Hausse de toutes les catégories de délinquance : quelle est la part des nouveaux modes de calcul, quelle est la part du réel ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les systèmes d’information dans la gendarmerie ont été modifiés avec une plus grande automatisation de l’enregistrement et donc moins d’autonomie pour le militaire de la gendarmerie.
Les systèmes d’information dans la gendarmerie ont été modifiés avec une plus grande automatisation de l’enregistrement et donc moins d’autonomie pour le militaire de la gendarmerie.
©Reuters

On fait le bilan, calmement

Les chiffres de la délinquance sont en hausse dans plusieurs domaines : vols avec violence, violences sexuelles, vols à la tire... Le ministre de l'Intérieur présente un bilan mitigé après un an passé place Beauvau.

Christophe Soullez

Christophe Soullez

Christophe Soullez est criminologue et dirige le département de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ). Il est l'auteur de "Histoires criminelles de la France" chez Odile Jacob, 2012
et de "La criminologie pour les nuls" chez First éditions, 2012. 

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Atlantico : Les derniers chiffres de la délinquance montre que celle-ci est en hausse depuis un an et ce dans plusieurs catégories d'actes : de 3.8% à 5.3% pour les vols avec violence, de 1.1% à 28.6% pour les violences sexuelles et le taux d'élucidation est en baisse. Comment l'expliquer ?

Christophe Soullez : Je tiens tout d’abord à rappeler que ces chiffres ne sont pas ceux de la délinquance mais qu’ils portent sur les crimes et délits enregistrés par les services de police et les unités de gendarmerie. Ces données ne sont donc que le reflet de l’activité d’enregistrement de certaines infractions par les forces de l’ordre. Or on sait que de nombreuses infractions ne sont pas enregistrées notamment parce que la victime ne va pas déposer plainte. Par ailleurs, ces données statistiques sont liées aux pratiques d’enregistrement des policiers et des gendarmes et à la manière dont ils vont qualifier l’infraction lorsqu’ils vont rédiger leur procédure. Ce sont donc des statistiques purement administratives qui sont très loin de refléter la réalité de la délinquance et qu’il faut toujours interpréter avec précaution. Car si ces données sont très proches de la réalité pour les homicides ou les vols à main armée, elles le sont beaucoup moins pour les violences ou les cambriolages, faute de dépôt de plainte, ou, par exemple, parce qu’une tentative de cambriolage aura été qualifiée de dégradation légère et n’entrera pas dans les statistiques (pour rappel : l’outil statistique policier ne porte que sur les crimes et délits et n’inclut pas les contraventions).

Il est vrai que depuis un an on observe la hausse de certaines infractions enregistrées par les forces de l’ordre. Toutefois, il faut déjà noter que ces hausses ne datent pas d’un an mais ont débuté il y a déjà plusieurs années. Ainsi, pour les cambriolages ou les vols violents contre les femmes sur la voie publique l’augmentation a commencé il y a 4 ans et se poursuit depuis. Pour les cambriolages, à la même époque l’an passé, la hausse était de 12 %. Elle n’est plus que de 6 % en avril 2013. On note, en revanche, depuis un an une hausse très forte des vols à la tire. Et là, c’est un phénomène récent.

Pour les violences sexuelles, ce chiffre ne veut rien dire car il additionne les faits constatés en zone police et ceux enregistrés en zone gendarmerie. Or, depuis maintenant plus de 8 mois, l’ONDRP rappelle que la gendarmerie nationale connaît des dysfonctionnement concernant l’enregistrement des crimes et délits dans sa zone de compétence car elle a changé ses systèmes d’information et que cela a entraîné des ruptures statistiques. Cette hausse artificielle n’est donc pas le reflet d’une augmentation des passages à l’acte mais d’une modification des systèmes informatiques. C’est pourquoi l’ONDRP a indiqué en début d’année qu’il convenait de distinguer les chiffres de la police nationale de ceux de la gendarmerie.

Concernant la fréquence d’élucidation on note, en effet, une légère diminution de ceux-ci pour certaines infractions. Mais il faut attendre d’analyser ces évolutions avec précision et en fonction du type d’infraction. Cette diminution peut tout aussi bien être le révélateur d’une baisse d’efficacité des services de police et de gendarmerie que d’une réorientation des enquêtes vers des affaires plus complexes et plus longues à résoudre. Dans ce cas, à court terme, la fréquence d’élucidation peut diminuer, mais à moyen terme, si les procédures arrivent au bout, les services parviendront à résoudre des affaires difficiles, à démanteler des réseaux et donc, au final, à améliorer l’élucidation. L’analyse de la délinquance ou de l’efficacité de la réponse policière ne peuvent être pertinentes qu’en étudiant des tendances sur de longues périodes.

Dans quelle mesure ces augmentations peuvent-elles être imputées aux nouvelles méthodes de mesures statistiques souhaitées par le ministre de l'Intérieur il y a plusieurs mois ?

Il n’y a pas de nouvelles méthodes de mesures statistiques. C’est toujours le même outil qui est utilisé, à savoir l’état 4001, et qui porte donc sur l’enregistrement de tous les crimes et délits portés à la connaissance des services de police et des unités de gendarmerie et faisant l’objet d’une procédure transmise au parquet. L’outil est donc le même.

