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Fred Perry, Lacoste, etc. : ces enjeux d'image sur lesquels les marques n'ont aucune prise
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Incontrôlable

Fred Perry associé à l'extrême gauche et à l'extrême droite, Lacoste aux jeunes de banlieue : toutes ces images dont les marques préféreraient se passer.

Jean-Noël Kapferer

Jean-Noël Kapferer

Jean-Noël Kapferer est professeur à HEC et expert européen des marques

Il est l'auteur de Rumeurs : Le plus vieux média du monde (1987, rééd. 2010, Points), Luxe oblige (avec Vincent Bastien, Eyrolles, 2008) et vient de sortir Réinventer les marques ( Editions Eyrolles, 2013) dans lequel il consacre un chapitre aux personnages-marques, et analyse l'exemple de David Beckham.

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Atlantico : Suite à la rixe entre skinheads et jeunes d’extrême gauche qui a entraîné la mort d’un jeune homme, la marque anglaise de vêtements Fred Perry bénéficie d’une médiatisation involontaire. C’est en effet au sortir d’une vente privée de la marque, prisée par ces deux groupes, que l’événement a eu lieu. Quel est l’impact pour les marques qui ne contrôlent plus leur image ?

Jean-Noël Kapferer : Il est vrai que Lacoste par exemple, malgré son image BCBG, a eu un certain succès auprès d’une clientèle qui n’était pas la sienne au départ, mais uniquement en France. Les Etats-Unis, premier marché de la marque, ne sont absolument pas concernés. Il en va de même pour Burberry en Angleterre. Ces marques étant patrimoniales, elles s’inscrivent sur le long terme. Ce n’est pas de la mode à proprement parler ; elles peuvent donc être détournées par des gens en recherche d’un statut.

L’événement qui a entraîné la mort du jeune homme va donner une notoriété à la marque, que cette dernière n’avait pas jusqu’ici en. Même en période de tournoi de Roland Garros, peu de gens voient la marque, qui à la base est une référence du vêtement de tennis. Selon un vieux dicton, « rien n’est pire que le silence ». On ne dira jamais que la marque a maille à partie avec l’extrême droite ou l’extrême gauche. Ces dernières ont jeté leur dévolu sur une marque très british sans qu’on comprenne vraiment pourquoi, à part que c’est pour essayer de compenser un statut social. Le buzz sur Fred Perry est lancé, de l’interrogation est générée  à son endroit...

Ces phénomènes tombent sur les marques sans qu’elles sachent pourquoi. Les rappeurs américains se sont mis à boire du Martel pour ne plus boire le whisky, boisson des Blancs. Auprès de la population, le même questionnement est né sur cette marque, au départ inconnue.

Comment ces marques appréhendent-elles le fait de ne pas contrôler la façon dont certaines clientèles s’accaparent leurs produits ?

Le cognac, qui s’effondrait de manière généralisée aux Etats-Unis a connu un regain de popularité. Le problème venait seulement de l’image, pas du goût, qui est sensiblement le même que celui du whisky. La boisson a gagné en modernité et en volumes, grâce au détournement de clientèle. Le choix d’une marque par certaines populations n’est pas aberrant : une population noire américaine choisit une boisson par opposition aux Blancs ; des jeunes de banlieue portent du Lacoste en France pour se « normaliser ». Il est uniquement question de compensation sociale ; l’attirance pour des marques établies depuis longtemps s’est produite chez des gens qu’on n’attendait pas. Le Martel ne se boit pas sur une table dans des verres : la bouteille est rentrée dans la poche arrière du jean… Cela peut supprimer tout une clientèle, et dans ce cas des années sont nécessaires pour reconstruire le lien. Mais cela peut aussi apporter des suppléments de ventes incroyables.

La perception que les gens ont des marques varie donc en fonction des pays ?

L’image est la même partout. C’est l’usage qui en est fait qui est local. Le détournement de Lacoste, par exemple, n’a lieu qu’en France.

Comment les marques s’organisent-elles ? Comment gèrent-elles le fait d’être « l’étendard » de petits groupes ?

Elles ne s’y préparent pas, car personne ne peut prévoir qu’une certaine clientèle va se jeter sur leurs produits, et encore moins qu’un assassinat va avoir lieu à proximité d’une vente privée de Fred Perry.

Elles sont obligées de gérer la crise. Fred Perry est une marque « pointue », contrairement à Lacoste. Elle attire une clientèle dont l’intention est de se différencier, mais elle n’y peut rien. Il s’est malheureusement trouvé que les deux tribus qu’elle « équipe » se sont affrontées. Il est d’ailleurs très rare que les groupes qui s’opposent partagent le même code vestimentaire.

Fred Perry n’a presque aucune existence en France. En un seul jour la marque a acquis une notoriété qu’elle n’aurait pas pu obtenir en deux ans, même en le voulant. En termes de visibilité, du bon et du mauvais sont à tirer de ce qui s’est passé, puisque à la base elle n’a pas de ressources pour se faire connaître.

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