Carrière : pourquoi les femmes gagneraient à prendre plus de risques <!-- --> | Atlantico.fr
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"La stabilité a souvent un revers : des possibilités de croissance moindres."
"La stabilité a souvent un revers : des possibilités de croissance moindres."
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Bonnes feuilles

Œuvrer pour que plus de femmes accèdent au pouvoir, qu'elles bénéficient des mêmes opportunités que les hommes, qu'elles osent s'affirmer et assumer leur choix : autant de défis que propose Sheryl Sandberg, numéro deux de Facebook. Extrait de "En avant toutes" (2/2).

Sheryl Sandberg

Sheryl Sandberg

Sheryl Kara Sandberg est l'actuelle directrice générale (COO) de Facebook. Elle était auparavant vice-présidente des Ventes et opérations internationales en ligne (Global Online Sales and Operations) chez Google. En 2012, elle est à la dixième place de la liste des femmes les plus puissantes du monde.

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Dans bien des circonstances, les femmes devraient témoigner d’une tolérance accrue aux risques dans leur carrière. Quand j’ai quitté Google pour Facebook, proportionnellement au reste de mon équipe, les femmes ont été moins nombreuses à me suivre. Fidèles à eux- mêmes, mes collaborateurs de sexe masculin se sont montrés plus intéressés par de nouvelles opportunités impliquant des risques mais susceptibles de rapporter plus au final. Bon nombre de mes collaboratrices ont fini par exprimer le souhait de rejoindre Facebook mais pas avant plusieurs années, une fois la société mieux établie. La stabilité a souvent un revers : des possibilités de croissance moindres.

Bien entendu, il y a des étapes de la vie où l’aversion au risque est une bonne chose ; à l’adolescence, comme à l’âge adulte, les hommes sont beaucoup plus nombreux à se noyer que les femmes. Cela dit, en affaires, l’aversion pour le risque condamne souvent à piétiner. Une étude des promotions à des postes de direction en entreprise a mis en évidence une propension plus nette chez les femmes à conserver la même fonction, y compris en assumant de nouvelles responsabilités. Et une femme manager gravira plus probablement un échelon en interne qu’à l’occasion d’un changement de société. Parfois, rester dans la même branche et la même entreprise crée une inertie qui limite les occasions de développement. Diversifier son expérience prépare utilement à exercer des fonctions de direction.

Je conçois que des pressions extérieures obligent les femmes à privilégier la sécurité en restant au même poste. Il est difficile, du fait de certains stéréotypes, d’assumer des fonctions traditionnellement détenues par des hommes. Les femmes sont en outre plus enclines à faire passer la carrière de leur partenaire avant la leur. Une femme en couple est tout à fait susceptible d’estimer hors de question un nouvel emploi qui implique un déménagement. Il en résulte une regrettable tautologie : la tendance à stagner entraîne la stagnation.

L’aversion pour le risque en milieu professionnel peut en outre occasionner chez les femmes une répugnance à se charger d’une tâche présentant un défi. Si j’en crois mon expérience, les hommes sont plus nombreux à rechercher les missions qui les obligent à se remettre en cause ou à se lancer dans un projet sur lequel tout le monde a les yeux braqués, alors qu’un plus grand nombre de femmes restent à la traîne. Des études indiquent que la remarque s’applique d’autant plus aux femmes en étroite collaboration avec des hommes ou dans les milieux où c’est surtout la réussite individuelle qui compte.

Si les femmes évitent les défis et les missions qui les obligent à se dépasser, c’est notamment parce qu’elles s’inquiètent trop de ne pas posséder les capacités requises. Leurs doutes ont tôt fait de se changer en prophétie autoréalisatrice, vu qu’on apprend souvent par la pratique, sur le tas. Un rapport interne de Hewlett- Packard a montré que les employées de l’entreprise ne se portaient candidates à un poste que lorsqu’elles estimaient satisfaire la totalité des critères de sélection. Les hommes, eux se contentaient de correspondre au profil décrit à 60 %. La différence entraîne des conséquences à la chaîne. Les femmes ne doivent plus se dire « je ne suis pas formée pour » mais « j’ai envie de le faire, et j’apprendrai par la pratique ».

Lors de mon premier jour de travail à la Banque mondiale, Larry Summers m’a demandé d’effectuer des calculs. Ne sachant comment m’y prendre, j’ai demandé de l’aide à Lant Pritchett. « Entre les données dans un tableur », m’a- t-il conseillé. Je lui ai avoué que je ne savais pas me servir d’un tel programme. « Mince alors ! s’est-il exclamé. Je ne peux pas croire que tu sois parvenue à ce stade, ni même que tu aies compris les bases de l’économie, sans savoir utiliser un tableur. » Je suis rentrée chez moi convaincue que j’allais me retrouver à la porte. Le lendemain, Lant m’a fait venir dans son bureau. Mon coeur battait alors à tout rompre. Au lieu de me virer, il m’a montré comment utiliser le logiciel. Voilà un chef formidable !

Qui plus est, les femmes répugnent plus à poser leur candidature à une promotion, même quand elles la méritent, persuadées que leurs bons et loyaux services leur vaudront naturellement une gratification. Carol Frohlinger et Deborah Kolb, fondatrices de Negotiating Women, Inc., parlent à ce propos du « syndrome du diadème » : les femmes « s’attendent à ce que bien faire leur travail leur vaille l’attention d’un supérieur qui les couronnera d’un diadème. » Dans une parfaite méritocratie, les diadèmes reviendraient à celles qui les méritent le plus, mais je n’en ai encore jamais vu circuler dans un bureau. Un travail acharné et de bons résultats devraient en principe garantir la reconnaissance, seulement, lorsqu’il n’en va pas ainsi, il devient nécessaire de se faire le champion de sa propre cause. Comme je l’ai évoqué plus tôt, l’exercice suppose beaucoup de tact. Il n’en reste pas moins indispensable.

Prendre des risques, privilégier les entreprises en expansion, se lancer des défis et réclamer des promotions (le sourire aux lèvres, bien sûr), constituent des facettes essentielles de la gestion d’une carrière. L’une de mes citations préférées vient de l’écrivain Alice Walker : « La manière la plus commune de renoncer à son pouvoir consiste à se convaincre qu’on n’en a pas. »

N’attendez pas qu’on vous offre le pouvoir sur un plateau. À l’instar du diadème, il pourrait bien ne jamais apparaître. Et de toute façon, qui s’encombrerait d’un diadème sur une cage à grimper ?

Extrait de "En avant toutes" (JCLattès), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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