Tout ça pour ça : paralysée par la peur de l’inflation, la zone euro est-elle finalement sous la menace d’une déflation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le processus serait très rude pour l'ensemble des européens car la dette privée ne s'est pas réduite de façon importante depuis le début de la crise et parce que la dette publique a augmenté de façon très vive."
"Le processus serait très rude pour l'ensemble des européens car la dette privée ne s'est pas réduite de façon importante depuis le début de la crise et parce que la dette publique a augmenté de façon très vive."
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Oups...

Après l'adoption des divers plan d'austérité et la rigueur monétaire de la Banque centrale européenne, plusieurs économistes craignent une baisse générale des prix en zone euro. Un phénomène potentiellement grave.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Faut-il craindre un scénario de déflation en zone Euro?C'est la question à laquelle nous aurons peut-être tous à répondre rapidement parce que les enquêtes menées auprès des entreprises suggèrent une réduction des tensions nominales mais aussi parce que les taux d'inflation s'infléchissent sensiblement se calant très au-dessous de l'objectif de 2% de la Banque centrale européenne.

Le processus serait très rude pour l'ensemble des européens car la dette privée ne s'est pas réduite de façon importante depuis le début de la crise et parce que la dette publique a augmenté de façon très vive. Une situation de déflation se traduirait par un renchérissement de la dette privée ou publique provoquant alors une situation dramatique sur le plan économique. Il conduit à une contraction supplémentaire de l'activité économique puisque le poids de la dette augmente dans les budgets des ménages endettés mais aussi dans celui de l'Etat endetté. La demande qui peut être formulée par les personnes ou les institutions endettées s'en trouve réduite puisque le montant alloué au service de la dette s’accroît. En revanche, ceux qui détiennent de la dette disposent d'un taux de rendement réel qui s’accroît avec la déflation. Cela peut engendrer une demande supplémentaire mais surtout cela provoque une redistribution spectaculaire des revenus entre ceux qui sont endettés et ceux qui ne le sont pas. Ce processus avait été étudié au début des années 1930 par le grand économiste américain Irving Fisher et ces conclusions étaient très négatives pour l'activité, la croissance et l'emploi.

Une remarque doit être faite ici sur la dette privée. Dans son dernier rapport sur l'économie mondiale d'avril 2013 le FMI montre dans le graphique 4 page 5 que le ratio dette sur revenu des ménages de la zone Euro est passé en 2012 au-dessus de celui des ménages américains. En moyenne sur les 3 premiers trimestres de 2012 le ratio dette sur revenu des ménages était de 108.2% aux Etats-Unis et de 108.5% en zone Euro (en 2011 les chiffres étaient de 111.7% aux USA et de 108.7% en zone Euro et en 2007, avant la crise, le chiffre était de 128.7% aux USA et de 103.1% en zone Euro).

Une situation de déflation serait très pénalisante en zone euro et c'est pour cela qu'elle doit être évitée. Elle ne réglerait pas la question de l'endettement public et pénaliserait l'ensemble des ménages puisque dans les deux cas, la dette élevée verrait sa valeur réelle s’accroître.

La situation macroéconomique deviendrait alors encore plus difficile à gérer si l'Etat souhaite maintenir la pression pour rééquilibrer ses finances publiques alors que les ménages sont pénalisés par une dette prenant un poids toujours plus important dans leur budget.

On peut faire quelques remarques préliminaires sur l'évolution des prix en zone  euro.

Le taux d'inflation est bas en zone euro et déjà en avril la Grèce et Chypre étaient en déflation. L'Espagne y était potentiellement une fois corrigés les effets de la fiscalité mise en place dans le but de rééquilibrer les finances publiques. Le Portugal n'est pas loin d'y plonger aussi hors fiscalité. La France et l'Allemagne ont un taux d'inflation sous-jacent (hors effet du prix des matières premières) qui en avril était sous le seuil de 1%. Les chiffres montrent ainsi que la situation est fragile puisqu'en dessous d'un taux d'inflation de 1% il peut y avoir des doutes quant à l'évidence d'une situation de déflation.

Le processus d'inflation en zone euro ne présente pas de persistance. Les accélérations à la hausse et à la baisse du prix du pétrole de 2008 à 2012 n'ont pas entraîné l'inflation durablement à la hausse ou durablement à la baisse. Les procédures d'indexation ne se traduisent pas par une inflation qui pourrait rester durablement élevée en cas de choc à la hausse.

