Baisse drastique des recettes fiscales: effet cyclique ou preuve que les hausses d’impôt ne sont pas la solution ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le FMI a récemment jugé la pression fiscale en France "excessive" et recommande de rapidement la baisser.
Le FMI a récemment jugé la pression fiscale en France "excessive" et recommande de rapidement la baisser.
©Reuters

Trou à combler

"Il va vous manquer 30 milliards" : invité de Des paroles et des actes jeudi 6 juin, François Fillon a déclaré que l’on risquait de constater un trou de 30 milliards dans les recettes fiscales.

Frédéric Bonnevay

Frédéric Bonnevay

Frédéric Bonnevay est Associé d’Anthera Partners. Il conseille des institutions financières en Europe et au Moyen-Orient.

Il est notamment l'auteur de l'étude Pour un Eurobond - Une stratégie coordonnée pour sortir de la crise (Février 2010, Institut Montaigne).

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Atlantico.fr : Les recettes fiscales faibles sont-elles la preuve – modélisé notamment par la classique "courbe de Laffer" – que "trop d'impôts tue l’impôt" au moins en période de crise ?

Frédéric Bonnevay : La courbe de Laffer, si souvent invoquée, relève davantage du bon sens que de la théorie économique, stricto sensu. Son message est simple : une pression fiscale excessive érode le capital de compétitivité d’une économie et mine le consentement à l’impôt. Elle se traduit aussi nécessairement, tôt ou tard, par une baisse des recettes. C’est ce que nous pouvons observer de façon de plus en plus nette en France, où les mesures budgétaires se cantonnent trop souvent à de purs expédients. Il est toujours plus facile d’augmenter les taux de prélèvements plutôt que de réduire les dépenses et a fortiori, de réformer l’État.

Cette course en avant a ses limites : la base fiscale s’évide et attise le mécontentement. Un creusement des déficits, un puissant effet récessif et de possibles heurts sociaux sont à attendre. 

Le FMI a récemment jugé la pression fiscale en France "excessive" et recommande de rapidement envisager de la baisser. Y a-t-il une chance que la France entende cet appel ?

Le FMI – faisant, en cela, écho à Bruxelles et à la Cour des comptes - ne fait que reformuler un point de vue consensuel : les pouvoirs publics français ont longtemps cédé aux sirènes de la facilité, entretenant un niveau de dépenses objectivement excessif au vu des prestations offertes par manque d'ambition réformatrice.

Le financement des plans de relance, charge budgétaire pourtant ponctuelle, a fait basculer un équilibre précaire : les prélèvements, déjà élevés, atteignent désormais un niveau handicapant. Paradoxalement, le maintien durable de ce fardeau voire son alourdissement - qui n'est pas exclu - pourrait nuire à la confiance des investisseurs et pénaliser l'État sur les marchés par renchérissement du coût de sa dette.

Bien sûr, l'acquisition pérenne des OAT - les bons souverains émis par la France - émis dépend de la solvabilité supposée de l'État, et donc des perspectives de retour à l'équilibre des comptes publics. Mais s'il devient clair que, pour ce faire, le gouvernement mise sur une stratégie aux forts effets pervers sur le tissu économique et au succès, de ce fait, incertain, nos créanciers pourraient bien revoir le crédit qu'ils nous accordent encore. Notre avantage, de ce point de vue, est plus fragile qu'on ne le croit. 

L'État ne pourrait-il pas être tenté, avec cette nouvelle, d'accroître encore un peu plus la pression fiscale sur ceux qui ne peuvent pas vraiment se soustraire à l’impôt (classes moyennes, populations échappant à la crise, entreprises non délocalisables...) afin de combler le manque à gagner ? 

C'est certainement un risque car cette mesure - à très court terme mais à très court terme seulement - fait figure de martingale politique. En apparence, elle permettrait cet inouï tour de force consistant à drainer des recettes fiscales supplémentaires sans néanmoins frapper le socle statistique de la base électorale.

C'est malheureusement une tactique vouée à l'échec, pour des raisons évidentes et pour d'autres qui, peut-être, le sont moins.

Il est en effet évident que rien n'est définitivement gravé dans le marbre et que procéder par extrapolation ne fonctionne pas. Trop lourdement mises à contributions, les classes moyennes - actuellement dans le cœur de cible - ne tarderont pas à réagir, faute d'un avenir meilleur en lequel espérer. Les exemples, en Europe même, abondent : l'Espagne, la Grèce et le Portugal observent une hémorragie de leurs forces vives et sapent leur croissance future.

De façon à peine moins intuitive, peut-être, l'augmentation de la pression fiscale au delà du raisonnable constitue, même si elle se limite aux seules personnes physiques, est un puissant frein à la compétitivité : moins d'entreprises voudront s'implanter en France ou y conserver leur implantation, d'où de nouvelles tensions sur l'investissement et l'emploi, moins de croissance, moins de consommation, de recettes fiscales, creusement du déficit - et nouvelle augmentation ciblée du taux d'imposition, facteur d'érosion de la compétitivité. Le cercle vicieux est implacable.

Face à un État de plus en plus présent – parfois même à la demande des citoyens – que peut-on substituer à l'impôt pour assurer les ressources financières nécessaires ? L'État peut-il avoir d'autres rentrées d'argent que la seule ponction de la richesse nationale ?  

Bien sûr. L'État peut agir de deux façons pour cela. Une baisse des dépenses par réduction du périmètre d'intervention est le levier le plus efficace - malgré un effet récessif nettement moindre qu'une augmentation de l'impôt mais non négligeable. Tout ou presque a été dit à ce sujet, même si l'écrasante majorité des initiatives, de ce point de vue, reste à prendre.

Mais l'État peut aussi agir différemment, pour certaines de ses actions dont la suppression pure et simple est inenvisageable. L'État doit se muer en orchestrateur plus qu'en opérateur, en ordonnancier plus qu'en acteur direct. Certaines missions peuvent être confiées à des partenaires privés, avec un niveau d'exigence, concernant le résultat, au moins égal à l'actuel. Multiplier ce type de schéma poserait une équation financière que des capitaux privés, apportés par les partenaires de la puissance publique, auraient la charge de trouver. Une forte augmentation de transparence et d'efficacité d'utilisation des deniers publics en résulterait, en même temps qu'un bassin d'emploi de composition plus saine. 

Cette baisse des rentrées fiscales ne touche pas que la France. Est-ce une remise en cause dans toutes les économies développés que l'impôt à pris trop d'importance ?

Les États, comme tous les acteurs économiques, sont sujets au mimétisme - c'est l'une des forces mais aussi l'une des limites de notre système capitaliste de marché. Le premier État annonçant un nouvel effort de consolidation fiscale pour réduire ses déficits s'attire les faveurs des investisseurs - et a de grandes chances d'être copié, souvent avec des effets moindres, par ses pairs.

En résulte un alignement des politiques économiques d'austérité, un plongeon des taux de croissance et une efficacité des programmes moindre que prévu. Il ne suffit pas d'être "du côté de tout le monde" pour avoir raison : encore faut-il l'être le premier.

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