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Halte au terrorisme du niveau sonore !
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Et je baisse le son...

Le silence est devenu dans notre société ultra-urbanisée un bien de plus en plus rare que l'on nous vend tacitement dans les publicités d'automobiles ou de voyagistes. Mais même face à ce constat navrant, il semble que la dictature du bruit ait de beaux jours devant elle.

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon est présidente du Mouvement ETHIC (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) et chef d’entreprise (SDME).

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La pollution consentie volontaire et même imposée existe. Il s’agit de la « bande-son » qui doit désormais rythme nos vies. Au fur et à mesure qu’on tente d’assourdir une pollution sonore reconnue comme nuisible (avec des murs anti-bruit et des innovations techniques sophistiquées de toutes sortes) simultanément nous sommes les victimes d’une « ambiance sonore permanente ». Le silence est devenu l’ennemi de la consommation donc il faut à tout prix le couvrir. Le silence serait gravement propice à la réflexion et peut être générateur d’un mal parfois nécessaire et qui a disparu du vocabulaire : « l’ennui » ! Pour masquer le silence et donc cet ennui existentiel, il faut du son (certains appellent cela de la musique, ce brouillamini à base de notes méconnaissables qui couvrent tout ce qui peut ressembler à la réalité de l’instant. Musique au mètre ou au kilomètre, nous subissons ce que jamais on ne voudrait volontairement entendre et encore moins écouter ; partout et tout le temps gavés par la bande sonore mondialisée d’une ubiquité festive. Musique au restaurant, musique dans l’ascenseur, musique dans les toilettes, musique à tue-tête dans les magasins (plus elle est forte et plus le magasin est branché), musique sur la plage, au bord de la piscine de l’hôtel, chez le coiffeur, musique dans la benne à la montagne, sur la piste de ski (si, si : celle du tremplin de saut des ados), musique dans l’avion (pour nous déstresser), musique dans le taxi…

Quant à la catégorie du jeune, évidemment visée, on se demande pourquoi on s’obstine à en rajouter puisqu’il a de toutes façons des écouteurs sur les oreilles ? Peut être est-ce pour que la rupture ne soit pas trop brutale lorsqu’il enlève son casque. La violence de cet envahissement va bien au-delà de l’inconfort et de l’irritation que cela peut provoquer. L’inquiétant est dans tout ce que le « décor sonore » veut imposer implicitement, un bonheur factice de pacotille, l’affichage de la cool attitude (« cool » : forme revendiquée du laisser aller ou de l’indulgente mollesse). Mais attention, cool mais pas seulement ! En effet un rythme entraînant revendique un certaindynamisme : « je vis à plein tube moi ! ». Le marketing de la « vie bonne » impose ses signaux, on repeint tout en rose sonore. Il faut masquer le chant des oiseaux (pas assez tendance) dans cette auberge de campagne ; il faut couvrir le bruit des skis sur la neige avec les oreillettes de la génération Y (le « Y » étant alors la forme des oreillettes qui les coupent du monde). Par ailleurs, pour marquer son bonheur de vivre, le must est de se dandiner au rythme de ce que l’on vous sert au menu sonore du jour. Si vous vous dandinez ou que vous secouez la tête, c’est que vous êtes branché et sympa : la danse des canards qui se reconnaissent entre eux.

Si vous faites partie de ceux qui ont tout essayé pour demander qu’on baisse un peu la musique – sur tous les tons – du rictus au sourire, du « s’il vous plait » implorant à la menace exaspérée, vous avez remarqué que c’est peine perdue et que vous faites implacablement partie des ringards pas cool. Les prétextes de refus sont multiples « les clients aiment ça » (vous apprenez à cette occasion que vous n’êtes pas client), « ça met de l’ambiance » (s’il n’y avait que vous, ce serait sinistre), « on a déjà baissé… », « la musique fait partie de notre charte d’accueil » (sic, une innovation récente dont j’ai apprécié la créativité à sa juste valeur), « je veux bien baisser mais le DJ va arriver, alors… » (sourire sadique). Par décret stratégique sociétal, il est donc dorénavant déconseillé fortement de lire, de rêver, d’avoir une conversation à décibel mesuré, d’écouter le silence. C’est une amputation progressive qui nous menace, celle de nous couper de l’un de nos 5 sens grâce auquel nous ressentons, éprouvons, anticipons… Un sens qui nous alerte aussi du danger, à ski ou en deux roues avec un casque sur les oreilles quel risque inconsidéré que d’être coupé des bruits du monde.

Mais rassurons-nous, le marketing veille, si le marketing auditif a suivi les traces du marketing olfactif (odeurs chimiques et fictives de croissants devant la boulangerie), bientôt, selon la règle que ce qui est rare est cher, le silence va se vendre. Pour mieux nous faire dépenser on va nous faire payer le calme recherché après nous avoir bien assourdis. Combien serons-nous prêts à payer en plus pour un label « silence garanti » ?  

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