Tensions sur les différents modèles d’intégration européens : le cas italien<!-- --> | Atlantico.fr
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Un immigré tunisien montre son titre de séjour italien.
Un immigré tunisien montre son titre de séjour italien.
©Reuters

Zizanie

Si l'Italie peut sembler moins concernée par les émeutes urbaines, elle concentre des zones alliant forte immigration, problèmes économiques et troubles sociaux. Alors que l'immigration massive se passait sans trop de heurts dans les années 90, des problèmes sérieux commencent à apparaître.

Première partie de notre série concernant les tensions sur les différents modèles d'intégration européens : le cas scandinave
Deuxième partie de notre série concernant les tensions sur les différents modèles d'intégration européens : le cas britannique

Atlantico : Stockholm et sa banlieue ont connu plusieurs nuits de violences. Les incendies de voitures, dégradations et jets de pierre, d'abord confinés à Husby, un des quartiers pauvres de Stockholm, se sont étendus aux autres quartiers défavorisés et abritant la plus forte concentration d'immigrés. La France et l’Angleterre ont également connu des émeutes urbaines. La situation semble plus apaisée en Italie. Est-ce vraiment le cas ?

Christophe Bouillaud : La situation peut aussi dégénérer en émeutes urbaines en Italie. A dire vrai, ces dernières années, ce sont plutôt des émeutes de groupes populaires italiens contre les immigrés qu'on a observé, plutôt que l'inverse. Il a suffi parfois d'un acte de délinquance (viol, vol avec violence, etc.), parfois particulièrement choquant par ses circonstances ou  par la caractéristique de la victime (un commerçant bien connu des gens du quartier par exemple), pour qu'un quartier populaire se mette à vouloir chasser les immigrés. Parfois, ces émeutes correspondent à une instrumentalisation par la criminalité organisée de ces groupes populaires italiens. Cela a eu lieu il y a quelques années dans le sud du pays lorsque des travailleurs agricoles immigrés (africains en particulier) n'ont plus accepté leurs conditions de travail. Bien sûr, dans ce genre de "guerre entre pauvres" pour la maîtrise d'un territoire, les immigrés ne restent pas eux-mêmes sans réagir. Une communauté qui ne fait jamais parler d'elle en ce sens en France, les Chinois, a même été pas loin d'être tentée par l'émeute dans le quartier milanais de la rue Paolo Sarpi. Comme dans le quartier du Sentier et de Belleville à Paris, les commerçants chinois avaient envahi l'espace commercial de cet ancien quartier populaire, mais aussi l'espace public avec leurs camions de livraison. Les habitants italiens du quartier ont alors demandé une réaction de la part de la mairie centrale de Milan, en particulier d'empêcher un certain nombre de livraisons qui avait fait du quartier une sorte d'entrepôt à ciel ouvert. Face à l'action de la mairie (alors tenue par la droite), cela a failli dégénérer vraiment. En tout cas, la vraie différence avec la France tout au moins, c'est que les classes populaires "italiennes" elles-mêmes tendent à avoir des conduites émeutières. Dans la région de Naples par exemple, ce sont ces groupes qu'on pourrait dire par analogie rapide et illustrative, de "poor white trash", qui se sont révoltés contre les décharges d'immondices, plus ou moins toxiques en plus, que les autorités voulaient leur imposer en bas de chez eux.  Des campements de Roms peuvent provoquer le même genre d'incidents.

Le phénomène de ghettoïsation qu’on observe en France et en Angleterre existe-t-il en Italie ? Le pays est-il à l’abri de d’émeutes similaires ?

La concentration de l'immigration en général et de l'immigration pauvre en général dans certains lieux d'Italie est tout à fait similaire. Il y a des provinces, comme celle de Milan, où il y a beaucoup d'immigrés, et il y en a d'autres, où il y en a très peu, comme celles de l'Italie centrale encore agraire (comme dans la région d'Ombrie par exemple). Les immigrés comme toujours ne se distribuent pas au hasard dans l'espace urbain. Si l'on considère que la concentration de pauvres en un lieu, la ségrégation spatiale, est un facteur qui prédispose à l'émeute, il ne fait guère de doute que cela finira par arriver en Italie aussi, surtout qu'il n'existe pas en plus d'équivalent de la "politique de la ville" en Italie.

Existe-t-il un modèle d’intégration italien ? Comment se caractérise-t-il ? Est-il comparable au modèle Français ?

L'intégration des immigrés a largement été laissé à la "société civile". L'Église catholique italienne est à la source de certaines filières d'immigration, comme celle très célèbre désormais des Philippins. L'ensemble du monde associatif catholique, en particulier la Caritas qui a longtemps produit les chiffres qui font autorité sur l'immigration, s'est mobilisé. Les entreprises qui, dans les années 1990-2000, ont demandé de la main d’œuvre, sont aussi une source forte d'intégration. On a pu remarquer non sans amusement que les petits patrons, "racistes et xénophobes" en parole, de la Vénétie traitaient plutôt bien les ouvriers africains qu'ils employaient, en leur trouvant parfois un logement par exemple. De fait, dans ces années 1990-2000, la société civile avait un réel besoin d'immigrés, pour faire tourner les usines, s'occuper des personnes âgées, servir dans un fast-food, etc., d'où une intégration plutôt facile en fait. L'État italien n'a fait en fait qu'entériner par des lois ce que la société avait en pratique décidé. S'il n'y a personne pour s'occuper de votre grand-mère qui est incapable de vivre seule, vous êtes bien content d'avoir une immigrée moldave ou roumaine d'une cinquantaine d'années pour s'occuper d'elle.

Les immigrés sont venus  pour travailler dans une société qui manque de jeunes prêts à assumer des tâches ingrates et mal payées – comme dans les années 1960-70 en France. Probablement, avec la crise économique, les choses vont devenir plus compliquées. A ma connaissance, les immigrés ne repartent pas massivement comme ils le font depuis l'Espagne. Comme toujours en Italie, il faut aussi faire des distinctions régionales : il vaut sans doute mieux être un immigré qui travaille pour l'industrie en Vénétie que dans l'agriculture en Calabre ou en Sicile...

Silvio Berlusconi avait durci les lois sur l’immigration. Cécile Kyenge, première femme noire au gouvernement – en tant que ministre de l’Intégration – veut assouplir ces lois. Sa nomination a-t-elle été bien accueillie en Italie ?

D'après les sondages, la nomination de cette ministre ne déclenche pas une vague immense de popularité, ni non plus d'hostilité générale. Dans la situation économique désastreuse du pays, il ne me semble pas que les Italiens aient tellement de temps à perdre avec ces questions d'immigration : en effet, l'immigration a ralenti au rythme de la décélération de l'économie italienne, c'est en un sens un problème de pays riche que l'Italie comme pays en voie d'appauvrissement n'a plus à se poser ! En fait, sa nomination tient surtout au fait que le Parti démocrate voulait ainsi marquer, après avoir avalé pas mal de couleuvres depuis février 2013, que ce gouvernement d'union nationale restait tout de même sous sa direction, et qu'il en était l'actionnaire majoritaire. Il faut ajouter que la Ligue du Nord, le parti qui a le plus insisté pour lutter contre l'immigration, n'est pas au gouvernement. Pour l'instant, le gouvernement Letta n'a rien décidé d'absolument radical dans ce domaine, comme dans d'autres d'ailleurs, depuis un mois.

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