Malgré son carton en Italie, Beppe Grillo aura de la peine à conquérir l’Allemagne<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo pourrait bientôt s'implanter en Allemagne
Le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo pourrait bientôt s'implanter en Allemagne
©Reuters

Invasion

Le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo pourrait bientôt s'implanter en Allemagne. Outre-Rhin, le nombre de grillini grandit de jour en jour et séduit principalement du côté des sympathisants des Verts et du Parti pirate.

Atlantico : Beppe Grillo, l’ex-comique italien et leader d’extrême gauche devenu le troisième homme fort du pays, a pour projet d’implanter son mouvement en Allemagne. Ses partisans sur place, les grillini, sont essentiellement issus de la mouvance verte et du Parti pirate. Quel est l’état de l’extrême gauche allemande ?

Christophe Bouillaud : Une petite précision avant de vous répondre : Beppe Grillo n'est pas un leader d'extrême gauche, en tout cas pas au sens historique du terme en Italie, en Europe, ou ailleurs, il n'a aucun lien avec l'histoire du socialisme, du communisme stalinien ou trotskiste et il faut bien dire qu'il n'a pas une haute idée des syndicats ouvriers, qui forment pourtant la base historique de la gauche européenne depuis deux siècles. Ce n'est pas un Mélenchon italien! En revanche, il représente sans aucun doute une forme nouvelle de critique radicale de l'ordre social existant, en particulier des formes habituelles de la représentation politique, c'est-à-dire en pratique des partis politiques, en particulier de tous les partis traditionnels de la gauche (des communistes, maintenus ou rénovés, aux communistes devenus les "Démocrates" italiens). Cette remarque vaut aussi pour la situation allemande : il semble effectivement qu'un groupe veuille copier le Mouvement 5 Etoiles en Allemagne, mais, là aussi, il s'agit d'une rupture avec la gauche et l'extrême gauche allemande. Cette dernière existe par ailleurs avec le parti "Die Linke" ("la gauche") issu d'une fusion entre les restes du Parti communiste de la RDA (le "PDS", ex-"SED"), des scissionnistes issus de la gauche du SPD et enfin de syndicalistes critiques de l'attitude trop modérée des grandes centrales syndicales.

Quelle place existe-t-il pour un parti comme le sien sur l’échiquier politique allemand ?

De fait, avant qu'on ne parle de Mouvement 5 Étoiles en Italie, on a parlé des Partis pirates dans le nord de l'Europe, et, en particulier, en Allemagne. La logique est largement la même : tous ces partis nouveaux pensent qu'il faut refuser radicalement les formes habituelles de la représentation politique, et qu'il faut repenser complètement la critique de l'ordre social existant sans se laisser enfermer dans les vieux schémas droite/gauche. En pratique, ces mouvements se situent très loin du mouvement ouvrier et des syndicats traditionnels, souvent très puissants historiquement dans ces mêmes pays. De fait, le Parti pirate allemand a connu quelques beaux succès lors d'élections régionales (en particulier à Berlin) au détriment de la gauche au pouvoir dans la capitale, mais il souffre d'une incapacité à gérer ses premiers succès. Au niveau national, il manque d'un leadership accepté par tous, et sa ligne n'est pas très claire sur bien des sujets. Tout nouveau entrant sur la scène politique connaît ce genre de problèmes, surtout dans une société qui en fait a besoin de "personnages" pour que quelque chose existe sur la scène médiatique, du coup, il semble que le Parti pirate allemand ne réussira pas à entrer au Bundestag en septembre prochain, son aventure risque du coup de s'arrêter là. Par ailleurs, il existe ce nouveau parti "Alternative pour l'Allemagne", qui veut se battre pour la sortie de l'Allemagne de l'euro. Comme vous le savez sans doute, Beppe Grillo critique durement les conséquences de l'euro pour l'économie italienne; d'une certaine façon, en Allemagne, du côté du grand pays "créditeur", celui dont tout le monde en Europe du Sud attend qu'il garantisse les dettes des autres pays membres de la zone euro, le parti "Alternative pour l'Allemagne" représente le symétrique des protestations de Beppe Grillo dans un pays "débiteur", l'Italie, qui lui ne réussira pas d'évidence à rembourser sa dette publique si cela continue ainsi sans aucune croissance économique à l'horizon. Donc, à mon avis, la version du M5S Allemagne existe déjà, c'est à la fois le Parti pirate pour la critique de la représentation politique et l'Alternative pour l'Allemagne pour le rapport à l'euro. Du coup, un M5 S Allemagne aura des difficultés à s'affirmer, sauf s'il réussit à se trouver un leader incontesté aussi charismatique que Beppe Grillo. Sur ce point, je ne connais pas assez la vie médiatique allemande pour me prononcer.


Dans quelle mesure le succès de Beppe Grillo est-il dû à sa célébrité et son image auprès des Italiens ? Peut-il réellement s’exporter ? 

