Cette lourde responsabilité que porte le système éducatif français dans la difficulté à pourvoir les emplois manuels <!-- --> | Atlantico.fr
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"De manière générale, l'orientation vers l'enseignement professionnel est une orientation par l'échec."
"De manière générale, l'orientation vers l'enseignement professionnel est une orientation par l'échec."
©Reuters

Jeux de mains

L’étude annuelle de ManpowerGroup indique une pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs dits "manuels". Parallèlement, l’Education nationale est régulièrement critiquée pour décourager les bons élèves à s'orienter vers ce type de métiers.

François Dubet

François Dubet

François Dubet est sociologue spécialiste de l'éducation, professeur à l'Université Bordeaux II et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : En France, le travail manuel est-il réellement dévalorisé à l’école ? Comment cela se manifeste-t-il ?

François Dubet : De manière générale, l'orientation vers l'enseignement professionnel est une orientation par l'échec. L'ordre hiérarchique des établissements et des filières est extrêmement rigoureux et se décline à partir d'une excellence scolaire dominée par l'abstraction alors que les apprentissages pratiques sont dévalorisés. Tout le problème vient de ce que les enseignants, les élèves et leurs parents adhèrent à cette hiérarchie, ce qui conduit parfois à jouer contre les intérêts de l'élève qui choisit des formations générales incertaines aux dépends de formations professionnelles plus sûres. La vieille dénonciation de cette situation n'empêche pas que les pratiques des acteurs de l'école s'y conforment sans cesse au point que l'orientation vers les formations professionnelles est perçue comme le signe de l'échec et souvent comme une humiliation. 

Comment expliquer cette vision des choses ? Est-elle proprement française ?

Cette vision est très prononcée en France pour un ensemble de raisons. L'école républicaine, celle de Jules Ferry, visait la formation des citoyens plus que la formation des travailleurs longtemps considérée comme l'affaire des entreprises. Ce qui est très différent de la situation allemande par exemple où la formation professionnelle a été précocement l'affaire des entreprises et des syndicats. La massification scolaire des années 1960 et 1990 n'a pas affecté ce modèle qui identifie la voie royale et les formations générales. Rappelons que les mode recrutement, de formation et les statuts des enseignants ne sont pas identiques dans l'enseignement général et dans l'enseignement professionnel, ce qui ne contribue pas à rapprocher les deux grands ensembles. Enfin, le thème de la "société de la connaissance" a poussé à accroître le nombre d'étudiants alors que les emplois manuels et relationnels qualifiés sont le principal gisement d'emplois. Tout ceci a construit une culture scolaire extrêmement lourde et malgré les critiques de cette situation et les efforts faits en faveur de l'enseignement professionnel, les mœurs scolaires ne changent guère : on continue à orienter par l'échec. Et ceci d'autant plus que le monde de l'entreprise et celui des métiers manuels sont très largement ignorés par les professeurs des écoles et ceux des collèges prompts à n'y voir que des métiers non qualifiés et des conditions de travail insupportables.

Quelles en sont les conséquences sur notre société, sur le marché du travail, sur l’insertion et la formation des jeunes ?

Les conséquences sont connues : c'est l'inflation et la dévaluation des diplômes généraux, et c'est le fait que des emplois ne sont pas pourvus en dépit du chômage endémique. C'est aussi de très grands écarts de salaire entre les métiers scolairement qualifiés et les autres puisque les seconds sont supposés faiblement mobilisateurs de savoirs, ce qui est évidemment faux. De plus, le poids de cette orientation scolaire est si lourd que la formation en cours d'emploi et tout au long de la vie reste largement délaissée par les personnes peu qualifiées scolairement qui ont intériorisé le sentiment de leur incapacité à apprendre à l'école. Ceci dit, bien des étudiants généralistes se reconvertissent vers des métiers manuels au prix de grandes amertumes et de lourdes déceptions.

Comment (re)valoriser le travail manuel à l’école ?

Il faut sans doute revaloriser les salaires et les conditions de travail des métiers manuels et peut être aussi que les médias en donnent une autre image. Mais l'essentiel serait sans doute de rapprocher les deux corps enseignants, le professionnel et le général, et de faire que tous les enseignants aient une idée plus exacte, moins négative, des métiers manuels. Pourquoi ne pas introduire et ré-introduire des activités plus pratiques au collège ? Pourquoi ne pas prendre les stages plus au sérieux ? Pourquoi ne pas démontrer ainsi que les métiers manuels reposent eux aussi sur de fortes compétences ? D'ailleurs, dans la vie réelle, nous n'en doutons généralement pas.

Propos recueillis par Benjamin Weil

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