Contrôleurs aériens et cheminots : les vraies raisons qui les poussent à faire grève<!-- --> | Atlantico.fr
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Les TGV Sud-Est et province-province sont les plus affectés par la grève, avec 1 train sur 3 en moyenne.
Les TGV Sud-Est et province-province sont les plus affectés par la grève, avec 1 train sur 3 en moyenne.
©DR

Cloués sur place

Les cheminots ont répondu massivement à l'appel des syndicats hostiles au projet de réforme ferroviaire du gouvernement.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Pour les syndicats organisateurs et pour les militants, la grève des contrôleurs aériens ou des cheminots est évidemment légitime. Mais pour l’ensemble de la société et pour l’évolution du système économique, ces grèves sont totalement irresponsables. On en arrive même à ne plus savoir pour quelles raisons on fait grève et quelles sont les revendications ! En attendant, ces grèves montrent à quel point la société française est encore bloquée et incapable d’initier des processus de réforme. Ces grèves sont protectionnistes. Elles visent à protéger des intérêts corporatistes à court terme. Elles s’opposent à une évolution des organisations qui est pourtant inéluctable. Enfin, accessoirement elles permettront de tester la force des syndicats qui les organisent.

Les contrôleurs aériens font grève pour protester contre les projets d’organisation d’un ciel unique européen. Actuellement, la circulation aérienne en Europe, l’affectation des couloirs, des horaires, les atterrissages et les décollages sont réglementés par presque 27 systèmes de normes, chaque pays a sa propre règlementation et ses propres contrôleurs. Ces systèmes sont évidemment coûteux, leur multiplication oblige les avions à des temps d’attente qui sont gourmands en carburants et parfois dangereux.

La logique voudrait que les systèmes soient coordonnés, synchronisés et au bout du compte unifiés. Ce n’est pas une idée de technocrates de la commission, c’est un projet politique conçu par les ministres des transports de tous les pays européens. La grande majorité des pays européens qui possèdent une aviation civile ont défendu cette « Europe du ciel ». En France, les syndicats de contrôleurs s’y opposent sous de fallacieux prétextes de perte de souveraineté ou d’indépendance. Le gouvernement actuel est ultra frileux dans cette affaire parce qu’il a peur que la grève des contrôleurs soit contagieuse.

Or ce gouvernement n’est-il pas le premier à se plaindre qu’il n’y a pas assez d’Europe ? Ce gouvernement n’a-t-il pas été l’un des premiers à revendiquer la constitution d’un gouvernement européen. Mais si ce gouvernement européen n’est même pas en mesure d’accepter une police du ciel commune, pourquoi aller plus loin ? Restons à l’abri de nos clochers et de nos petits privilèges.

Cette grève est stupide et ceux qui la font ont évidemment d’autres raisons que de vouloir bloquer l’évolution européenne.

La vérité, mais ils ne la diront pas, c’est qu’ils craignent que l’organisation européenne leur fasse perdre leur identité nationale. Et l’identité française des contrôleurs se compose de salaires qui sont supérieurs a la moyenne européenne (3543 euros net mensuel par an) avec des horaires de travail particulièrement avantageux : 32 heures par semaine y compris 8 heures de repos payées. Mais aussi 56 jours de congés et une retraite possible dès 52 ans. Qui dit mieux ? Dans ces conditions, ils s’inquiètent d’une comparaison avec les autres pays européens… et ils ont raison.

Le comportement des cheminots est identique. Les syndicats de la SNCF et notamment la CGT protestent contre le projet gouvernemental de réunir dans une seule entité la SNCF qui exploite les trains et les gares et le RFF (Réseau Ferré de France) qui exploite et développe les voies de chemins de fer. Cette séparation n’a plus aucune raison d’être.

