Même combat : 58% des Français jugent que les groupuscules d'extrême gauche sont aussi dangereux pour la démocratie que ceux d'extrême droite<!-- --> | Atlantico.fr
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Un groupe d'antifascistes.
Un groupe d'antifascistes.
©Reuters

Sondage exclusif Atlantico/CSA

SONDAGE ATLANTICO/CSA - 19% des personnes interrogées jugent à l'inverse que les groupuscules d'extrême gauche sont moins dangereux que ceux d'extrême droite.

Yves-Marie Cann et Nicolas Lebourg

Yves-Marie Cann et Nicolas Lebourg

Yves-Marie Cann est Directeur adjoint du Pôle Opinion Corporate de l'Institut CSA.

Nicolas Lebourg est historien (CRHiSM-Université de Perpignan Via Domitia), spécialiste des extrêmes droites.

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Atlantico : Le sondage commandé par Atlantico à l'institut CSA révèle qu'une majorité (58%) des personnes interrogées jugent que les groupuscules d’extrême gauche sont aussi dangereux que les groupuscules d’extrême droite. Comment analysez-vous ces résultats ?

Yves-Marie Cann : Alors que le gouvernement vient de lancer des procédures administratives pour dissoudre plusieurs groupuscules d’extrême droite, les résultats de notre étude révèlent en effet que pour une majorité de Français il n’existe pas de différence évidente entre eux et ceux d’extrême gauche.

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Ces résultats constitueront sans doute une surprise pour certains mais ils témoignent avant tout du rejet au sein de la société française de la violence comme moyen d’action politique, caractéristique fréquemment associée à ces groupuscules. La défiance que nous observons depuis plusieurs années à l’encontre des dirigeants politiques, et qui se manifeste notamment par l’impopularité des gouvernants, ne doit pas masquer le fait que les Français restent attachés à la démocratie et aux moyens d’expression qui lui sont propres, au premier rang desquels le vote qui est un outil pacifique.

Nicolas Lebourg : Je crains que la formulation « groupuscules extrémistes » ne donne un fort biais. Si on demandait aux sondés s'ils considèrent comme équivalent des formations politiques qui pour les unes prônent un nationalisme ethnique et un Etat ne reconnaissant pas les libertés fondamentales, et pour les autres des moyens certes extra-légaux mais visant à instaurer une société égalitaire je suis moins que certain que l'on aurait les mêmes représentations.

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Comment expliquez-vous les divergences d'opinion en fonction de l'âge et des catégories socio-professionnelles?

Yves-Marie Cann : Avant de s’intéresser aux variations de résultats que l’on observe d’une catégorie de population à une autre, il convient d’abord d’insister sur le fait que toutes s’accordent pour considérer majoritairement que les groupuscules d’extrême gauche sont aussi dangereux pour la démocratie que ceux d’extrême droite. Certains segments de population apparaissent toutefois plus nuancés que les autres. On voit ainsi que les plus jeunes sont beaucoup plus partagés que leurs aînés. Ceci pourrait notamment s’expliquer par le fait que les personnes âgées de plus de 50 ans gardent en mémoire des affrontements violents ayant opposé skinheads d’extrême gauche et d’extrême droite dans les années 1980 en France, les choses s’étant calmées dans les années 1990. Les « Brigades rouges » en Italie ont-elles aussi marqué cette génération. L’état des connaissances chez les plus jeunes est sans doute plus limité, ceux-ci ayant souvent tendance à associer extrémisme politique au nationalisme… et donc à l’extrême droite.

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Après le décès du jeune militant d’extrême gauche, Clément Méric, à la suite d'une rixe avec un groupuscule d’extrême droite, les commentaires se sont focalisés sur les groupes nationalistes. Quel effet le tropisme médiatique a-t-il eu sur l'opinion ?

Yves-Marie Cann : Ce tropisme médiatique est incontestable. Toutefois, il est antérieur au décès de Clément Méric. Alors que la contestation à l’encontre du « Mariage pour tous » montait en puissance, manifestations à la clé, nous avons progressivement observé un intérêt renouvelé et croissant des médias pour les groupuscules d’extrême droite et plus particulièrement les jeunesses nationalistes. Il est toutefois difficile d’évaluer à ce stade l’effet que cette exposition médiatique a pu avoir au sein de l’opinion publique. Il n’en est pas moins probable que de nombreux Français ont redécouvert à cette occasion des pratiques dont ils ne soupçonnaient pas ou plus l’existence.

Comment expliquez-vous le décalage entre l'opinion des français et le traitement médiatique et politique de l'affaire ?

