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Légaliser le cannabis, c'est lutter contre la délinquance
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Zone franche

De la prohibition des années 1920 sont nés Al Capone et la mafia. Que fera naître celle des années 2010 ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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Il y a peu de gens, en France,  pour porter un regard positif sur la « prohibition ». Et pas seulement parce « qu’au pays du vin », comme le suggère Maxime le Forestier, « avoir le foie chagrin c’est être patriote ». Que cette tentative d’éradiquer la consommation d’alcool aux États-Unis (de 1920 à 1933, siffler un brandy suffisait à vous envoyer au violon) ait été une immense erreur n’est en effet un secret pour personne.

Le Yankee moyen ne s’est pas arrêté de boire : il s’est mis à picoler en douce. Les bistrots n’ont pas disparu : ils se sont transformés en « speakeasies », ces tavernes clandestines où l’on claquait son salaire en tournées d'alcool frelaté. Les fabricants de whisky ne se sont pas mis au soda : ils sont passés sous le contrôle d’une mafia embryonnaire mais entrepreneurialement innovante.

Al Capone, le massacre de la Saint-Valentin, les incorruptibles… Ça rappelle sans doute quelque chose aux cinéphiles, mais bien davantage encore aux historiens de la naissance de la criminalité organisée aux États-Unis et de son rôle dans l’insertion économique de l’immigration italienne au début du vingtième siècle.

Lorsque Franklin Roosevelt, qui avait de la suite dans les idées, mit un terme à cette absurdité, il était d’ailleurs un peu tard : « The Mob » était devenue richissime, organisée comme une armée et parfaitement préparée à passer à autre chose ― comme l’industrialisation du racket, du jeu et de la prostitution, jusqu’alors chasses gardées de loubards sans envergure.

Mais surtout, des dizaines de millions d’Américains avaient pris l’habitude de frayer avec la mafia après le boulot, délégitimant le principe même de la loi à leurs yeux de citoyens modèles payant leurs impôts et ne traversant hors des clous qu’en cas d’absolue nécessité...

Douze millions de consommateurs (dont votre voisin et votre plombier)

Dans la France des années 2010, il y a sans doute un peu moins de consommateurs de cannabis que d’amateurs de bourbon dans l’Amérique des années 1920, mais c’est parce que l’éventail des distractions est plus vaste : selon la dernière enquête de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies, plus de douze millions de personnes admettent ainsi avoir tiré sur un joint au moins une fois ! Et rares sont les politiques affirmant, des trémolos dans la voix, qu’il s’agit du premier pas vers l’overdose d’héroïne à ne pas faire partie de ce troupeau…

Politiques, mais aussi journalistes, publicitaires, comptables, fonctionnaires du fisc, plombiers, agriculteurs, inspecteurs de police, bouchers-charcutiers, montreurs d’ours et éleveurs de grenouilles : ils prennent tous de temps à autre (ou font prendre à un copain plus téméraire) le chemin des cités où le trafic s’organise pour y faire leurs emplettes. Un trafic dont les acteurs sont, comme ceux de la mafia US avant eux, en train de passer à la vitesse supérieure.

Au règlement de comptes sauvage, au hold-up bancaire, à l’attaque de fourgons blindés, au braquage de casino à la kalachnikov, par exemple.

Et l’idée selon laquelle des diplômés de HEC en costume-cravate sont les vrais patrons du business quand les caïds des barres et des tours ne sont que leurs humbles factotums n’est plus, depuis longtemps, qu’un cliché fatigué pour scénaristes du commissaire Moulin.

Couper l'herbe sous les pieds des trafiquants, littéralement

Des élus, et pas exactement des enfants de cœur, commencent à prendre la mesure du danger en préconisant la légalisation du cannabis (Daniel Vaillant, maire PS du 18e arrondissement de Paris, ancien ministre de l’Intérieur) ou sa commercialisation sous le contrôle de l’État (Stéphane Gatignon, maire Europe Écologie de Sevran, en Seine-Saint-Denis).

Ils n’en sont pas encore à ébranler le consensus frileux qui conduisait, il n’y pas si longtemps, des députés homosexuels à défiler contre le PACS au nom d’une opinion jugée insuffisamment éclairée, mais les choses avancent. Pour le cannabis comme pour l'union entre personnes du même sexe, les ringards ne sont pas toujours ceux qu’on croit.

A l’heure où la moitié ou presque des délits recensés dans ce pays est liée, d’une manière ou d’une autre, au trafic et à la consommation de drogues ; à l'heure où des cités entières sont mises en coupe réglée par des trafiquants alimentant des citoyens socialement insérés en un produit notoirement moins nocif que l’alcool ou le tabac, une approche plus rooseveltienne de la question est peut-être de rigueur.

Après tout, couper l'herbe sous les pieds des dealers avant qu'ils n'achèvent leur mue et éliminer la violence découlant du trafic, c'est un projet tout à fait honorable pour qui veut faire chuter la délinquance et désencombrer les tribunaux. C'est aussi un bon projet pour qui considère que les Français n'ont pas besoin qu'on dresse à leur place la liste des poisons qu'il est raisonnable ou pas d'ingurgiter, mais c'est une autre histoire : le libéralisme, même sur ce plan, on sait que ça fait un peu peur.

Enfin, ça fait peur, mais pas autant que Scarface et Le Parrain, comme diraient les cinéphiles et les spécialistes de l'histoire des États-Unis...

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