Elle avait été imaginée il y de nombreuses années pour raisons budgétaires et financières. Il fallait alléger la SNCF de sa dette colossale. On a donc transféré cette dette (qui correspondait au financement des infrastructures) à une institution qui a pris en charge le financement et le développement des infrastructures. Accessoirement ce tour de passe-passe a eu l’avantage de nettoyer le bilan de la SNCF, société d’État et par conséquent de diminuer d’autant la dette de l’État au moment où il fallait respecter les normes de Maastricht pour construire l’Euro.

L’inconvénient de ce système c’est que l’on ne savait plus quel était exactement le vrai prix du transport effectué par la SNCF.

La SNCF louait l’utilisation des voies exactement comme une voiture paie le péage sur l’autoroute. Sauf que sur l’autoroute, le péage correspond à un prix de marché fixé par les sociétés concessionnaires. Alors que le prix de location des voies de chemins de fer est très politique. Selon les résultats que l’on veut faire apparaître à la SNCF, on augmente ou on abaisse les prix de passage des trains. Ce type de manipulations n’a pas d’importance tant que c’est l’État (le contribuable) qui règle les factures. Aujourd’hui, l’État n’en a plus les moyens. Les aurait-il, que son appartenance à l’Europe ne le lui permettrait pas.

L’idée est donc de consolider tout cela pour faire de la SNCF une entreprise unique qui paiera le vrai prix du service. Lequel pourra se mettre en concurrence avec les tarifs de trains étrangers. Puisque l’Europe du rail doit se faire, puisque les trains de l’Europe toute entière vont pouvoir circuler partout. Il va bien falloir fixer des prix de péages qui soient compatibles avec les autres.

Les syndicats de cheminots s’opposent à un tel système parce que pour eux c’est la porte ouverte à la concurrence, donc au risque de perdre un statut identitaire qui est là encore plus confortable que dans la plupart de pays européens (salaires, horaires, retraite).

Ces grèves sont donc bien des grèves de protections d’avantages sociaux acquis à un moment où les conditions de travail n’étaient pas celles d’aujourd’hui. A l’époque, conduire une locomotive au charbon était singulièrement plus pénible que de piloter un TGV, même si le métier de conducteur de train est devenu assez sophistiqué. Ajoutons à cela que les systèmes sociaux ont aussi été installés alors que la SNCF jouissait d’un monopole absolu. Désormais, la concurrence de la route, de l’avion et du rail européen oblige l’entreprise à tenir compte de cet environnement. La plupart des pays en Europe se sont mis en ordre de marche pour que l’Europe du rail se fasse… La France est très en retard.

Curieux qu’en France, les gouvernements très pro-européens et celui-ci revendiquent cet engagement, refusent ou hésitent à accélérer l’unification du rail, curieux que des mouvements écologistes si enclins à dénoncer le caractère coûteux du transport aérien ou de la route , s’opposent à la mise en concurrence du rail qui serait le seul moyen de faire baisser les prix d’exploitation…

Ces grèves vont permettre de mesurer la puissance des syndicats et particulièrement de la CGT qui est leader dans les transports, mais elles vont aussi donner un avant-goût des résistances qui se lèveront face aux grandes réformes que l’État doit engager. Ces grèves mobilisent des personnels de la sphère publique contre des dispositifs et des statuts émanant du secteur privé européen.

Or le cœur du système social français souffre d’une inégalité entre le secteur privé et le secteur public.

Aucun gouvernement n’ose toucher au statut de la fonction publique. Les seules réformes qui ont été appliquées portaient sur les modalités du droit de grève et sur les effectifs avec le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. L’urgence des urgences est autrement plus importante. L’urgence porte sur la définition d’un périmètre de l’État et des collectivités beaucoup plus rétréci. Il faudra donc déléguer ou concéder des productions de services publics à des sociétés privées. D’où la concurrence.

L’urgence porte aussi sur une réforme des retraites et l’enjeu de cette réforme c’est de mettre à niveau le privé et le public. La France n’ayant ni les moyens ni la culture de la négociation et du compromis, ça promet de belles empoignades. La CGT et FO se préparent au conflit. Ils testent aujourd’hui la détermination de leurs adhérents.

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