George Soros a-t-il raison de dire que l’intransigeance allemande tue l’euro à petit feu ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le milliardaire George Soros a pointé la responsabilité allemande dans la crise en zone euro.
Le milliardaire George Soros a pointé la responsabilité allemande dans la crise en zone euro.
©Reuters

Dur comme fer

George Soros pointe la responsabilité de l'Allemagne dans la crise et estime désormais que Berlin doit accepter la mutualisation des dettes... Ou sortir de la zone euro.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Dans un discours prononcé ce mois-ci (voir ici), le milliardaire George Soros a pointé la responsabilité allemande dans la crise en zone euro, notamment en précisant que Berlin devait accepter les eurobonds - qui consistent en une mutualisation des dettes des pays membres - ou sortir de la zone euro. A-t-il raison de sous-entendre que c’est l’intransigeance allemande qui aggrave la crise en zone euro ?

Mathieu Mucherie: C’est plus une intransigeance de la Bundesbank qu’une intransigeance de l’Allemagne à proprement parler, mais comme de toute façon la Bundesbank est un Etat dans l’Etat en Allemagne… cela changerait peu de choses de raisonner proprement, à un « détail » de l’histoire près (un détail à 3000 milliards d’euros environ, tout de même) : cela permettrait de bien mettre l’accent sur la dimension monétaire du drame qui se joue depuis 6 ans, là où le grand public « budgétarise » la crise à qui mieux mieux, et nous donnerait quelques chances d’en sortir plus vite que le Japon, c'est-à-dire avant 2029.

Sur le fond c’est plutôt curieux, Soros est un homme qui connait bien le marché des changes et donc il est censé s’y connaitre en matière de politique monétaire. Après tout, son plus beau coup (jouer contre la Livre Sterling en 1992) n’était pas plus que la saisie audacieuse d’une opportunité FX née de l’intransigeance de la Bundesbank (à l’époque, cette dernière avait émis des doutes sur la viabilité du SME, poussant à la spéculation et à la sortie du Royaume-Uni, toute ressemblance avec des faits plus récents au Sud de l’Europe…).      

Jens Weidmann, le président de la Bundesbank (la Banque centrale allemande) a émis des critiques sévères envers la BCE à laquelle il reproche des taux d'intérêt bas et sa politique de rachat de dettes souveraines (voir ici). Plus que la position allemande, est-ce surtout le rôle de la Bundesbank et de sa culture économique qui est en cause ? Pourquoi l'opposition à la Bundesbank a t-elle échoué jusqu'à présent à trouver ne serait-ce qu'un compromis ?

C’est un jeu de rôles. Les faucons critiquent les colombes mais à la fin c’est une petite politique entre amis. Il en allait de même pour les apparatchiks à Moscou, on l’a découvert le jour où les archives ont été accessibles. Au fond, le pays « ancre » et la banque centrale de référence obtiennent à peu près ce qu‘ils veulent, et les autres décident après la virgule. Comme les minutes du comité de politique monétaire de la BCE ne sont pas publiées (un cas désormais unique dans le monde civilisé), on ne voit pas que la Bundesbank et ses alliés (Autriche, Pays-Bas, Finlande…) ne peuvent techniquement pas être mis en minorité pour la bonne et simple raison qu’il n’y a pas de votes. Ce pouvoir pourrait être arrêté par un autre pouvoir, sauf qu’il n’y en a pas (Commission européenne démonétisée, Etats divisés, Eurogroupe plus que jamais fantomatique, Conseil européen dirigé par Von Rampoy, Parlement européen incapable de jouer le rôle du Sénat aux USA pour des auditions sérieuses et des questions dérangeantes,…), sauf du coté de la Cour de Karlsruhe mais pour rajouter une pression déflationniste supplémentaire...   

Eurobonds, mécanismes de solidarité... La position allemande a-t-elle retardé la zone euro sur certains dossiers, notamment pour sortir de la crise ? A l'inverse, sur quels points l'Allemagne a-t-elle accepté de lâcher du lest et d'avancer ?

Comme aux échecs, tout ce que la Bundesbank a lâché depuis le début (et toujours trop peu, trop tard, et dans la conditionnalité, et moyennant des compensations variées) ce sont des pions, des choses assez secondaires (liquidités pour les banques, par exemple) : de petits sacrifices pour mieux préserver le dogme.

Elle se pose en gardienne du temple (le fameux temple de Francfort avec son veau d’or déflationniste), mais elle sait après des décennies d’expérience face aux politiques (en RFA, elle agissait comme un acteur politique mais son indépendance n’était pas protégée par un texte de valeur constitutionnelle, il lui fallait donc jouer serrer, nouer des alliances, faire de la propagande auprès du grand public et diviser pour régner) qu’il faut parfois lâcher un peu de lest afin de ne surtout pas céder sur les sujets qui fâchent (quantitative easing, dévaluation, réforme de l’institution vers plus de transparence).

Je vous parie que nous allons entendre parler pendant toute l’année 2013 de deux thèmes assez mineurs mais symboliquement et médiatiquement forts : les taux directeurs négatifs (pourquoi pas, sauf que cela devrait être fait depuis longtemps et avec du pré-engagement) et les mécanismes usines-à-gaz de financement pour les PME (qui comme chacun sait sont victimes d’un crédit crunch sur la place publique, sauf que le taux d’utilisation des capacités est à un point très bas, sauf que c’est la demande qui fait défaut, sauf que les mécanismes anglo-saxons en la matière n’ont rien donné, en particulier le FLS outre-manche).

C’est la vieille méthode de la stimulation du crédit face à l’âne qui n’a plus soif. L’artifice des taux nominaux et le « créditisme » à la petite semaine, des techniques anciennes de dissimulation de la terreur monétaire, dénoncées jadis par Milton Friedman qui suppliait les décideurs d’agir vite et fort par une détente monétaire et non à reculons via des artifices centrés sur les banques. Encore des trimestres perdus, après ceux du FESF et du MES, ceux des LTRO et ceux de l’OMT. Pendant ce temps, la croissance (PIB au T1, annualisé) est à 2,5% aux US, à 3,5% au Japon et… à -0,9% en zone euro, en dépit de l’arrêt de l’austérité dans les PIIGS.

Pendant que la Bundesbank gagne du temps et la BCE du pouvoir (la supervision des banques par la BCE, voilà tout ce qui restera de la pompeuse « Union bancaire » après plusieurs vétos allemands), tout le continent perd du temps, le chômage va finir par devenir structurel et il sera de plus en plus difficile de retirer le pouvoir à nos chers banquiers centraux qui maitrisent désormais le FX, le crédit, la régulation, les taux d’intérêt, et le plus gros du chantage budgétaire à travers la Troïka.

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