Employment-at-will : faut-il totalement libérer le licenciement à la française ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans de nombreux États américains règne la doctrine de l’"employment-at-will", c’est-à-dire la possibilité pour le salarié comme pour l’employeur de rompre le contrat de manière brutale, unilatérale et sans justification.
Dans de nombreux États américains règne la doctrine de l’"employment-at-will", c’est-à-dire la possibilité pour le salarié comme pour l’employeur de rompre le contrat de manière brutale, unilatérale et sans justification.
©Reuters

Lâcher prise

Après un an de gouvernement socialiste, aucun résultat positif sur le front de l'emploi n'a été enregistré. Il serait peut-être temps d'essayer des solutions à la fois plus simples et plus radicales, avec lesquelles employeurs et salariés auraient à gagner.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Atlantico : En quoi consiste le concept d'employment-at-will ?

Gaspard Koenig : Dans de nombreux États américains règne la doctrine de l’"employment-at-will", c’est-à-dire la possibilité pour le salarié comme pour l’employeur de rompre le contrat de manière brutale, unilatérale et sans justification. Parfois même, le contrat n’existe pas : une poignée de mains suffit. Il existe quelques restrictions à cette flexibilité totale, en particulier en ce qui concerne les discriminations, mais en règle générale l’employé peut être licencié "for good cause, or bad cause, or no cause at all". En Virginie où l’employment-at-will est particulièrement représenté, le taux de chômage est l’un des plus bas des États-Unis (4,5% en moyenne sur les trente dernières années ; 5,5% aujourd’hui), et la concentration de travailleurs qualifiés dans les secteurs de haute technologie l’une des plus forte. Ce qui ne prouve rien, mais montre tout de même qu’une autre voie est possible.

J’ajoute que l’employment-at-will représente une sorte de “retour aux origines” de la relation contractuelle : l’accord entre deux volontés libres, toujours susceptible d’être remis en cause par l’une des parties. Faisons le pari de la liberté.

Pourrait-il être adapté et adaptable à la situation française ? À quelles conditions ?

Cessons de penser que nous avons une "situation" particulière. La seule "situation", c’est non seulement que notre chômage est élevé mais particulièrement segmenté – au détriment de tout ce qui ne rentre pas dans les cases. Le chômage des jeunes s’élève à 25%, un proportion proche des pays du "Printemps arabe". Peut-on continuer à dire que "contre le chômage, on a tout essayé", alors qu’on n’a jamais essayé une flexibilité véritable ? Que vont changer les petits arrangements microscopiques de la nouvelle loi sur la "sécurisation de l’emploi" ? Ce n’est pourtant pas la littérature économique qui manque sur le sujet (voir les travaux de Blanchard, Cahuc, Zyleberg ou Carcillon).

En France, il suffirait d’introduire une phrase dans le Code du Travail pour rendre possible l’employment-at-will : "Un licenciement économique est un licenciement qui n’est pas pour motif personnel". On laisserait enfin l’entreprise, et non le juge, décider de ses propres besoins.

Une telle souplesse existe déjà dans des pays européens tels que le Royaume-Uni ou le Danemark, et a montré son efficacité en termes de réduction du chômage (en particulier du chômage de longue durée). Par rapport à l’employment-at-will, la seule nuance à apporter, imposée par le droit européen, serait l’obligation de préciser le motif du licenciement – même si tout motif serait a priori valable (hors discrimination et autres cas bien définis). Qu’a-t-on à perdre à essayer, expérimenter, par exemple sur certains secteurs ou certains territoires ?

Quelles serait pour les salariés l'avantage d'un employment-at-will ? Et pour les entreprises ?

L’avantage premier, c’est qu’il y aurait davantage de salariés, et des salariés plus divers, car les entreprises hésiteraient moins à prendre des risques dans leurs embauches. Je fais le pari que les problèmes de discrimination seraient grandement réduits. Et ces salariés seraient sur un pied d’égalité. De facto, la différence entre CDD et CDI seraient abolie. Les entreprises ne seraient plus tentées de recourir à la précarité, de l’intérimaire au stagiaire, pour contourner la rigidité du système actuel.

Enfin, cela rétablirait la balance en faveur des petites entreprises, qui ne peuvent pas se permettre de payer des bataillons de juristes à chaque procédure de licenciement, et qui se trouvent aujourd’hui toutes bloquées en-deçà du seuil réglementaire fatidique de 50 salariés. Elles retrouveraient de l’oxygène.

Quels effets pervers faudrait-il contrer et comment ?

Turn-over pour les entreprises ; burn-out pour les salariés… Pour minimiser ces risques, on pourrait imaginer de poser certaines conditions à cette flexibilité totale : système de bonus-malus fiscal pour les entreprises en fonction de leur ratio embauche/licenciement (courant aux États-Unis) et bien sûr une sécurisation accrue des parcours avec une meilleure prise en charge du chômage, en particulier en termes de formation. Ainsi le chômage cesserait d’être vécu comme un drame pour devenir une étape naturelle de la vie professionnelle.

Les "insiders" - ceux qui sont déjà dans l'emploi - qui seraient les plus mis en danger par un tel système, sont-ils les vrais responsables du chômage en France ?

Qui est "responsable", entre l’électeur, le politique, les groupes de pression… ? Question pas très intéressante au final. En revanche, ce qui est certain, c’est que ceux qui luttent contre la flexibilité expriment une détestable "préférence pour le chômage". Mieux vaut dans leur esprit des salariés bien tranquilles d’un côté et des chômeurs subventionnés de l’autre, qu’un marché du travail véritablement compétitif. Cette "fonctionnarisation de l’économie" bloque l’émergence de nouveaux talents et de nouvelles richesses.

Finalement, quelle part de responsabilité le droit du travail français porte-t-il dans le chômage actuel ? Comment le faire évoluer pour qu'il permette de concilier protection et accès à l'emploi ? L'obsession de la précarité empêche-t-elle d'envisager les solutions les plus adaptées (au risque de l'encourager) ?

On m’a raconté l’histoire d’un patron de PME français qui, "convoqué" par Montebourg (expression détestable), a posé sans rien dire sur le bureau du ministre le code du travail français et le code du travail suisse. L’un fait la taille du Dictionnaire de l’Académie, l’autre d’un petit roman d’amour… Imaginez le tableau : matérialisée entre l’entrepreneur et le ministre, la parfaite démonstration des maux français.

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