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Enfants à la carte : "la grossesse pour autrui est une aliénation et une forme de prostitution"
©Reuters

Bonnes feuilles

Les auteurs s'interrogent sur la naissance et l'identité humaine, et nous entraînent dans une réflexion sur le devenir de notre espèce. Extrait de "La plus belle histoire de la naissance" (1/2).

Henri  Atlan,René Frydman,Jacques Gélis et Karine Lou Matignon

Henri Atlan,René Frydman,Jacques Gélis et Karine Lou Matignon

Henri Atlan est médecin, biologiste et philosophe, professeur de biophysique à Paris et à Jérusalem, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et la santé. Il est notamment l'auteur de L'Utérus artificiel.

René Frydman est médecin obstétricien, chef du service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Antoine Béclère de Clamart. Il a mis au monde le premier « bébé éprouvette » français et aidé des milliers d'autres enfants à venir au monde. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la procréation.

Jacques Gélis est le spécialiste de l'histoire de la naissance, anthropologue, professeur émérite à l'université Paris 8.

Karine Lou Matignon est journaliste et mère de trois enfants, auteur de nombreux ouvrages dont La plus belle histoire des animaux dans cette même collection.

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– Toutes ces techniques de procréation n’ont-elles pas conduit à changer les mentalités?

– Le refus de l’enfant non désiré a été pleinement acquis dans les années 1970, tandis que la décennie suivante voyait l’émergence d’une nouvelle liberté, celle d’avoir un enfant même si la nature l’empêchait. Le désir des parents n’a jamais cessé de stimuler les chercheurs. Quant au désir d’enfant, il croise, comme on l’a vu, les projets les plus variés: désir d’une «assurance-vie », volonté de combler sa solitude, promesse de survie pour un clan, une famille, une culture, jusqu’à des préoccupations plus complexes et profondes, comme le désir d’éternité et de transmission, ce besoin, cet élan vital que l’on trouve à la base de la reproduction sexuée de toutes les espèces (sachant qu’on ne devient évidemment pas mère en répondant uniquement à un comportement biologique mais en fonction d’une histoire personnelle). Les désirs évoluent avec la société dans laquelle on vit.

– On veut maintenant un enfant à tout prix.

– Même s’il y a des femmes qui ne veulent pas être enceintes parce qu’elles n’aiment pas ça, qu’elles n’en éprouvent pas le besoin, ou bien parce qu’elles ont peur que ça détériore leur image, la maternité est pour beaucoup de femmes un objectif fondamental parce que, tant qu’elles ne sont pas mères, elles ne sont pas reconnues en tant que personnes. Cela est particulièrement vrai dans des continents comme l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie. Il est d’ailleurs utile de s’appuyer sur ce désir-là lorsqu’on veut faire passer un certain nombre de messages de santé. Si on organise une action d’information pour lutter contre le sida, peu de gens se manifestent; en revanche, une consultation pour traiter l’infertilité va systématiquement attirer beaucoup de monde, et si vous êtes bien organisé, vous pouvez en profiter pour faire de l’éducation sanitaire. Dans tous les pays, Ghana, Nigeria, Pérou, Togo, Chine, vous avez désormais un lieu qui pratique les fécondations in vitro. De nombreux centres font d’ailleurs de l’argent sur le dos de populations vulnérables, des femmes soumises à la nécessité de faire naître des enfants pour ne pas être exclues du champ social.

– Chaque seconde, environ 4 enfants naissent dans le monde. En cinquante ans, la population mondiale a doublé et on s’attend à ce qu’elle atteigne 19 milliards d’ici à 2050. Ne faut-il pas s’interroger sur l’évolution de ces techniques à une époque où la question de la surpopulation se pose?

– Dans les sociétés où la démographie est forte, ne pas pouvoir donner la vie pour une femme conduit à l’exclusion. En Afrique par exemple, où la mère féconde est pleinement représentée dans l’art, c’est un élément de reconnaissance sociale, de statut. Les femmes stériles peuvent être répudiées par leur mari et chassées par la famille. La stérilité a des conséquences lourdes. La question de la surpopulation se pose pour les gens qui sont fertiles et qui devraient utiliser les moyens de contraception pour limiter les naissances afin de permettre un équilibre correct des ressources. Pour la minorité qui, en raison d’une infertilité, ne peut pas se réaliser à travers ce projet d’enfant, c’est une vraie souffrance. En Chine, où les naissances sont limitées à un enfant par couple, celles qui ne peuvent pas en avoir sont dans un vrai désarroi. Toutefois, la population modeste ne peut pas bénéficier de la fécondation in vitro qui n’entre pas dans le cadre d’une politique de santé publique comme en France.

– La médecine reproductive n’a pas seulement bouleversé la science, le vivant, elle a aussi transformé le schéma traditionnel de la famille.

– C’est juste, et cette nouvelle étape de l’histoire de la procréation médicalement assistée apporte des questionnements complexes. Nous avons affaire désormais à des parentalités multiples. Mais dans tous les cas, ce qui me semble important, c’est la relation humaine. Je me méfie de ce surinvestissement du génétique alors que la parenté sociale est dévalorisée.

– Que pensez-vous du désir d’enfant exprimé par les couples homosexuels ou les femmes célibataires?

– Je pense qu’il est important que la médecine soit essentiellement une réponse adaptée à des troubles d’ordre pathologique. Cependant nos sociétés évoluent et interrogent sur la possibilité d’indication sociétale d’actes médicaux. Encore une fois, attention à ne pas survaloriser le génétique et les liens du sang – l’idée qu’il faut absolument que l’enfant soit de moi –, alors que le lien parents-enfant ne se crée qu’en élevant l’enfant. Avoir un enfant n’est nullement un droit.

– Même chose pour les mères porteuses?

– La grossesse pour autrui est une aliénation et une forme de prostitution. J’ai pu constater qu’un peu partout dans le monde, et notamment en Ukraine, en Inde, en Californie, les femmes qui se portent candidates, via des agences privées qui les exploitent, sont souvent en situation financière précaire. Bien peu de mères porteuses le sont par altruisme. Un véritable marché s’est institué, et ce sont des femmes pauvres qui portent les futurs enfants des riches couples occidentaux, dont nombreux sont des couples homosexuels hommes. Enfin, il s’agit aussi d’un abandon programmé, avec toutes les conséquences que l’on connaît s’agissant du lien mère-enfant.

– Doit-on tout accepter au prétexte que tout est possible? N’y a-t-il pas nécessité à poser des limites?

– En sachant que toutes nos inventions, aussi importantes soient-elles, peuvent être détournées pour de vils objectifs, il faut en effet fixer des limites. Les centres de fécondation in vitro où il est possible de sélectionner le sexe est un exemple. Ces lieux fleurissent désormais à travers le monde. Il faut refuser fermement tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité humaine, qu’il s’agisse du clonage reproductif ou de la pratique des mères porteuses. Interdire la commercialisation du corps humain et l’aliénation d’un individu dans l’intérêt d’un autre. Mais nous avons également le devoir de poursuivre la recherche, et cela sans contrainte, car nul n’en connaît a priori le résultat.

Extrait de "La plus belle histoire de la naissance", de Henri ATLAN, René FRYDMAN, Jacques GELIS et Karine Lou MATIGNON, (Édition Robert Laffont), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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