Consommateurs, budget de l’Etat ou fabricants de patchs anti-tabac : mais pour qui la cigarette électronique est-elle donc la plus néfaste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les volutes produites grâce aux cigarettes électroniques contiennent essentiellement de la vapeur d'eau.
Les volutes produites grâce aux cigarettes électroniques contiennent essentiellement de la vapeur d'eau.
©Reuters

Ecran de fumée

Le récent rapport remis à la ministre de la Santé Marisol Touraine recommande de légiférer sur la cigarette électronique, et notamment d'interdire son utilisation dans les lieux publics. Comment expliquer un tel revirement de situation, alors qu'il y a quelques mois les cigarettes électroniques étaient perçues comme une porte de sortie à l'addiction au tabac ?

Jean-François  Etter et Stéphane Sandeau-Gruber

Jean-François Etter et Stéphane Sandeau-Gruber

Jean-François Etter est chercheur à l'Institut de médecine et préventive l'université de Genève. Ces domaines de compétences portent sur la dépendance au tabac, l'évaluation de programmes de prévention. 

Stéphane Sandeau-Gruber est scientifique en Biochimie. Il travaille depuis plus d’un an sur les problématiques de la cigarette électronique. Pour plus d'information sur les conflits autour de l'e-cigarette, le blog www.UnAirNeuf.org tenu par Luc Dussart.

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Atlantico : Récemment, un rapport commandé par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, et réalisé en partie par le Professeur Dautzenberg, préconise que la cigarette électronique soit soumise à la même réglementation que la cigarette traditionnelle : interdite dans les lieux publics, interdite aux moins de 18 ans. Les volutes produites grâce aux cigarettes électroniques contiennent essentiellement de la vapeur d'eau : comment justifier de telles précautions ?

Jean-François Etter : Les experts qui ont rédigé ce rapport, desquels je me suis désolidarisé, pèchent par excès de zèle. A l’heure actuelle, il n’y a pas de données suffisantes pour justifier ce type de restriction. Une interdiction dans les lieux publics, ou aux mineurs paraît abusive. Si d’une certaine façon la cigarette électronique peut protéger les adultes, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas aider les adolescents aussi. L’interdiction dans les lieux public est une mesure forte, qui doit reposer sur un principe de proportionnalité. Or, dans ce cas précis, il est disproportionné d'inculper la vapeur rejetée dans l’air ambiant car elle est beaucoup moins toxique que la fumée de cigarette traditionnelle.

Stéphane Sandeau-Gruber : Tout d'abord, on ne peut uniquement considérer le composant majoritaire d'un produit pour en définir la réglementation : les produits minoritaires ou sous forme de traces, ainsi que leur effet, sont également à étudier, ce qui a été le cas dans ce rapport. Les volutes que produit le vapoteur sont en effet composées majoritairement d'eau. Le propylène glycol et la glycérine végétale permettent d'augmenter la température du point de rosé du mélange expiré, ce qui permet d'obtenir un phénomène similaire à celui que l'on observe lors d'une fraiche et humide journée hivernale, mais à température ambiante : la production de nuages, de volutes, qui se dissipent rapidement.

La recommandation d’interdire le vapotage dans les lieux publics n'est pas justifiable, car elle va à contresens des conclusions scientifiques du même rapport : l'e-cigarette est validée dans son rôle d'outil de santé publique hors monde médical, avec un bénéfice-risque totalement favorable pour les fumeurs et une absence de risque pour l'entourage. Le rapport stipule même qu'il est primordial de ne pas entraver l'accès des fumeurs à l'e-cigarette.

La justification que donne le Pr Dautzenberg pour cette recommandation est l'exemplarité. Vapoter serait une incitation à fumer ! Les témoignages de vapoteurs vont à l'opposé : par leur pratique publique, ils inciteraient au mieux les fumeurs à vapoter, et les non-fumeurs seraient curieux voir indifférents. Cette recommandation est dans la continuation logique d'une politique de lutte contre le tabagisme vieille de plus de 10 ans qui a montré son inefficacité et son coût (Cf. rapport de la cours des comptes), et qui est basée sur la culpabilisation du fumeur, la dénormalisation du geste et de tout comportement s'apparentant de près où de loin au tabagisme.

Aux vues des précédentes prises de positions très sévères de certains professionnels médiatiques de la lutte anti-tabac qui ont participer au rapport, des recommandations très en faveur de l'e-cigarette n'auraient pu être interprétées autrement que comme un cuisant aveu d'ignorance passée,  d'incompétence, ou pire, d’un intérêt autre que la santé publique.

Les conclusions scientifiques allant déjà en ce sens, il est normal de voir produites des recommandations sévères, qui restent dans le sens des prises de positions antérieures. Résultat : l'attention médiatique se cristallise sur cet unique détail, au lieu de souligner les points positifs du rapport. Heureusement, ces recommandations ne font pas office de loi, et ce sont les législateurs qui ont la tâche de définir les valeurs de notre société de demain, aidés par des expertises scientifiques et techniques objectives, ainsi que sociales, comme l'est la première partie du rapport.

Finalement, la défiance de l'opinion publique vis-à-vis des "expertises" commanditées pas nos gouvernants, qui s'illustre par l'expression "la dictature des experts", ne me surprend plus, lorsque les avis rendus sont à ce point emprunt de jugements moraux, dont personne ne devrait se targuer d'être expert.

J'imagine volontiers une décision finale moins sévère, pouvant inclure une partie des recommandations ou des recommandations appliquées en parties, en fonction de la volonté politique de nos décideurs. Elle statuerait sur l’accès à la nicotine aux mineurs en dessous d’un certains âges et l'interdiction de l’usage de la cigarette électronique dans certains lieux publics : ceux favorisant la promiscuité subie (transport en commun) et dans les lieux d'accueil d'enfants, pour ne pas créer une curiosité attractive envers un produit qui leur serait interdit et est conçu pour des fumeurs.

