Prendre une pilule pour retenir ses mots de passe : les nouvelles technologies vont-elles annexer le corps ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une pilule comme mot de passe : notre corps devient acteur des nouvelles technologies.
Une pilule comme mot de passe : notre corps devient acteur des nouvelles technologies.
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E-body

Motorola lance une pilule, qui, une fois passée dans l'estomac, lance un signal pour débloquer un appareil mobile.

Atlantico : Motorola a présenté une pilule qui, une fois ingérée, émet un signal d’identification pour se connecter à un appareil (smartphone, tablette, etc.).Outre l'aspect futuriste et quelque peu anecdotique de cette invention encore au stade expérimental, que révèle-t-elle de la place du corps dans l'utilisation des nouvelles technologies ?

Stéphane Hugon : Si Motorola peut envisager ce dispositif, c'est qu'un moment vient d'être franchi dans l'imaginaire qui structure nos relations aux objets techniques. Le fait que cette invention existe, est le signe d'un renversement important dans le rapport que nous entretenons avec les machines. Une grande partie de notre culture technique est fondée sur l'idée d'une supériorité de l'homme sur l'outil. C'est-à-dire que l'outil n'est qu'un périphérique qui vient servir les volontés humaines, et que toutes les machines ne sont que des extériorités de l'individu, c'est-à-dire qu'elles lui sont secondaires et subordonnées. On est là dans l'imaginaire de la prothèse, de l'outil, de l'arme, de la télécommande, etc. La conséquence de cela est que les objets techniques ont jusqu'à présent été considérés comme accessoires, comme annexes. Donc, placés en dehors du corps comme signe de leur subordination à la volonté de l’homme…

A terme, le corps va-t-il devenir un acteur des nouvelles 
technologies ?

La technologie a longtemps été pensée pour augmenter le pouvoir du corps. Sa force physique d'abord, mais aussi son confort, son sentiment de bien-être. Ceci est particulièrement vrai dans toute la période industrielle. L'informatique ouvre un moment particulier qui va placer, de fait, le corps entre parenthèse. Avec le fantasme d'une technologie connectée directement à l'esprit, nous nous sommes engagés dans une ère de l'oubli du corps.

Gibson, le romancier de la culture Cyber des années 1980, ira jusqu’à cristalliser cet esprit par le fait d'opposer le meat-space au cyber-space. C'est-à-dire que le corps - qu'il appelle la viande - s'oppose à un espace plus noble qui est celui des outils électroniques et des données. Ceci va mener à la culture geek que l'on connait pour dévaloriser le corps.

Or, aujourd'hui, on voit que le virtuel ne s'oppose plus au réel, et qu’au contraire il y a continuité. On le voit avec les nouvelles interfaces qui replacent le corps au premier plan, on le voit aussi avec tous les appareils mobiles qui injectent de la technologie dans l'espace (géolocalisation) et accompagnent le corps en mouvement (application et capteur pour le sport et dans tous les moments de mobilité). On a définitivement abandonné les objets techniques qui n'existent qu'au bureau. 

Quels scénarios sont aujourd'hui à l'étude ? 

Les différents scénarios à l’étude vont vers une disparition des machines. On parle beaucoup du cloud, qui consiste à déplacer les outils vers des serveurs qu’on ne voit plus, et en ne conservant que les objets terminaux et quelques interfaces. Ceci transforme totalement notre culture des ordinateurs composés d’une unité centrale et de périphériques. La question de l’échelle humaine est aussi modifiée. Les nanotechnologies, la robotique, les biotechnologies dessinent aujourd’hui un environnement radicalement nouveaux dans lequel le référent corporel humain est modifié. Il est soit relégué au second plan (la machine n’a plus besoin de l’homme), soit relégué à une autre dimension (le très petit ou le très grand.)

Les nouvelles technologies ont-elles d'ores et déjà changé notre rapport au corps ? Dans quelle mesure ? 

Le statut du corps dans notre culture occidentale est largement influencé par notre tradition judéo-chrétienne. Cela veut dire que nous avons gardé le sentiment d’une sacralité du sujet humain. Et si l’humain est sacré, cela signifie que l’homme lui-même ne peut pas se donner la vie, car il ne peut pas symboliquement prendre la place du créateur. On sait que cela a eu longtemps une influence sur la place des robots en Europe. Les robots anthropoïdes, c’est-à-dire de forme humaine, ont longtemps été irrecevables dans notre imaginaire. Non pas pour des raisons techniques, mais pour des motifs souvent inconscients et symboliques.

On le voit dans la culture populaire, la science-fiction, dans laquelle les robots génèrent chez les humains des sentiments de culpabilité, car ils renvoient à des situations de domination. L’histoire de l’esclavage est encore présente dans notre imaginaire. Alors qu’en Asie, au Japon notamment, les robots sont déjà un véritable marché. Cette situation évolue, et l’idée que les machines aient une âme choque moins aujourd’hui.

Plus encore, les avancées des travaux sur les prosthèses et les compléments techniques corporels font leur chemin. Les personnes qui portent des objets techniques sur elles savent que si le corps vieillit, les prothèses, elles, suivent une évolution qui les rend plus efficaces. Inexorablement, le corps vieillit, mais les prosthèses rajeunissent…

Propos recueillis par Manon Hombourger

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