Cela signifie qu'au-delà des évolutions des prix des matières premières, le taux d'inflation va être conditionné par les tensions éventuelles sur l'appareil productif, le marché du travail et les négociations salariales. Or aujourd'hui les tensions sur l'appareil productif sont très réduites. On peut le percevoir dans les enquêtes menées auprès des chefs d'entreprise. Dans l'enquête PMI/Markit en Europe le niveau de l'activité est très faible depuis très longtemps et de ce fait les tensions sur l'appareil productif sont très réduites. Pour fixer les idées l'indicateur composite pour la zone Euro dans l'enquête Markit est au-dessous du seuil de 50 depuis septembre 2011. (Dans ce type d'enquête, un indicateur au-dessus de 50 indique une hausse de l'activité, en dessous un repli de celle-ci). Cela se constate aussi sur le marché du travail puisque le taux de chômage depuis mai 2011 a augmenté de 2.3% pour se fixer en avril au taux record de 12.2%.

Par ailleurs, des pressions à la baisse des salaires sont observés dans les pays devant s'ajuster par des dévaluations internes afin de rétablir leur compétitivité et de de rééquilibrer leur balance extérieure. Ces pays, pour lesquels les taux de salaires avaient progressé plus vite que la productivité, doivent ajuster le niveau des salaires réels à la baisse afin de se caler sur la productivité.

En d'autres termes, depuis le premier trimestre 2011 l'activité recule en zone euro. Cela reflète une demande réduite et se traduit par l'absence de tensions au sein de l'appareil productif européen. Dans de nombreux pays les taux de salaires réels diminuent. C'est le cas en Italie ou en Espagne, pas encore en France.

En outre, l'absence de tensions sur le prix des matières premières ne contrarie pas ces phénomènes. Le prix du pétrole en juin 2013 est comparable à celui de juin 2012 ne créant pas ainsi de distorsions.

Rien dans cet environnement ne permet de laisser imaginer d'éventuelles tensions sur les prix. Le risque est que l'absence de tensions et la recherche de compétitivité puissent se traduire par des prix qui évoluent peu pendant un bon moment soit une situation qui pourrait se traduire éventuellement par des reculs de prix.

L'activité a une allure trop peu robuste depuis trop longtemps pour que l'on puisse exclure ce phénomène d'inflation très réduite dans la durée voire de déflation.

Au sein de la zone euro les ajustements de prix ne peuvent se faire via des mouvements brutaux du change mais il faut pourtant que chacun des pays retrouve de la compétitivité. Dans une situation de croissance "normale" l'ajustement s’opérerait douloureusement mais sans plus puisque la dynamique de l'activité provoquerait une situation qui finalement s'améliorerait pour tous. Dans une situation de stagnation voire de contraction de l'activité cela peut se traduire par de la déflation.

Il faudrait pour l'éviter que l'Allemagne relance sa croissance pour engendrer une demande plus vive au sein d'une économie ne présentant pas de déséquilibres majeurs à corriger immédiatement. Cela modifierait la dynamique de l'économie de la zone euro en provoquant une activité un peu plus soutenue et une trajectoire plus vertueuse.

On pourrait aussi relâcher la pression sur les politiques d'austérité qui se traduisent toutes par une contrainte supplémentaire sur la demande puisqu'une réduction des déficits public reflète une hausse de l'épargne de l'Etat et dont une demande moindre adressée aux entreprises. Une telle politique n'accentue pas les tensions sur l'appareil productif des entreprises. La réduction rapide des déficits publics n'a pas été remise en cause par les recommandations récentes de la Commission européenne.

La BCE aussi a un rôle à jouer car le taux d'inflation est trop bas par rapport à son objectif. Elle doit probablement avoir une politique encore moins orthodoxe même si ici on se heurte aux résistances allemandes (les opérations du type OMT ont été remises en cause devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe)

Si la dynamique actuelle n'est pas inversée et clairement la BCE, qui vient de réviser à la basse ses prévisions d'évolution de l'activité en 2013 à -0.6%, ne l'imagine pas, le risque est de voir les tensions nominales se réduire davantage par absence de pressions haussières. Compte tenu de l'endettement privé et public rappelé en introduction l'économie de la zone euro rentrerait à nouveau dans une zone de turbulences.

Là aussi il y a urgence.

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