La décision d’interdire ou d’autoriser, temporairement ou définitivement, l’usage de l’e-cigarette dans les autres lieux publics devrait être laissée à la discrétion des responsables de ces lieux, associée à une signalétique adaptée, l'important restant bien sûr le respect de ses concitoyens en toutes circonstances.

Le succès de la cigarette électronique est grandissant. A qui ce succès profite-t-il ? A contrario qui est-il susceptible de gêner : laboratoires et industries pharmaceutiques, buralistes, chaîne de l'industrie du tabac, l'Etat français ?

Jean-François Etter : Ce succès profite aux vendeurs et aux fabricants bien évidemment, mais aussi aux fumeurs. La marge bénéficiaire est plus importante avec les cigarettes électroniques que les cigarettes traditionnelles. Pour le moment en France, il n’y a pas de baisse observable. D’un point de vu médical, ces cigarettes sont utilisées par des fumeurs comme une alternative au tabac. Pour les consommateurs, elles sont moins chères et moins dangereuses que des cigarettes classiques. Si cela leur permet de réduire leur consommation, ou même d’arrêter de fumer, c’est très positif pour la santé publique.

Les opposants les plus virulents à la cigarette électronique sont des experts de santé publique et les législateurs. Les experts de santé publique souffrent d’un traumatisme lié à la tromperie des cigarettes légères. Il y a une quarantaine d’années, l’industrie du tabac a trompé beaucoup de monde en manipulant les machines à fumer et en faisait en sorte que certaines cigarettes affichent des taux plus bas de substances toxiques. Par la suite, il s’est avéré que ces cigarettes n’étaient pas moins dangereuses que les autres. Les législateurs ont une approche très formatée, une approche "médicamenteuse". Ils veulent réglementer ce produit comme un médicament, or ce n’est pas un médicament car ce n’est pas vendu avec une intention thérapeutique.

Stéphane Sandeau-Gruber : Tout d’abord, ce succès profite à la santé publique, car cet outil permet aujourd’hui d’écarter une partie des fumeurs d’un comportement à risque, le tabagisme, en faveur d’un comportement très peu risqué, le vapotage. L’e-cigarette est à ce titre une révolution, car simplement concurrent de la cigarette de tabac : il s’agit du premier produit de lutte passive contre le tabagisme.

Les acteurs économiques de l’e-cigarette profitent également de ce succès. La plupart des commerçants qui sont implantés depuis plus d’un an dans le domaine de l’e-cigarette sont des entrepreneurs qui ont pris un risque, en misant sur un produit pour lequel ils se sont passionnés. Comme dans tout domaine, il y a des pratiques déviantes, concernant la transparence sur la provenance des produits ou la tarification, mais la mise en place de bonnes pratiques et l’énorme disponibilité d’information sur les forums et autres média d’internet laisse présager un assainissement progressif du secteur. 

En plus de ceux que vous citez, je rajouterais une autre entité qui pourrait être gênée par l’e-cigarette : Bercy. L’équilibrage entre santé publique et perte fiscale avec la baisse des ventes de cigarettes de tabac, entre le Ministère de la Santé et celui du Budget, devrait être évident, mais sait-on jamais ? L’industrie du tabac est l’entité qui aura le moins de mal à s’adapter aux changements : son rapprochement du nouveau marché de l’e-cigarette a déjà commencé.

Enuite, certains vont même jusqu’à analyser l’e-cigarette sous l’angle d’un terrain d’affrontement commercial entre la Chine et les Etats-Unis d’Amérique, en plus de la triangulaire BigTobbaco - BigPharma - Etat. C’est une approche intéressante, même si je n’en partage pas toutes les conclusions. 

Comment expliquer la soudaineté et la violence de l'offensive lancée contre la cigarette électronique ?

Jean-François Etter : Il y a deux événements récents qui peuvent expliquer ce déchaînement médiatique : la discussion sur la directive européenne à Bruxelles, et la remise du rapport français, ainsi qu’un rapport allemand. Ces derniers temps, le produit est plus visible, les boutiques spécialisées se multiplient. Cependant, les opposants font fausse route, car c'est une véritable alternative pour les fumeurs. 

Stéphane Sandeau-Gruber : L’offensive lancée contre la cigarette électronique est loin d’être soudaine. Elle a existé depuis que le phénomène est devenu autre que marginal et à commencer à déranger les intérêts de l’industrie pharmaceutique.  

Alors qu’en juillet 2008, l’Afssaps et la DGS « recommandent la plus grande prudence aux utilisateurs : en particulier, l’usage de cigarettes électroniques est à éviter chez les femmes qui allaitent en raison de la toxicité de certaines substances et de l’absence de données relatives à leur passage dans le lait maternel », le discours change en mai 2011, avec le communiqué de l’Afssaps recommandant « de ne pas consommer de cigarette électronique. »

Et dès février 2010, l’OFT réagissait déjà à un reportage télévisé, précisant par communiqué de presse que « La cigarette électronique n’est pas une méthode validée de l’arrêt du tabac », ajoutant que « L’OFT demande à ce que les cigarettes électroniques soient considérées soit comme des  produits du tabac et donc commercialisées chez les buralistes avec la fiscalité du tabac, soit comme des médicaments ».

La violence de l’offensive ne put qu’augmenter avec l’attrait grandissant des e-cigarettes, proportionnellement à la gêne occasionnée aux intérêts financiers des acteurs en place sur le marché de la nicotine « propre ».

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