui ne pouvait contredire le lien historique entre le bâtiment et l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM). Pour le Medef, cette situation était dangereuse : elle aurait conduit à l'élection d'un candidat contre la volonté majoritaire du Conseil exécutif. Une telle probabilité ouvrait la porte à une crise majeure de gouvernance : soit la légitimité du nouveau président, qui aurait été soupçonné d'avoir élu grâce aux fédérations contre la "vox populi", en serait sortie écornée, soit la légitimité du Conseil exécutif en place aurait été ruinée.
Dans l'intérêt de la structure donc, les trois candidats du sérail ont préféré se regrouper. C'est la meilleure façon pour eux de préserver leur légitimité à long terme.
Hubert Landier : Les relations au Medef relèvent moins de la compétition électorale que des compromis et des arrangements, si possible en toute discrétion. Bien sûr, il y a des conflits internes. Je me souviens de l’opposition entre Yvon Gattaz et Yvon Chotard au moment de l’élection qui avait abouti à l’élection d’Yvon Gattaz. Plus récemment, il y a eu une véritable crise entre Denis Gautier-Sauvagnac, alors président de l’UIMM, et d’autres composantes du Medef. Mais tout ceci se passe entre gens "bien élevés", et ça ne sort guère de l’institution. Plutôt que de s’affronter, on recherche des compromis, et c’est ce qui s’est passé entre Pierre Gattaz, Geoffroy Roux de Bézieux et Patrick Bernasconi. Les intérêts communs et la recherche d’un équilibre satisfaisant l’ont emporté sur ce qui pouvait séparer les différentes composantes du Medef.

Ces ralliements ne privent-ils pas la base du Medef d'une élection ?

Eric Verhaeghe : Globalement, le triumvirat qui prend le pouvoir est en train de pousser la poussière sous le tapis. Pour éviter d'affaiblir la structure, on va la jouer vieille famille bourgeoise : on tait les problèmes, on n'en parle pas à table le dimanche, et on les règle à minima par des manœuvres pas forcément nettes. On peut voir le problème de deux façons : soit on se sent frustré, parce qu'on pense que le Medef devrait être un lieu légitime, de démocratie et de construction collective, soit on prend acte que le Medef est une invention du général de Gaulle en 1945, qui a bénéficié d'un ravalement de façade à la fin des années 1990, et dont le rôle est de gérer le mieux possible un héritage inepte. Mon sentiment est que le Medef en lui-même ne sert pas à grand chose et qu'il répète en boucle un discours sans surprise que plus personne n'écoute véritablement. Le vrai mouvement patronal se bâtira ailleurs.
Hubert Landier : C’est vrai qu’au Medef, il n’y a pas de processus électoral avec un vote qui débouche sur une majorité et une minorité, un gagnant et un perdant. Tout passe par le jeu des influences. Sans vouloir être désagréable, ce processus est plus proche des pratiques du Parti communiste chinois que de la démocratie telle que nous la connaissons en France. Mais cela n’exclut pas qu’il y ait eu débat ; les candidats en présence ont dû faire campagne en allant chercher le soutien des différentes organisations, professionnelles et territoriales, que rassemble le Medef.

Pierre Gattaz, 53 ans, patron du Groupe des fédérations industrielles (GFI), avait notamment reçu le soutien de la puissante Fédération de la métallurgie (UIMM), de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et de la Fédération bancaire française (FBF). Quel a été le poids des fédérations dans cette élection ? 

Eric Verhaeghe : Le rôle des fédérations est déterminant dans toutes les élections au Medef. J'étais récemment interrogé par un journaliste qui me demandait ce que pensent les adhérents de base du Medef. Mais... il n'y a pas d'adhérent de base au Medef. Une entreprise ne peut adhérer directement à la structure Medef. Elle est obligée de passer par une fédération ou un Medef territorial. Dans la pratique, ce sont donc les fédérations qui font la pluie et le beau temps dans cette maison. 
Hubert Landier : C’est clair qu’il y a eu compromis entre les principales composantes du Medef. L’UIMM avait une revanche à prendre, mais ça n’est plus l’UIMM d’il y a dix ans. Laurence Parisot était représentative de services ; il était assez logique, dans un souci d’équilibre, qu’un candidat représentatif de l’industrie prenne la suite. Quant à la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), qui n’a pas été très présente au Medef depuis l’époque de Jean-Louis Giral, elle peut se dire satisfaite, surtout si la présidence est réellement collégiale comme ceci a été fortement affirmé.

