Arnaque au CICE : la relation entre grands groupes et sous-traitants est-elle totalement pourrie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le déséquilibre de pouvoir est plutôt en faveur du grand groupe car c’est lui qui est en situation d’oligopsone voir de monospone (il est le seul acheteur).
Le déséquilibre de pouvoir est plutôt en faveur du grand groupe car c’est lui qui est en situation d’oligopsone voir de monospone (il est le seul acheteur).
©Flickr

David contre Goliath

Le rapport annuel de la médiation inter-entreprises reçu fin mai par le gouvernement dénonçait les mauvaises pratiques des groupes qui profitent du fait que leurs sous-traitants bénéficient du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) pour leur réclamer une baisse de leurs tarifs, sous prétexte de répercuter leurs baisses de coûts.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Atlantico : Le rapport annuel de la médiation inter-entreprises reçu fin mai par le gouvernement dénonçait les mauvaises pratiques des groupes qui profitent du fait que leurs sous-traitants bénéficient du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) pour leur réclamer une baisse de leurs tarifs, sous prétexte de répercuter leurs baisses de coûts. Le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg s'est déclaré prêt à intervenir. Les relations entre grands groupes et sous-traitants sont-elles difficiles ?

Olivier Babeau : Disons qu’il y a depuis longtemps certains sujets de tensions liés à l’existence de relations de pouvoir déséquilibrées entre les deux acteurs. Ce n’est pas la taille en elle-même qui crée cette relation asymétrique, ce sont des conditions particulières de dépendances qui peuvent, il faut le souligner, exister dans les deux sens. Les chercheurs en stratégie d’entreprise observent par exemple qu’un fournisseur peut tout à fait disposer d’un pouvoir réel de négociation sur son client s’il dispose d’une technologie rare, s’il est en situation d’oligopole ou a fortiori de monopole, si les coûts de transfert du client sont élevés, etc. Dans de nombreux cas, néanmoins, le déséquilibre de pouvoir est plutôt en faveur du grand groupe car c’est lui qui est en situation d’oligopsone voir de monospone (il est le seul acheteur). Quand vous avez une entreprise qui est votre seule cliente, vous êtes totalement dépendante d’elle, et ce d’autant plus que la conjoncture est difficile et que les clients alternatifs seraient donc difficiles à trouver. Cette situation de dépendance totale est toujours risquée.

Quelles pratiques causent du tort aux PME ? Comment se manifestent-elles ?

Compte tenu de leur pouvoir de négociation, les grands groupes peuvent avoir tendance à faire comme n’importe quelle entité qui dispose d’un pouvoir unilatéral : il impose les termes de l’échange qui l’arrangent le plus. Quia ego nominor leo…

Cela se traduit d’abord évidemment par le niveau des prix d’achat qui peut être tiré à la baisse jusqu’à supprimer la marge du sous-traitant. Dans la grande distribution, où la relation entre producteurs et grandes centrales d’achat est particulièrement déséquilibrée, le problème est endémique. La force de négociation des centrales se traduit par le développement de ces fameuses marges arrières qui viennent amputer le prix de vente du fournisseur au prétexte de frais de coopérations commerciales ou de remises. Même si ces marges arrières ont été beaucoup réduites depuis quelques années (passent de 60% du prix de vente brut à 10%), il reste que le rapport de force est encore clairement en faveur des centrales (c’est d’ailleurs la seule raison d’être de la centralisation des achats !).
La seconde dimension courante des pratiques contestables est celle des conditions de paiement : certains grands groupes peuvent profiter de leur ascendant pour imposer des délais de paiement très longs, alimentant donc leur trésorerie aux dépens de celle des fournisseurs. Depuis 2000, une certaine amélioration a pu être enregistrée, : de 77,7 jours de délais de paiement moyen en 2000, on est passé à 61,2 jours en 2010. Mais cette régression est encore insuffisante et semble aujourd’hui marquer le pas.

Quelles sont les conséquences de ces pratiques sur le développement des entreprises françaises, notamment les PME ? Comment y remédier ?

Il n’est sans doute pas abusif de voir dans ces relations parfois tendues entre PME et donneurs d’ordre l’une (parmi d’autres) des causes du manque de PME en France par rapport à l’Allemagne. Elles peuvent en effet affaiblir profondément ces entreprises et les rendre incapables de se développer. Il faut ajouter que les grands groupes peuvent avoir une stratégie méthodique d’absorption voire d’élimination des PME, spécialement lorsqu’elles sont innovantes. Profitant de leur puissance financière, les grands groupes rachètent ces PME pour s’approprier leurs technologies. Ils les vident alors de leur contenu et les font mourir à petit feu. Dans certains cas, la technique peut s’apparenter purement et simplement à l’élimination d’un concurrent potentiel gênant.

Les sous-traitants craignent-ils de dénoncer ces mauvaises pratiques de peur d’être boycottés par les grands groupes à l’avenir ?

Oui, cette tendance existe indéniablement. Dans des secteurs où tous les intervenants se connaissent, les entreprises peuvent avoir peur de se faire une mauvaise réputation en portant le mauvais traitement dont ils font l’objet en justice, un peu comme un employé dans certains secteurs très spécifiques où tout le monde se connaît peut hésiter à aller aux prud’hommes de peur de l’image négative qu’il donnera ensuite à un éventuel futur employeur.

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