En revanche, les systèmes d’information dans la gendarmerie ont été modifiés avec une plus grande automatisation de l’enregistrement et donc moins d’autonomie pour le militaire de la gendarmerie. Et c’est cette modification du logiciel de rédaction des procédures et du système qui le sous-tend qui a eu un impact très fort sur l’enregistrement de certaines infractions. La police nationale est également en train de déployer un nouveau logiciel de rédaction des procédures. Elle risque donc aussi de connaître des ruptures statistiques et l’interprétation des données sera rendue plus difficile. Mais rappelons que cette modernisation des systèmes d’information, indispensables et nécessaires, a été engagée il y a plusieurs années déjà.

Observe-t-on néanmoins une augmentation de la violence depuis un an ? Dans quels domaines plus particulièrement ?

On constate surtout la poursuite de la hausse des vols violents sans armes contre les femmes sur la voie publique. Cela se traduit notamment par les vols à l’arraché des sacs à main, des colliers ou des bijoux. C’est un phénomène qui a débuté il y a 4 ans et qui se poursuit. En revanche les vols à main armée ou les vols avec armes blanches semblent plutôt stables en zone police.

Dans le même temps, certaines infractions sont en baisse comme les violences physiques non crapuleuses (les coups et blessures volontaires sur la voie publique ou dans la sphère familiale) qui diminuent de 2,5 % alors que celles-ci avaient régulièrement augmenté depuis 10 ans.

Où est le "thermomètre fiable" voulu par Manuel Valls ? Est-ce que toutes les mesures ont été prises pour assurer la fiabilité des chiffres de la délinquance ?

Le thermomètre ne sera jamais fiable à 100 % car, à la base de l’enregistrement des faits dans un système informatique, vous avez toujours un agent, policier ou gendarme, qui va décider de la qualification des faits et de leur intégration dans le système. Le dispositif statistique policier est donc intimement lié au comportement de l’agent qui prendra la plainte. Et ce facteur humain ne disparaitra jamais.

Ce qu’il faut, en revanche, c’est que l’Etat mette tout en œuvre afin d’inciter les victimes à déposer plainte et surtout à faire en sorte que la collecte soit sincère c’est à dire que les policiers et les gendarmes ne soient pas tentés de ne pas enregistrer certaines infractions car, par exemple, ils seraient jugés sur la hausse ou la baisse des chiffres qu’ils produisent eux-mêmes. Il est important de disposer d’indicateurs quantitatifs et surtout qualitatifs pour mesurer la performance des services. Mais ces indicateurs doivent aller bien au-delà des seuls chiffres de la délinquance enregistrée.

Sur la fiabilité de la collecte, il semble que les instructions données par le ministère de l’Intérieur demandant notamment à ce que toutes les plaintes soient prises en compte soient plutôt positives. Car si suspicion il y a sur les chiffres de la police et de la gendarmerie, c’est uniquement sur cette question de la collecte. Le ministère de l’Intérieur a également créé de nouveaux indicateurs de performance prenant notamment en compte la temps de présence sur la voie publique, le délai de réponse aux appels de la population, etc. Et là aussi ce sont de réels progrès. En revanche, il manque encore des indicateurs sur la satisfaction du public et des victimes par rapport au service public de la sécurité.

Dans les années qui viennent, grâce aux nouveaux systèmes d’information en train d’être déployés, nous devrions justement obtenir des informations plus précises sur la nature et les caractéristiques de la délinquance et surtout sur le continuum police/justice. Pour analyser une politique publique de sécurité, il ne faut pas se contenter de regarder uniquement du côté du ministère de l’Intérieur. Une étude rigoureuse ne peut passer que par l’analyse de la filière pénale, de la mise en cause d’un individu par les services de police et les unités de gendarmerie à sa condamnation par les magistrats du siège en passant par les poursuites engagées et en n’oubliant pas la prise en charge par l’administration pénitentiaire. L’enjeu est là.

Finalement, quelle interprétation peut-on faire de ce premier bilan chiffré quant aux politiques mises en place par Manuel Valls ?

Comme tout bilan sur la délinquance enregistrée, il est contrasté. Les cambriolages continuent à augmenter mais moins vite qu’il y a un an. Les vols violents contre les femmes continuent à augmenter mais les coups et blessures volontaires diminuent. Pour avoir un vrai bilan, faisant abstraction des problèmes rencontrés avec les systèmes d’information, il faudra attendre décembre et la publication des résultats de l’enquête de victimation INSEE/ONDRP qui, elle, ne porte pas sur les faits enregistrés mais sur les infractions déclarées par les victimes que celles-ci aient ou non fait l’objet d’une plainte.

Par ailleurs, il est encore un peu tôt pour dresser un bilan. Le rythme de la criminalité n’épouse pas le rythme politique. Il y a souvent des décalages. Et très souvent les criminels ont un temps d’avance sur les forces de l’ordre. Ce qui est important c’est la réactivité des services de police et de gendarmerie. D’autres éléments, indépendant de la politique du ministère de l’Intérieur, peuvent avoir un impact sur le niveau de la délinquance enregistrée. Il en est notamment ainsi de la politique pénale ou encore des politiques de mise à exécution des peines.

Enfin, soyons lucides, il faut arrêter de penser que c’est parce qu’un ministre de l’Intérieur change que, du jour au lendemain, les criminels vont modifier leurs habitudes, décider de passer à l’acte ou réfréner leurs envies, ou que les policiers et les gendarmes vont bouleverser leurs pratiques professionnelles, leurs méthodes de travail ou leurs priorités. Ce n’est que sur une période assez longue que nous pouvons vraiment percevoir l’impact des politiques et des mesures prises par un ministre ou un gouvernement.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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