Les Bettencourt, derniers secrets : la maison l’Oréal arrose-t-elle encore les politiques ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Françoise Bettencourt Meyers au prix L'Oréal-UNESCO.
Françoise Bettencourt Meyers au prix L'Oréal-UNESCO.
©Reuters

Bonnes feuilles

Au-delà du volet politique, Ian Hamel exhume les racines du conflit opposant les deux femmes et reconstitue le passé sulfureux du patriarche Eugène Schueller, fondateur du groupe et pronazi avoué, et d'André Bettencourt, son gendre. Extrait de "Les Bettencourt, derniers secrets" (2/2).

Ian Hamel

Ian Hamel

Journaliste d'investigation, Ian Hamel suit l'affaire Bettencourt pour Le Point et l'Agefi, quotidien de la finance à Lausanne. Parmi ses nombreuses enquêtes : Sarlo et Cie, la République de copains et des réseaux (l'Archipel,2011).

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S’il venait à L’Oréal le désir de repeindre en rose son histoire, il lui suffi rait de payer très cher un membre d’une nouvelle profession que l’on a baptisée « historien d’entreprise ». Un salarié doté d’un pouvoir financier et éditorial très supérieur à celui d’un historien classique, chargé de livrer aux multinationales des sagas aux petits oignons, débarrassées de toutes les scories un peu négatives. « Le rapprochement entre grand capital et historiens s’est en effet traduit depuis les années 1990 par le lancement et la réalisation de nombreux travaux sur les groupes financiers intéressés, effectués sous leur égide financière », déplore Annie Lacroix-Riz. Le plus grave, c’est que le lecteur ignore en général que ces « business stories » ont été rédigées par des historiens rémunérés non pas par une maison d’édition ou par un organisme public, mais par un capitaliste.

Plus besoin d’arroser les politiques

Pour le moment, les révélations sur le passé d’Eugène Schueller et d’André Bettencourt dans les années 1990, puis, aujourd’hui, la saga judiciaire autour de Liliane Bettencourt, une vieille dame de quatre-vingt-dix ans en situation de faiblesse psychologique et exploitée par une bande de vautours, n’ont jamais affecté l’excellente santé de L’Oréal. « D’un côté, il y a une affaire, de l’autre une entreprise qui se développe de façon superbe », constate l’actuel PDG, Jean-Paul Agon. Il n’y a pas contamination. Le leader mondial des cosmétiques peut donc continuer à traiter par le mépris tout ce qui freine son irrésistible ascension, qu’il s’agisse des frères Frydman ou de Monica Waitzfelder. Pour 2012, L’Oréal affiche un chiffre d’affaires de 22,46 milliards d’euros, en hausse de 10,4 % par rapport à l’exercice précédent. Elle emploie 69 000 collaborateurs dans le monde entier. Le résultat net a grimpé de 17,6 % à 2,86 milliards d’euros. Le dividende sera cette année de 2,30 euros par action, en augmentation de 15 % par rapport à l’exercice précédent. Pour 2013, le PDG de L’Oréal est très optimiste : « Au niveau mondial, la croissance des cosmétiques devrait être de l’ordre de 4,5 %. Nous avons l’intention de surperformer le marché. » La famille Bettencourt peut dormir sur ses deux oreilles.

L’Oréal a mis un siècle pour toucher un milliard de clients. La multinationale annonce qu’elle va en conquérir un milliard supplémentaire d’ici 2020 grâce aux pays émergents, nouvelles locomotives de la croissance, comme la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique, l’Indonésie, et « après-demain l’Afrique ». Le 7 novembre 2012, l’entreprise créée par Eugène Schueller a inauguré à Jababeka, en Indonésie, sa plus importante usine. Dans ce pays, L’Oréal enregistre une croissance de 30 % par an2. Le 10 janvier, L’Oréal présentait son nouveau centre de Recherche et Innovation à Mumbai, en Inde, employant une centaine de chercheurs et de scientifi ques. Elle annonçait que le nombre de ses clients, dans ce pays de 1,2 milliard d’habitants, passerait de 25 millions en 2012 à 150 millions en 2020. L’Oréal, qui compte quarante- trois usines sur la planète, envisage d’en créer une nouvelle tous les deux ou trois ans, rien qu’en Asie. En 2012, L’Oréal a réalisé 8,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur les « nouveaux marchés » – Asie, Pacifi que, Europe de l’Est, Amérique latine, Afrique, Moyen-Orient –, dépassant pour la première fois l’Europe de l’Ouest (7,4 milliards) et l’Amérique du Nord (5,2 milliards). Paris n’est plus qu’un tout petit point sur la carte.