Yves-Marie Cann : Sur ce point, il convient de faire preuve d’une grande prudence. Certes, les groupuscules d’extrême droite occupent aujourd’hui un espace supérieur à ceux d’extrême gauche sur l’agenda médiatique. Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi. Rappelons-nous qu’en 2008, Michèle Alliot-Marie, alors Ministre de l’Intérieur, disait craindre « le terrorisme d’extrême gauche », imposant alors ce sujet sur l’agenda médiatique.

Les Français ont-ils raison de mettre sur le même plan les groupuscules d'extrême droite et d'extrême gauche ? 

Nicolas Lebourg : C'est le paradoxe du lieu commun de l'équivalence des extrêmes. Rappelons que le terme d' « extrême droite » est utilisé en réaction à l'usage d' « extrême gauche », lui-même rentré dans le débat politique français suite à la révolution russe de 1917. Il y a donc une polarisation certaine entre ces tendances mais alors que l'extrême droite s'était construite au cours du XIXème siècle sur le rejet de la République et des valeurs d'un nationalisme de contrat social, l'extrême gauche s'est développée en reprochant à la République non ses principes mais la trahison de ceux-ci par la bourgeoisie. Par rapport à la République, les valeurs (progrès, justice social, laïcité) sont les mêmes, mais les moyens sont totalement différents (dictature du prolétariat, anarchie etc. contre démocratie représentative). L'essentiel de la population est en désaccord avec l'extrême gauche sur ses moyens et ses fins mais non tellement sur ses valeurs (l'égalité étant une passion française). En revanche, l'extrême droite porte des valeurs externes au consensus républicain (rappelons que le maréchal Pétain dans son dernier projet de constitution en 1944 finissait même par reconnaître le suffrage universel, tant ce système dictatorial et discriminatoire était impossible à « vendre » à la population).

Relativement à cette représentation, on ne peut que constater que le « long Mai 68 », avec les affrontements dix ans durant entre extrémistes, s'est achevé avec les assassinats à l'extrême droite de François Duprat (1978), à l'extrême gauche de Pierre Goldman (1979) et, surtout, avec l'alternance paisible de 1981. La violence politique a été démonétisée. Le pays ne connaît depuis qu'un niveau de violence politique très bas, tant de la part de l'extrême droite que de l'extrême gauche ou des services de répression de l’État.

Les dernières fortes violences sont peut-être les « ratonnades » de la fin des années 1980 par des skinheads. Une violence ethnique et non entre révolutionnaires de droite et de gauche – et donc une violence qui ne concerne absolument pas l'extrême gauche. Les deux bords jouent plus une poétique de la violence qu'ils ne la pratiquent dans les faits, tant et si bien qu'une bonne part de l'actualité de cette violence depuis dix ans concerne soit des attaques individuelles soit, autre exemple sous influence du néo-nazisme américain, des profanations de cimetière, certes moralement choquantes mais par définition non létales.

En somme, la perception des sondés me paraît relever de la représentation : ce que l'on imagine derrière l'expression « groupuscules extrémistes », bien plus que d'une réalité empirique. Une population massivement acquise aux thèses du libéralisme politique et de la régulation de la société par un Etat de droit signifie qu'elle réprouve des comportements qui s'attaquent au moins verbalement aux normes. De là à estimer qu'il y a pour les sondés une équivalence des extrêmes, voire même que puisqu'ils le diraient cette représentation serait fondée, il y a là un pas à mon sens impossible à franchir si on prend un peu de recul.


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67 % des sondés jugent que la dissolution des groupuscules extrémistes demandée par le gouvernement ne sera pas efficace. Est-ce que le gouvernement n'en a pas trop fait sur la question par rapport aux attentes de l'opinion ?

Yves-Marie Cann : Les Français doutent incontestablement de l’efficacité d’une telle mesure, quelle que soit par ailleurs leur préférence politique. Sans doute sont-il conscients, à juste titre, que la dissolution d’un groupe n’entraîne pas pour autant la dissolution des idées portées ses membres. La décision du gouvernement répond toutefois à une attente forte des Français en matière de sécurité et de maintien de l’ordre. En ce sens, le gouvernement avait sans doute plus à perdre en n’engageant pas cette procédure. Ceci lui permet en effet de contrer le procès en laxisme qui lui est intenté par certains responsables politiques.

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Méthodologie : Sondage exclusif CSA / Atlantico réalisé par Internet les 11 et 12 juin 2013. Échantillon national représentatif de 950 personnes résidant en France âgées de 18 ans et plus, constitué d'après la méthode des quotas (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle du répondant), après stratification par région et taille d’agglomération.

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