Fumer, boire, manger, jouer... : faut-il (et peut-on) davantage taxer les comportements ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les taxes optimales portent sur des assiettes larges.
Les taxes optimales portent sur des assiettes larges.
©Reuters

Le prix à payer

Faut-il taxer les comportements des entreprises et des individus et cela est-il possible ?

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico.fr : Alors que les Etats semblent plus que jamais à l'affût de nouvelles recettes potentielles et que la mise à contribution des revenus commence à atteindre ses limites, comment expliquer que le recours à la taxation des comportements des entreprises ou des individus (autrement appelés « externalités ») reste si limité ?

Alexandre Delaigue : Ce n'est pas si limité que cela! De nombreuses activités sont déjà taxées. Alcool, tabac, carburants, sans compter les multiples taxes sur la consommation, parfois baroques. La page vosdroits.service-public.frmontre la grande créativité nationale sur le sujet.

La dimension morale qui se cache derrière n’est pas négligeable. Cela revient souvent à remplacer un interdit par la notion de« j’ai le droit, je paye », ce qui change considérablement les choses. La perspective morale est par conséquent déplacée.

La notion fait également naître un paradoxe : soit on veut limiter une certaine activité, auquel cas il faut faire payer très cher, mais les recettes fiscales seront très faibles, soit on a un objectif de recette fiscale. Il est en revanche difficile de concilier les deux. Dans le cas du tabac, la demande diminue assez peu lorsque les taxes augmentent, ce qui garantit des recettes conséquentes; mais l'argument de sante publique y perd. Faut-il taxer la quantité de sel dans la nourriture, taxer le foie gras de canard ? Jusqu’où peut-on aller en la matière ? Le sujet est épineux.

Toute la question est donc de savoir ce qu’on veut faire. Vouloir atteindre deux objectifs avec un seul caillou ne marche pas. Si l’intention est de gagner de l’argent, alors on ne réduit pas beaucoup le problème, et si elle est de réduire le problème, on ne gagne pas beaucoup d’argent. Cet arbitrage est incontournable.

Quelles sont les limites à ce type de taxes (dans l'esprit mais aussi dans le temps) ?

Les arbitrages. L'arbitrage entre recettes fiscales et réduction du problème que l'on vient de voir. Mais aussi le fait que les taxes optimales portent sur des assiettes larges. Si vous taxez fortement une minuscule activité, vous générez des effets considérables. Les gens vont considérablement changer leur comportement pour éviter la taxe. Cela peut se faire d'une façon satisfaisante, ou pas.

Comment en mesurer l'efficacité : à l'aune du changement de comportement, ou à celle des possibles rentrées fiscales ?


Tout dépend de l'objectif poursuivi au départ. 

En créant des taxes sur certains comportements, ces derniers ne vont-ils pas changer, rendant ainsi caduques les mesures prises par l’Etat ?

D’une manière générale les personnes physiques ou morales ont des réactions variées par rapport aux incitations. Le concept économique appelé « critique de Lucas » consiste dans le fait que si l’on établit un indicateur sur un problème, et que l’on agit sur ce même indicateur, les gens changent leurs comportements, de telle manière qu’il ne veut plus rien dire.

Une illustration amusante de ce principe : une équipe de foot comptait dans ses effectifs un attaquant qui ne faisait pas assez de passes, et qui perdait ainsi en efficacité. Décision fut donc prise de lui accorder une prime pour chaque passe. Résultat : même tout seul devant le but adverse, il faisait des passes au lieu de tirer au but.

Une illustration plus sérieuse : imaginez que vous voulez rendre les hôpitaux plus efficients. Vous établissez alors un indicateur d’efficacité sur la capacité à réduire le temps de séjour des malades, afin de libérer des lits pour que plus de gens aient accès aux soins. Le problème inhérent à cet indicateur est qu’il risque d’inciter les hôpitaux à refuser toutes les personnes souffrant de pathologies lourdes. C’est exactement ce qui s’est produit en Grande Bretagne, les hôpitaux ont commencé à pratiquer une sélection des patients en fonction de la longueur potentielle de leur séjour. Voilà donc les effets pervers qui correspondent à ce qu’on appelle parfois "la critique de Lucas".

Certaines sont-elles plus efficaces que d'autres ? 

Si vous voulez que votre taxe apporte beaucoup de recettes fiscales, mieux vaut choisir un produit pour lequel il n'y a pas de substitut proche, dont la consommation baissera peu. Si vous voulez surtout limiter une activité par la taxe, alors il vaut mieux que la consommation soit sensible au prix. Sinon, cela ne marchera pas.

Surtout, ce genre de taxe vous apporte une légitimité que les impôts n'ont pas d'ordinaire. Un impôt qui semble "moral" présente plus de chances d'être accepté. Sauf que cette moralité est a géométrie variable. Aurait-il fallu taxer l'homosexualité lorsqu'elle était considérée comme contre nature?

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