Le succès de Beppe Grillo est dû, sans doute, à sa vieille histoire de comique qui a commencé dans les années 1980, il était très bon comme comique, il le reste comme orateur politique, on se demande parfois comment à soixante ans passé son corps supporte l'effort que ses meetings criés plus que parlés lui imposent, mais aussi au fait qu'il a bien travaillé certains dossiers liés à des scandales financiers des dernières années. Ce n'est pas qu'un "comique". Surtout, il faut bien comprendre qu'il exprime, presque parfaitement, un énervement, pour ne pas dire plus, de toute une partie des Italiens éduqués d'âge moyen (30-45 ans). On sous-estime toujours en France l'immense stagnation italienne : nous nous plaignons sans cesse, à raison sans doute sur bien des points, nous sommes selon certains sondages le pays le plus pessimiste d'Europe, mais nous ne sommes pas encore dans la situation où faire des études supérieures ne sert vraiment à rien si on n'a pas de recommandations à faire valoir. Le M5S est le résultat d'une stagnation italienne qui dure depuis au moins les années 1980, stagnation dont la crise internationale engagée en 2008 ne constitue qu'un épilogue. Du coup, pour s'exporter, il faudrait surtout que la situation dans un pays européen soit aussi fondamentalement désastreuse qu'en Italie, et que la place ne soit pas déjà occupé par d'autres forces d'opposition. Par ailleurs, il existe des systèmes politiques européens dans lesquels il est presque impossible de créer un nouveau parti significatif. En France en particulier, l'entrée d'un nouveau parti politique dans le jeu politique est de fait presque impossible. Le Front national a été créé en 1972, il a deux députés en 2012... Même remarque pour le mouvement écologiste : la candidature à la présidentielle de René Dumont date de 1974, et... les écologistes ont réussi à avoir leur groupe à l'Assemblée en 2012. Inversement, aux Pays-Bas, une force significative peut s'imposer rapidement au Parlement grâce à leur système électoral proportionnel particulièrement ouvert. En Allemagne aussi, la porte est entrouverte aux nouveaux partis, mais attention, les partis traditionnels allemands savent très bien préempter toute menace : en particulier, la CDU-CSU a toujours su "tuer" les nouveaux partis à sa droite. 

La crise de défiance politique qui traverse, et que traverse, l’Europe peut-elle paradoxalement donner naissance à des partis politiques d’ampleur européenne ? 

Il y a déjà eu une tentative aux élections européennes de 2009, de créer un parti pan-européen, Libertas, sous la direction de l'irlandais David Ganley, pour critiquer d'un point de vue eurosceptique le cours actuel de l'Union européenne. Ce fut un échec total. Il existait d'ailleurs déjà un ou deux partis similaires, inconnus du grand public, au niveau européen, cherchant à coordonner les efforts des eurosceptiques de divers pays européens. En fait, c'est extrêmement difficile de coordonner des partis nationaux en Europe : les forces dominantes regroupés dans le PPE, le PSE, l'ELDR, et les Verts européens ont déjà des difficultés. Le PS et le SPD ne sont pas eux-mêmes capables de dire exactement la même chose. Pour l'heure, les partis qui vont profiter de cette crise seront profondément ancrés dans leur histoire nationale : ainsi, en Angleterre, l'UKIP, si cela continue ainsi, va faire un score exceptionnel l'année prochaine aux élections européennes, en France, cela sera peut-être le FN ou quelque nouveau regroupement de la droite eurosceptique dont on commence à parler; en Grèce, ce seront d'un côté les nazillons d'Aube dorée et de l'autre, les post-communistes de Syriza, avec dans ce duo comme un arrière-goût de guerre civile des années 1940 et de "dictature des colonels" des années 1960-70. Malheureusement, la crise fait plutôt ressortir les bonnes vieilles traditions nationales de radicalité, typiques de chaque pays européen (certains Hongrois ont même réinventé l'antisémitisme d'avant 1945...), et, pour l'instant, on ne voit pas émerger un vrai mouvement transeuropéen. Pour revenir au M5S, du point de vue du programme avec son instance sur la défense de l'environnement (déchets, nucléaire, problème de la Vallée de Suse), c'est largement un mouvement écologiste, mais la famille des Verts européens ne le reconnaîtra sans doute jamais comme un membre légitime de la parentèle, parce qu'il existe déjà un minuscule parti écologiste en Italie, affilié aux Verts européens, parce que l'information pertinente circule très mal entre pays européens, et parce que le M5S doute de la pertinence de l'existence de l'euro contrairement à la plupart des Verts européens pour lequel c'est un point non négociable de leur "foi". Ainsi tout le monde est obnubilé par le personnage de Beppe Grillo, mais personne ne se demande ce que propose vraiment le M5S dans le cadre italien. En même temps, il est difficile pour les autres Européens, dont nous sommes, de comprendre à quel point en Italie, le lien entre corruption de la classe politique et environnement dégradé est évident. La crise des déchets à Naples devrait pourtant avoir fait comprendre ce point à tout le monde : la tricherie sur les déchets fait partie intégrante de l'économie politique italienne.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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