En Arabie Saoudite, où L’Oréal a ouvert une nouvelle fi liale, au Mexique, où la multinationale a inauguré la plus grande usine de produits de coloration capillaire au monde, ou aux États-Unis, où le groupe a racheté Emiliani Enterprises, la mise en examen pour escroquerie et recel d’abus de faiblesse de Stéphane Courbis, le patron de LOV Group, les dons de Liliane Bettencourt au photographe François-Marie Banier et les manoeuvres de l’ancien ministre Éric Woerth pour placer sa femme n’intéressent absolument personne. « Who are these guys ? » répondraient les habitants non francophones de la planète qui ne s’intéressent à L’Oréal que pour combattre leurs cernes, leurs rides ou leurs pores dilatés. La mise en cause de Nicolas Sarkozy, ancien président de la République française, ne les a pas perturbés non plus.

Bien entendu, la France compte encore. L’année dernière, les savons Cadum, relancés par Laure Manaudou, sont passés dans le giron de L’Oréal pour 200 millions d’euros, ce qui permet au groupe de rattraper un peu de son retard dans le secteur des gels douche et des déodorants par rapport à son concurrent Unilever1. Mais quand on y réfléchit bien, les principaux actionnaires du groupe de cosmétique ont-ils toujours besoin de glisser des enveloppes dans les poches des hommes politiques français pour que L’Oréal s’épanouisse ? Certainement pas. André Bettencourt, qui était de la (très) vieille école, ne faisait plus cela que par habitude, et Liliane… parce qu’elle n’avait plus toute sa tête.

On peut donc croire leur fille unique Françoise Bettencourt Meyers quand elle assure : « C’était une autre époque. Mon père avait été au gouvernement, il avait été élu. Mes parents ont toujours eu des relations politiques et je ne discute pas leur choix. » À la question « Mais vous, continuez-vous, comme eux, à faire des dons pour les campagnes politiques ? », elle répond catégoriquement : « Non1. » Lorsque le juge d’instruction bordelais Jean-Michel Gentil l’a interrogé le 21 décembre 2012 pour savoir si Nicolas Sarkozy avait demandé ou perçu de l’argent de ses parents, Françoise Bettencourt Meyers a botté en touche : « La réponse est très simple, je n’ai entendu parler de rien. Je ne suis au courant de rien. Je n’ai été témoin de rien. Pour mon mari [Jean- Pierre Meyers, membre du conseil d’administration de L’Oréal], ce sera la même chose. Mes parents ne disaient rien à ce sujet2. »

Souvenons-nous de ce « 20 heures » de TF1 le vendredi 2 juillet 2010. Liliane Bettencourt, âgée de quatre-vingt sept ans, est interviewée pendant sept minutes trente par Claire Chazal. L’émission a été enregistrée le mercredi précédent, dans sa maison de la pointe de l’Arcouest. Les mauvaises langues prétendent qu’il a fallu s’y reprendre à de multiples reprises avant de pouvoir lui faire tenir un discours cohérent. La majorité des téléspectateurs n’a retenu qu’un seul mot, prononcé par la milliardaire : le « raus » ponctuant la phrase « Ce qui compte, ce sont les gens qui travaillent. Le reste, raus ! » Un terme allemand qui signifie « dehors ! » ou encore « sortez ! ». Ce « raus » a aussitôt provoqué des dizaines de milliers de réactions sur Internet, faisant remonter à la surface le passé d’Eugène Schueller et André Bettencourt. Un site de la communauté juive suggérait que Liliane Bettencourt avait « sans doute suivi les cours d’allemand avec son père Eugène Schueller1 ». Ce n’était sans doute pas nécessaire. Le fondateur de L’Oréal, d’origine alsacienne, devait maîtriser la langue de Goethe sans avoir besoin de prendre des leçons. Mais le 2 juillet 2010 dans l’affaire Bettencourt, c’est déjà de l’histoire très ancienne. Jean-Pierre Meyers, Françoise Bettencourt Meyers et leurs deux enfants, les nouveaux patrons de la multinationale, réussiront-ils à tirer défi nitivement un trait sur ce passé de L’Oréal qui a tant de mal à passer ? .

 Extrait de "Les Bettencourt, derniers secrets" (L'Archipel), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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