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Le Japon, la superpuissance conquérante des années 80... qui a perdu pied pendant les 20 ans qui ont suivi : quelles leçons pour la France ?
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Japhollandisation

François Hollande est au Japon pour une visite de deux jours. Le pays du soleil levant est passé du statut de "miracle économique" dans les années 80 à celui d'économie en crise dans les années 1990. Aujourd'hui encore, le Japon essaye de se relever à coup de méthodes drastiques.

Denis Ferrand et Nicolas Goetzmann

Denis Ferrand et Nicolas Goetzmann

Denis Ferrand est Directeur Général de Coe-Rexecode depuis décembre 2008. Il a notamment participé aux études prévisionnelles pour l'économie mondiale en 2012 - 2013. Il est également directeur de la Conjoncture et des Perspectives.

Nicolas Goetzmann est Stratégiste Macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol.

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Atlantico : Dans les années 1980, l'économie japonaise semblait invincible et partait à la conquête du monde, les économistes parlant même à l'époque du "miracle économique japonais". Cependant, lors de la décennie suivante, suite à l'éclatement d'une bulle financière, le Japon s'est enlisé dans une période caractérisée par une croissance faible, voire nulle, et de la déflation encore problématique aujourd'hui. Les économistes ont même parlé de "décennie perdue" dans les années 1990. Quelles leçons peuvent être tirées pour la France d'aujourd'hui ?

Nicolas Goetzmann Au début des années 1990 l’économie Japonaise a souffert de l’explosion simultanée d’une bulle boursière et immobilière. Les excès résidaient principalement et comme toujours dans les anticipations des acteurs économiques. A cette époque, les valorisations tournaient aux alentours des 200 000 à 300 000 euros le mètre carré dans certains quartiers de Tokyo, ce qui peut effectivement poser problème (tout en permettant de mettre en perspective la "bulle" immobilière française). Le marché boursier flirtait quant à lui avec les 40.000 points, soit plus de 4 fois sa valorisation de 2012 et ce plus de 20 ans après. Il s’agit donc d’une double décennie perdue.

La situation actuelle de la France, aussi bien que celle de la zone euro est en effet comparable par son origine monétaire. Les Japonais, comme les Européens d’aujourd’hui, se sont évertués à trouver des solutions budgétaires à une crise dont la cause relève de la banque centrale. 20 années d’erreurs au Japon et déjà 5 ans d’erreurs en Europe qui ont entrainé les mêmes effets : stagnation de la croissance, hausse de la dette, hausse du chômage

Une crise monétaire signifie une crise de la demande, car rappelons que la demande agrégée n’est rien d’autre que la variable sous contrôle de la banque centrale. La visite de François Hollande au Japon en cette fin de semaine lui permettra peut-être de comprendre ce qui se passe au niveau européen. Shinzo Abe pourrait convertir François Hollande au monétarisme et à Milton Friedman, ce qui serait idéologiquement gênant pour lui, mais nécessaire pour le pays.

Denis Ferrand : Il convient avant tout de préciser que la France d'aujourd'hui et le Japon des années 1990 n'ont pas les mêmes "excès" à corriger. Les prix de l'immobilier étaient montés à des niveaux hors-normes dans l'archipel asiatique avant de redescendre, aujourd'hui, à un niveau inférieur à 60% de ce qu'ils étaient en 1990. Cependant, si les causes de la crise sont différentes entre le Japon et la France, certaines trajectoires sont similaires, les deux principales étant  :

  • la similitude démographique : le Japon allait progressivement entrer dans une phase de contraction de la population active dans les années 1990, ce recul de la population active âgée de 15 à 64 ans arrive maintenant en France ;

  • la similitude quant à l'évolution de la monnaie qui avait plutôt tendance à s'apprécier, à un niveau trop élevé pour passer le cap de la compétitivité.

Il faut se pencher sur le potentiel de moyen terme de l'économie notamment trajectoires démographiques (contraction) et les trajectoires d'investissement (actuellement à l'arrêt). La France fait donc face à un affaiblissement du stock de capital disponible pour la production : sur ce plan, la croissance s'annonce plutôt faible. Enfin, nous constatons depuis 40 ans un fléchissement des gains de productivité dont nous peinons à voir les éléments qui permettraient d'en assurer un redémarrage. Si l'on se penche sur la croissance du point de vue de l'offre, nous nous rendons compte qu'il n'y a aucun élément catalyseur de régénération de la croissance qu'ils soient quantitatifs ou qualitatifs.

Le FMI estime que la récession sera de 0,2% en France en 2013, avant une légère reprise à 0,8% en 2014, des révisions une fois de plus à la baisse. Avec ou sans les effets de la crise économique actuelle, la France s'apprête-t-elle à connaitre un "déclin" ou faut-il en finir avec les "idées reçues" ?

Nicolas Goetzmann : La France dispose du potentiel le plus important en Europe, mais elle ne reste qu'un potentiel pour le moment. La compétitivité est en berne, la fiscalité et l’attractivité sont un problème, mais les atouts sont bien présents : démographie, énergie, agriculture, ports etc. Ces derniers font de la France un véritable candidat pour devenir une sorte de "Dragon européen", pour peu d’être géré correctement.

Pour réaliser ce potentiel, les recettes sont connues :

  • Mise en place d’une politique monétaire intégrant la croissance, un objectif de PIB nominal serait la solution idéale pour la BCE.

  • Un contrat de travail unique afin de lutter efficacement contre le chômage des jeunes.

  • Profiter de la relance monétaire pour abaisser les charges sociales pesant sur le coût du travail.