Tant que l’essentiel du poids économique du Medef passera par ces vestiges de l’organisation en branches de l’économie française, le  Medef pourra-t-il être vraiment démocratique ?

Eric Verhaeghe : La branche est l'institution la plus étrange du capitalisme français. Vous savez qu'il n'existe d'ailleurs aucune définition juridique des branches professionnelles. Elles sont le produit d'un usage et d'un regroupement patronal assez spontané. Plus profondément, elles constituent un héritage d'Ancien Régime : elles sont assez proches des jurandes d'Ancien Régime. Au passage, ce sont les physiocrates, c'est-à-dire les libéraux, qui les supprimèrent en 1776. Faut-il rappeler ici que la France en compte plus de 700, dont la moitié sont "actives". Je crois savoir que le sommet social qui s'ouvre prochainement devrait évoquer la question de leur regroupement. On voit bien que tout le monde est gêné aux entournures par cette question, sans vraiment apporter de solutions.
Hubert LandierLa vraie question, me semble-t-il, est la suivante : à quoi sert le Medef et de qui est-il représentatif ? Certainement pas des très petites entreprises, qui se reconnaissent plutôt dans l’Union professionnelle artisanale (UPA), ni même des PME, qui constituent la raison d’être de la Confédération générale des petites et des moyennes entreprises (CGPME). Et il n’est pas certain que les filiales françaises de groupes étrangers se passionnent pour les organisations patronales dont le Medef se veut la clé de voûte. 

Par ailleurs, la future troïka ne pourra éviter de s’interroger sur la raison d’être du Medef. La négociation et le dialogue social ? Celui-ci tend de plus en plus à se déplacer vers l’entreprise et il n’est pas certain que les grandes négociations nationales interprofessionnelles soient encore réellement productives de progrès. La réflexion sur l’avenir de l’entreprise ? Il existe sur ce plan des think tanks tels que l’Institut de l’entreprise. L’expression de convictions éthiques ? On se tournera plutôt vers le Centre de jeunes dirigeants d'entreprise (CJD) ou vers les ETC. La communication en direction des Français ? On admettra – mais les choses peuvent changer – que l’intervention du Medef dans les grands débats nationaux est plutôt modeste. Reste le lobbying en direction des pouvoirs publics, mais, là encore, le Medef n’est pas seul à s’exprimer au nom du patronat… En bref, la futur président devra répondre à cette question : au delà de sa légitimité historique : à quoi sert aujourd’hui le Medef ?

Que le Medef aurait-il à gagner à être plus démocratique ? 

Eric Verhaeghe :C'est une vraie question. Le Medef est d'abord une structure de lobbying. La loi de 2008 lui intime la fonction de négocier des accords interprofessionnels qui, d'une façon ou d'une autre, s'imposent au législateur. Cette évolution en profondeur du Medef, qui doit maintenant concilier une fonction très partisane de représentation économique (où la démocratie n'a pas sa place) et une fonction très politique de définition négociée de la norme sociale (où la démocratie a sa place), ne s'est accompagnée d'aucune réflexion majeure du Medef sur sa propre organisation. Je vois mal comment cette situation bâtarde pourra durer.

En attendant, il faut commencer la réflexion sur l'opportunité de préserver des Accords nationaux interprofessionnels (ANI). L'idée d'un accord négocié pour toutes les entreprises, tous secteurs confondus, est une aberration française qui nuit à notre compétitivité. La moindre des choses serait d'ouvrir les portes et les fenêtres en reconnaissant comme représentatifs plusieurs mouvements patronaux, et en instaurant une émulation entre eux par la mise en concurrence d'ANI différents auxquels les entreprises pourraient librement souscrire.

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