Évasion fiscale : forcer les entreprises européennes à publier la liste de leurs profits et impôts va dans le bon sens mais n’est pas suffisant<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les grandes multinationales abusent des règles en vigueur concernant l’impôt sur les sociétés."
"Les grandes multinationales abusent des règles en vigueur concernant l’impôt sur les sociétés."
©Reuters

Cavales

A la suite du sommet consacré à la lutte contre l'évasion fiscale le 26 mai dernier, la Commission européenne a annoncé vouloir faire des propositions pour obliger les grands groupes à la transparence sur le montant des impôts et profits qu'ils paient dans chaque pays, parlant d'une faille de la législation internationale actuelle.

Gabriel  Zucman

Gabriel Zucman

Gabriel Zucman est doctorant en économie au sein de la Paris School of Economics, il a mené une une large étude sur La richesse manquante des Nations dans laquelle il trace des liens entre l'argent qui disparaît du circuit économique et la richesse accumulée dans les paradis fiscaux. 

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Atlantico : L’Union européenne veut obliger les entreprises installées sur son territoire de déclarer précisément combien de personnes elles emploient, le montant de leur chiffre d'affaires, leurs profits et surtout le montant des impôts qu'elles paient, et ceci pour chaque pays. Pourquoi cette brusque envie de transparence ? Quel en a été l'élément déclencheur ?

Gabriel Zucman : Il n’y a pas eu un élément déclencheur mais c’est un contexte général où l’on se rend compte aujourd’hui que pour les sociétés, en particulier de haute technologie avec des capitaux immatérielles (Apple, Google), pour qui l’essentiel du capital sont les marques, les algorithmes, les logos, les possibilités d’optimisation fiscale sont considérables. Le capital immatériel prend une place de plus en plus importante dans l’économie.

Les grandes multinationales abusent des règles en vigueur concernant l’impôt sur les sociétés. Elles font apparaître leurs ressources de façon plus ou moins fictive dans des territoires où elles sont peu ou pas taxées. Par exemples les îles des Bermudes pour l’entreprise Google. Les opinions publiques occidentales réalisent depuis quelques semaines que ce phénomène est massif et très répandu. Les conséquences premières sont les pertes de recettes fiscales considérables. Pour endiguer ce phénomène les gouvernements européens et l’UE prévoit d’instaurer davantage de transparence sur ces manipulations comptables. La Commission européenne table qu’en forçant les entreprises à publier ces informations, il sera dans un premier temps plus facile d’évaluer les pertes des recettes fiscales, et que dans un second temps cela va mettre une pression très forte sur les sociétés multinationales pour essayer de stopper ces manipulations comptables qui leur permette d’échapper à l’impôt.

Quels sont les informations "choc" qui pourraient ressortir de cette mise à plat ? Quelles sont les entreprises qui pourraient être mises en danger par cette "opération transparence" ?

On va découvrir que nombre de sociétés "high-tech" aux capitaux immatériels payent très peu, voir aucun impôts dans les pays occidentaux et réalisent tous leurs profits dans des pays où elles n’ont aucune activité. Cette opération va mettre en lumière combien notre système d’imposition sur les sociétés est totalement obsolète et n’a absolument plus aucun sens. Et enfin qu’il nécessite des réformes profondes pour lutter contre l’optimisation fiscale de ces sociétés.

Ces sociétés sont uniquement des sociétés multinationales, ce sont les seules qui ont la capacité de faire apparaitre leur profit dans des pays où elles ne sont pas taxées. Le but de ces multinationales est de transférer leurs dépenses vers les pays où les possibilités de déductions d'impôts sont les plus importante. Pour la grande partie ce sont des sociétés aux capitaux immatériels. Ce ne sont pas des usines, pas des machines mais des bases de données etc. Ces sociétés ont la possibilité de manipuler leurs prix de transfert, en d’autres termes les prix auxquelles elles se font des transactions en leur sein même, le plus souvent entre filiales. Pour pouvoir manipuler ces prix il faut avoir des choses à se vendre à des prix manipulables : algorithmes, droits de propriété intellectuelle, bases de données, pour lesquelles il est très compliqué de connaitre le prix réel ce qui rend facile à facturer n’importe quoi de façon à ce que tous les profits soit réalisés dans des territoires à faible fiscalité.

Peut-il y a voir une efficacité économique concrète à cette obligation généralisée de transparence, ou reste-t-on majoritairement dans la décision politique, voire démagogique ?

Je pense que cette opération va montrer du doigt combien notre système d’imposition ne fonctionne plus. Le système d’imposition actuel est à bout de souffle. Les sociétés multinationales dépensent des millions en conseil en optimisation fiscal qui n’ont aucun intérêt pour les sociétés dans leur ensemble. De leur côté, les administrations fiscales occidentales dépensent, elles-aussi, beaucoup de ressources pour tenter d’endiguer le phénomène. Logiquement, la grande remise à plan de notre système de fiscalité sur les sociétés devrait découler de cette opération transparence. On va découvrir clairement les abus. Lorsque ces informations seront publiées et officielles, cela va forcément crée une pression très forte en faveur d’une réforme fondamentale de notre système d’imposition sur les sociétés. Cette revendication qui consiste à publier les comptes des entreprises pays par pays est vieille de dix ans. Cette mesure n’a d’intérêt que si elle déclenche des réformes de l’impôt sur les sociétés. C’est un pas dans la bonne direction.

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