  • Baisse du taux marginal d’imposition qui permet une importante incitation au travail.

  • Réforme des prestations sociales dès lors que le plein emploi sera atteint.

  • Réduction progressive des dépenses publiques à un rythme mesuré par le simple respect de la règle des 3% de déficit, tout en profitant d’une croissance nominale de 4% mise en place par la BCE.

Toutes ces réformes seront inutiles si la première n’est pas respectée.

La réforme sur le quotient familial est une aberration, la démographie française donne un atout essentiel à la France, il n’est pas permis de prendre le moindre risque sur ce point.

Denis Ferrand : Je n'aime pas le mot "déclin". Il faut repartir à la base : l'économie sert à optimiser les moyens de production pour satisfaire les besoins de la population. Or ces derniers diminuent en quantité que que soit le travail, qui n'augmente que faiblement, ou le le capital, c'est-à-dire l'investissement, qui est à l'arrêt. De l'autre côté, la population progresse encore. Pour faire simple : la capacité de l'économie française à répondre au besoin de la population diminue, s'affaiblit.

D'ailleurs, ce qui doit être le symbole d'une bonne santé de l'économie n'est pas tant la croissance mais la consommation par habitant afin d’apprécier la satisfaction que dégage la population. Or, la consommation est stable depuis 5 ans en France, il n'y a plus de progression comme dans les années 2000. Aujourd'hui, du côté de l'offre comme de la demande, la situation est donc létale. Il ne faut pas parler de déclin, mais de changement de trajectoire : l'économie française devient de moins en moins apte à répondre au besoin de la population.

Et la crise va accélérer ce processus : plus la crise dure, plus le capital de production (le travail, l'emploi, les facteurs de productions...) se détruisent. A ce titre, le chiffre le plus marquant n'est pas celui du chômage en lui-même, mais celui de la durée de l'inscription au chômage. Il est dramatique : il n'y a plus de rotation des chômeurs. Plus un chômeur est sans emploi dans la durée, plus il lui est difficile de se réinsérer sur le marché par la suite. Toute une frange de la population active se retrouve exclue du marché du travail. Et c'est la même chose du côté du capital : le niveau de PIB est inférieur à celui de 2007, une situation qu'aucun chef d'entreprise n'imaginait il y a quelques années. Face à cette situation, deux priorités pour l'Etat : éviter les irréversibilités - en faisant tout pour réinsérer ces chômeurs de longue durée sur le marché du travail - et faciliter les transitions pour les entreprises pour éviter toute perte de potentiel qui pourrait faire cruellement défaut lorsqu'il y aura un léger redémarrage de l'activité et qu'il faudra mobiliser tous les moyens. Il faut aider les entreprises à passer ce moment difficile. Pour le moment, beaucoup d'entre elles ont puisé dans leurs fonds propres pour tenir, mais cela ne pourra durer. Une réforme des dispositifs de trésorerie serait donc de bon augure.

Depuis l'arrivée de Shinzo Abe au pouvoir en décembre 2012, le pays a adopté une politique offensive pour se relever de la crise : affaiblissement du yen pour relancer les exportations, à venir une dérégulation et une privatisation de certains secteurs... La France, partageant une monnaie unique avec ses partenaires européens, dispose-t-elle des mêmes atouts pour se relever ?

Denis Ferrand : L'histoire des 15 dernières années nous montre bien qu'elle fut le maillon manquant de la croissance : la compétitivité. Il faut tout faire pour la rénover, c'est le principal enjeu aujourd'hui. Pour ce faire, il faut adopter une politique adaptée à la structure de l'économie française. Il faut que les entreprises retrouvent une certaine capacité d'adaptation ainsi que des marges de manœuvre en termes de compétitivité coût et hors coût (innovation, recherche et développement...). Tout cela requiert de très grandes réformes structurelles. Or, le mot compétitivité n'apparaissait que de façon subliminale dans le programme de François Hollande lorsqu'il était candidat.

Le recours à la dévaluation monétaire n'est qu'un des outils, mais pas le seul. L'impossibilité de dévaluer l'euro ne justifie pas toutes les difficultés. L'Allemagne partage la même monnaie que nous et se porte pourtant beaucoup mieux. Le problème est donc ailleurs : il est structurel. Il faut trouver nos propres leviers de compétitivité : le tourisme, l'aéronautique, le luxe, le secteur pharmaceutique... la France à plein d'atouts et est parfois en pointe. A nous de les mobiliser...

Nicolas Goetzmann : La réforme du mandat de la BCE est indispensable pour sortir de la crise. Le monde entier l’a compris, sauf l’Europe. Nous devons espérer que Shinzo Abe va instruire François Hollande sur cette question. Ce dernier est parvenu à extirper son pays de la récession en moins de 6 mois. Le Japon connaît une croissance supérieure à 3% aujourd’hui.

Une crise de la demande telle que nous la connaissons se traite par une relance monétaire, et non par une relance budgétaire ou par une politique de l’offre. Les réformes de compétitivité ne peuvent être efficaces qu’à partir du moment où la relance monétaire est en place, comme aux Etats-Unis et bientôt au Royaume-Uni.

Ensuite, et étant donné le niveau d’endettement actuel de la France, soit 90% du PIB, nous sommes dans une situation un peu moins dangereuse que le Japon qui tutoie lui le seuil de 245%. La France dispose également d’une arme importante avec ses réserves de gaz de schiste, point mentionné notamment par le rapport Gallois à l’automne dernier. Les réformes mentionnées plus haut feront le reste, et permettront à la France de retrouver une place de véritable leader en Europe, et dans le monde.

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