Mélenchon peut gesticuler autant qu'il veut, encéphalogramme plat sur ses sondages<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Jean Luc-Mélenchon organise ce week-end une cinquantaine de «marches citoyennes» et de rassemblements dans toute la France.
Jean Luc-Mélenchon organise ce week-end une cinquantaine de «marches citoyennes» et de rassemblements dans toute la France.
©Reuters

Don Quicrotte

Vanne douteuse sur l'accident de Marine Le Pen et "marches citoyennes" à répétition, Jean-Luc Mélenchon semble n'avoir de cesse de vouloir attirer à lui l'attention médiatique. Pour autant, sa popularité ne s'envole pas parmi les classes populaires à la différence de celle de son Némésis d'extrême droite.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »

Atlantico : Après sa manifestation du 5 mai qui a rassemblé entre 30 000, selon la police, et 180 000, selon les organisateurs, à la Bastille, Jean Luc-Mélenchon remet le couvert ce week-end en organisant  une cinquantaine de «marches citoyennes» et de rassemblements dans toute la France. Pourtant malgré ses initiatives et sa forte présence médiatique Jean-Luc Mélenchon ne progresse pas dans les sondages depuis la présidentielle. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Bruno Cautrès : Selon les enquêtes d’opinion récentes, par exemple le Baromètre Figaro Magazine-TNS Sofres, les souhaits de voir Jean-Luc Mélenchon jouer un rôle important au cours des mois et années à venir s’établissent à un niveau moyen. Sur 42 personnalités politiques testées dans cette enquête Jean-Luc Mélenchon occupe la onzième place (sa cote d’avenir s’établit en juin 2013 à 28% alors qu’elle était de 46% en mai 2012, lorsque le candidat du Front de Gauche tirait parti de la campagne présidentielle). Cela le situe certes clairement derrière la personnalité de gauche la plus populaire dans cette enquête aujourd’hui (Manuel Valls 38% qui se classe en tête de ce classement), mais très proche des souhaits d’avenir exprimés vis-à-vis de Martine Aubry (30%) et Bertrand Delanoë (29%). Le leader du Parti de Gauche se situe même très légèrement devant des personnalités comme Ségolène Royal, Olivier Besancenot, Christiane Taubira ou encore Arnaud Montebourg ou Cécile Duflot. L’image du Parti de Gauche est elle-même moyenne : 25% de bonnes opinions (40% pour EELV, 37% pour le PS, 23% pour le PC, 15% pour le NPA). La position de Jean-Luc Mélenchon dans l’opinion est donc paradoxale à plus d’un titre : non seulement parce que les souhaits d’avenir le concernant et l’image de son parti se situent à un niveau moyen, mais pas mauvais en le comparant aux autres, mais aussi parce que le contexte économique et politique comporte des éléments qui devraient normalement le rendre plus populaire à gauche : la dimension européenne de la crise et de la réponse à la crise, la gauche de gouvernement qui peut décevoir une partie des électeurs de gauche, la montée des craintes et des doutes sur les bénéfices de l’intégration européenne et de l’économie mondialisée. Ses résultats électoraux en 2012 l’ont certes empêché d’être « le troisième homme » de la présidentielle et de conduire son combat contre Marine Le Pen au second tour des législatives à Henin-Beaumont, mais on ne peut parler d’un échec. Jean-Luc Mélenchon est parvenu à fédérer sur son nom les électeurs du PC mais aussi les électeurs de la gauche de la gauche, orphelins des candidatures Besancenot et Laguiller. Jean-Luc Mélenchon s’est à la fois fondu dans la géographie électorale du PC, a eu de bons scores dans certains départements de gauche et a fortement augmenter sa notoriété. La crédibilité de son programme n’était par contre pas en rapport de la forte notoriété de son porteur.

Pour en savoir plus, retrouvez le livre de Benoit Rayski : Le gauchisme, maladie sénile du communisme chez Atlantico Editions.  

Sa stratégie d’opposition frontale au président de la République est-elle contre-productive ?

