Mille milliards d'euros perdus pour l'Europe en fraude et évasion fiscales : à qui profite le crime... de cette évaluation à l'origine plus que douteuse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La fraude fiscale représenterait à l'échelle de l'UE mille milliard d'euros, dont 60 à 80 milliards rien qu'en France.
La fraude fiscale représenterait à l'échelle de l'UE mille milliard d'euros, dont 60 à 80 milliards rien qu'en France.
©Reuters

Enfumage

La fraude fiscale représenterait à l'échelle de l'UE mille milliard d'euros, dont 60 à 80 milliards rien qu'en France. Des chiffres qui donnent le tournis, mais surtout une bonne excuse donnée aux Etats pour augmenter la pression fiscale.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Si les paradis fiscaux n'existaient pas, il faudrait les créer rien que pour les États puissent avoir l'illusion d'être potentiellement riches. Au moment où les États occidentaux croulent sous les dettes, le concours Lépine de l'évaluation de la fraude fiscale est lancée avec à la clef des chiffres donnant le tournis. Ainsi, l'Union européenne considère que 1000 milliards d'euros échappent aux États. Lancée à la volée, une telle somme peut faire rêver. Il faut savoir en la matière garder raison. Il est par nature très difficile d'estimer ce qui échappe aux contrôles des administrations fiscales. De toute façon, ce qui compte ce n'est pas le montant supposé de l'argent sale, de l'argent des trafics mais bien ce que les États peuvent recouvrer. Il ne faut, pas en outre, perdre de vue que chasser l'évasion fiscale a un coût qui peut conduire les administrations à renoncer. La fraude est multiforme. Il y a évidemment toutes les activités mafieuses et criminelles mais aussi les détournements de fonds publics en passant par les abus de droit, c'est à dire une utilisation aux marges de la légalité de dispositifs réglementaires. Enfin, il y a la fraude à la petite semaine, à la TVA, aux charges sociales, à la sécurité sociale sans oublier ceux qui ont du fait de leur activité placé dans des paradis fiscaux une partie de leur fortune. La fraude a mille visages rendant son estimation délicate. Aujourd'hui, à défaut de baisser les dépenses, certains gouvernements entretiennent l'espoir un peu vain de pouvoir récupérer une partie de cette manne.

Le remède serait en effet très simple. Il suffirait de lutter de toutes ses forces contre la fraude et l’évasion fiscale. Taxer l’argent sale au nom de l’équité et de la morale. Tout le monde est pour ! Les États occidentaux s’y emploient comme en témoigne le forum des administrations fiscales qui s’est réuni à Moscou sous l’égide de l’OCDE les 16 et 17 mai derniers. La conclusion de ce forum est claire, les fraudeurs et les paradis fiscaux sont dans le viseur des administrations fiscales. Le communiqué final de la réunion souligne avec clarté que les pays membres de l’OCDE ont décidé de coopérer activement pour suivre tous les fraudeurs. Fiers des progrès  été réalisés dans le recueil et l’analyse des données financières, les États ont des outils de plus en plus sophistiqués pour débusquer les comportements déviants. Désormais, de manière dissuasive, les administrations fiscales soulignent que tous les flux entrants et sortants des paradis fiscaux pourront être tracés. Pour montrer qu’une nouvelle période, les délégations présentes à Moscou en appellent même à la délation publique pour débusquer les criminels fiscaux.

Cette lutte sans retenue contre la fraude fiscale peut-elle amener de nouvelles ressources pour la France ? L’économie dissimulée représenterait dans une évaluation haute 600 milliards d’euros. Mais, derrière ces montants astronomiques se cachent des activités illicites, la drogue, le jeu, la prostitution… Par nature, il est difficile de fiscaliser ce qui échappe au contrôle de la loi.

A défaut de faire main basse totale sur les activités délictuelles, la lutte contre la fraude fiscale concerne des activités plus traditionnelles. L’enjeu n’est pas nul ! Ainsi, le manque à gagner fiscal lié à la fraude a été récemment estimé à par le syndicat "Solidaires-finances", entre 60 à 80 milliards d’euros. Certes, la résorption totale de cette fraude permettrait sans nul doute d’effacer le déficit public. Ainsi, d’un seul coup, la question des retraites, le déficit de la santé et le trou budgétaire seraient effacés. Mais, il y a un double écueil : les estimations sont-elles exactes et quel serait le coût de recouvrement de la lutte fiscale ?

La fraude est évaluée entre 16 et 25% des recettes brutes de l’État. Il faut noter que la fourchette est large laissant planer une grande marge d’erreur. En outre, le syndicat souligne que ce sont les entreprises qui fraudent en jouant sur les prix de transferts et en réalisant des abus fiscaux. Les grandes entreprises jonglent avec les codes fiscaux pour réduire le poids des prélèvements. Leurs jongleries sont, en règles générales, légales ; elles peuvent néanmoins se retrouver de l’autre côté du trait et être requalifiées de fraudes. Dans de nombreux cas, la frontière est étroite. La fraude est par nature masquée et difficilement identifiable. Un changement de législation pourrait amener des fuites de capitaux, de nouveaux comportements, des destructions d’activité.

Quand le niveau des prélèvements augmente, quand les règles fiscales se complexifient, le montant de la fraude suit. Avec des prélèvements obligatoires qui atteignent, en France, 46 % du PIB, il ne serait pas surprenant que le taux de fraude ait tendance à augmenter même si les services des impôts et les URSSAF sont réputés pour leurs capacités à recouvrer les taxes et les cotisations.

Difficile à évaluer, la fraude est encore plus dure à endiguer. Evidemment que le fraudeur fraude, c’est son métier. Il a toujours un coup d’avance sur l’administration fiscale. Des cabinets spécialisés élaborent des solutions pour réduite le poids des impôts en recourant à des montages d’une rare complexité. En la matière, nous rejouons en permanence le mythe de Sisyphe. Il est impossible de pouvoir supprimer  toute la fraude. Il est vain d’espérer de penser récupérer les 80 milliards d’euros qui manquent à l’appel. Si bien même nous le pourrions, le coût de recouvrement de toutes les pertes fiscales serait prohibitif. Le coût marginal du milliard récupéré augmente très rapidement au point de rendre la lutte contreproductive. Il faut débusquer la fraude, les fraudeurs, prouver les agissements, traîner devant les tribunaux et les faire payer le montant du larcin. C’est un véritable travail de Romains qui exige des moyens, du temps et de la ténacité. Récupérer 20% de la fraude fiscale actuellement dissimulée serait déjà un exploit, au-delà serait à coup sûr très coûteux.

La meilleure méthode pour lutter contre la fraude fiscale est de simplifier les impôts, d’élargir les assiettes, de supprimer les niches et d’adopter des taux raisonnables. En raffinant le système fiscal à l’excès, en multipliant les dispositifs dérogatoires et en appliquant des taux jugés confiscatoires, les malins-génies sont tentés de réaliser quelques exploits pour réduire les prélèvements en tout genre. Or, en France, nous sommes des spécialistes de l’impôt à assiette étroite, à taux élevé et à dérogations multiples. De ce fait, il n’est pas étonnant que la fraude y trouve un terreau favorable même si elle est en soi évidemment condamnable. Afin de lutter contre la fraude fiscale, il serait, de ce fait, bien plus rentable, de s’engager dans un processus de réformes de notre système fiscal, réformes qui étaient, à preuve du contraire, prévues dans le projet présidentiel du candidat François Hollande.

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