Il n’est pas impossible que nombreux électeurs de gauche ne souhaitent pas fragiliser la majorité élue en 2012, confrontée déjà à la gestion de la crise économique. Et l’élection présidentielle de 2012 n’est encore qu’à un an de distance. Les choses bougeront au cours du mandat de François Hollande. Il n’a réalisé que 20% de son mandat pour le moment et en politique quatre ans c’est un temps très long. Il faut remarquer que d’ores et déjà le soutien à l’action de François Hollande est devenu minoritaire chez les électeurs du Front de gauche, comme parmi ceux de EELV. Ce soutien s’est également considérablement effrité dans les professions et milieux des salariés moyens ou des milieux plus populaires. La stratégie d’opposition de Jean-Luc Mélenchon à la politique économique et européenne du gouvernement connaîtra un vrai test avec les élections européennes de juin prochain. Le leader du Front de Gauche va-t-il s’inscrire dans les succès possibles des forces politiques critiques sur l’Europe ? Et les élections municipales en mars 2014 vont également présenter un cas de figure intéressant : l’union de la gauche existe encore fortement au niveau local et l’intérêt des formations politiques comme le Parti de Gauche est bien évidemment d’entrer dans les majorités municipales de gauche ou de s’y maintenir. Au-delà de la séquence électorale de 2014, les résultats économiques du gouvernement à horizon de son mi-mandat et pour 2015 vont jouer un rôle très important : si la courbe du chômage n’est pas durablement « inversée », si les inégalités sociales et générationnelles ne sont pas fondamentalement réduites, une marge de manœuvre existera dans la perspective des élections de 2017 pour Jean-Luc Mélenchon et au-delà de lui pour une stratégie portant un autre projet politique à gauche. Mais la logique de la présidentielle et des conditions de cette élection conduiront à des contradictions. Il est évident que les données économiques vont jouer un rôle fondamental : un meilleur climat économique permettra-t-il à l’exécutif de développer un second temps de son mandat avec des symboles économiques de gauche ? Les rapports de l’exécutif au PC, au Front de Gauche, même à EELV, seront à terme conditionnés par ces données.

Pourquoi Marine Le Pen progresse-t-elle davantage dans les sondages, notamment auprès des classes populaires ? Comment Jean-Luc Mélenchon peut-il récupérer cet électorat qu’il semble viser ?

Lors de la présidentielle de 2012, la présidente du Front national a reçu davantage de soutien des ouvriers et des employés que le candidat du Front de Gauche. Au niveau départemental, la corrélation est négative entre le nombre d’ouvriers et le nombre de suffrages pour Jean-Luc Mélenchon. Mais ce problème est complexe ; la définition des « classes populaires » est un enjeu politique autant qu’un enjeu de classement sociologique. Une autre difficulté tient au fait qu’en France, comme dans toutes les démocraties européennes, la vie politique n’est plus en une dimension. Trente ans de recherches conduites à Sciences Po ont montré que deux dimensions organisent la politique, telles que les électeurs la perçoivent : la dimension économique où règne le conflit gauche/droite et la dimension culturelle où d’autres configurations peuvent potentiellement exister (par exemple entre pro-européens de gauche et de droite). La difficulté de toute la gauche, et pas seulement Mélenchon, avec les classes « populaires » tient à cette question : il est devenu difficile de gagner les élections présidentielles ou législatives sans gérer cette contradiction : si la gauche ne parle que de l’économie elle a plus de mal à séduire les classes plus favorisées, très sensibles aux questions culturelles et de société ; si elle n’en parle pas assez, c’est l’inverse qui peut se passer. A droite, le problème existe également car le Front national pose d’importants problèmes à droite. On voit bien ces derniers temps que les questions économiques commencent à diviser la gauche tandis que les questions culturelles (sécurité, immigration, mariage homosexuel) travaillent la droite.

Tout est donc compliqué, rien ne se réduit à des approches trop simples qui ignorent ce problème de double dimension de la politique et de son éventuelle accentuation ou atténuation on fonction des moments et de qui gouverne. La logique de la présidentielle à deux tours accentue cette difficulté puisque le premier tour encourage les familles politiques à se différencier, puis à se retrouver au second tour. Vouloir réduire la politique à une seule dimension (le clivage gauche/droite avec d’un côté les milieux populaires soutenant la gauche et de l’autre les catégories soutenant la droite) c’est ne pas comprendre ce que sont devenues les sociétés post-industrielles. La fonction du politique est de réduire la complexité du monde réel à quelques grandes dimensions clivantes, mais aujourd’hui celles-ci sont plurielles. La stratégie de Mélenchon ne peut que se situer dans ce cadre qui implique à termes une vraie réflexion stratégique pour lui. Sauf à ce que le Front de gauche ne revienne seulement vers la « fonction tribunicienne » : être le porte-parole de ceux qui vivent l’exclusion de ce monde en train de changer, faire pression sur la gauche de gouvernement et très critique à son égard tout en lui apportant son soutien aux second tours. Sauf également, cas de figure tout à fait théorique aujourd’hui, à ce que la VIème République appelée de ses vœux par Jean-Luc Mélenchon, n’aboutisse. Ces questions vont fortement peser à terme sur la stratégie du Front de gauche, sur celle de Jean-Luc Mélenchon, sur les rapports au sein du Front de gauche et vis-à-vis du PS. Les élections de 2014, puis à terme la préparation de celles de 2017 vont être tout à fait passionnantes à suivre de ce point de vue.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !