Cette curieuse vision de l'avenir économique de la France qui transpire de la liste des "emplois d'avenir"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les "emplois d'avenir" sont censés apporter une expérience significative à des jeunes peu ou pas qualifiés.
Les "emplois d'avenir" sont censés apporter une expérience significative à des jeunes peu ou pas qualifiés.
©Reuters

Futurologie

Elément majeur de la "boîte à outils" de François Hollande, les "emplois d'avenir" sont censés apporter une expérience significative à des jeunes peu ou pas qualifiés.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

Voir la bio »

Atlantico : Les listes des emplois d'avenir ont été établies région par région. Quelle vision de l'avenir économique du pays traduisent-elles ? Quelle philosophie s'en dégage?

Gilles Saint-Paul : Les emplois d'avenir, tout comme leur ancêtre les emplois jeunes, étaient d'abord censés être réservés au secteur non marchand. Mais la mauvaise conjoncture économique et la montée du chômage font que le gouvernement les étend, nolens volens, au secteur marchand. Il y a là également en partie une mesure compensatoire à l'égard de secteurs qui souffrent le plus de la suppression de certaines niches fiscales. Mais ce n'est pas la philosophie initiale, qui était fondée sur l'idée socialiste que le secteur non marchand est là pour être promu et le secteur marchand est là pour être taxé, mais aussi sur une appréhension plus pragmatique concernant de possibles effets d'éviction dans le secteur marchand.

Comment expliquer que l'industrie soit si peu représentée ? (alors même que Challenges souligne cette semaine une pénurie d'ouvriers). Massivement orienté vers des postes dans le secteur public, le dispositif "emplois d’avenir" est-il vraiment de nature à agir sur le marché du travail en profondeur ?

Il ne faut pas négliger la part de l'idéologie dans ces choix. Non seulement le secteur public est une importante source de voix pour la gauche, mais celle-ci lui attribue également l'aura de "l'intérêt général" alors qu'elle considère les entrepreneurs du privé comme mus par des considérations égoïstes et donc moralement inférieures. Mais comme c'est le privé qui finance le public, il ne faut pas non plus tuer la poule aux œufs d'or, d'où de délicats exercices d'équilibristes comme le crédit d'impôt-compétitivité ou l'extension des contrats d'avenir au privé, qui semblent contredire la logique d'autres mesures prises par le gouvernement. 

L'ironie est que (comme l'a montré Kluve en 2010) les études internationales qui existent indiquent que les programmes d'emplois publics sont les plus inefficaces et dans certains cas peuvent même réduire l'employabilité des participants, contrairement aux programmes de formation ou d'aide à la recherche d'emploi. Cela est sans doute lié au fait que passer par un emploi-jeune génère des stigmates. De fait, en 2000, alors que l'économie était en pleine expansion, le taux de chômage des sortants d'emplois-jeunes était de 16% ce qui n'est pas très encourageant. 

Les considérations économiques n'ont joué que peu de rôle dans ce choix puisque qu'on a ignoré ces considérations et qu'on n'a pas envisagé la mise en place d'une étude expérimentale (bien qu'on puisse toujours s'arranger pour sélectionner les aspects positifs d'une telle étude afin de justifier une décision déjà prise pour des raisons politiques).

Agir en profondeur sur le marché du travail ne peut passer que par de vraies réformes structurelles qui sont douloureuses dans le court terme. Même la flexicurité tant vantée et relativement coûteuse ne fonctionne que parce qu'elle vise à augmenter l'intensité de recherche d'emploi des chômeurs, c'est à dire la concurrence entre ceux-ci et ceux qui détiennent déjà un emploi. 

Quelle vision du long terme traduisent-ils ?

Je ne suis pas sûr que l'on puisse parler de vision de long-terme dans la mesure où celle-ci est toujours contrainte par le calendrier électoral. Ce qui est important pour le politique c'est de montrer à ses électeurs qu'il agit, et il sera amené à choisir les mesures les plus visibles et les plus susceptibles de donner des résultats rapides et facilement communicables à l'opinion publique à travers les médias. Là-dessus se greffe l'idéologie qui prescrit ce qui est "bien" et ce qui est "mal". D'où le choix des emplois d'avenir, en accord avec l'idéologie, visibles au niveau local, et dont on peut espérer qu'ils fassent mécaniquement baisser les statistiques du chômage à un bref horizon pour des raisons purement arithmétiques. Le long terme n'intervient qu'à travers l'idéologie susmentionnée, qui, parce qu'elle influence une myriade de décisions, crée un processus cumulatif de transition vers un certain modèle de société. Mais je ne suis pas certain que nos gouvernants aient engagé une réflexion sur ce processus et qu'ils seraient prêts à en assumer les conséquences (c'est à dire une société majoritairement "non marchande", donc peu productive et avec des libertés économiques laissées exsangues). Ils croient plutôt rétablir l'équilibre face à un processus de mondialisation et de libéralisation qu'ils croient subir et jugent néfaste.

Quels seraient les emplois qui permettraient d'assurer l'avenir sur le long terme à la fois des jeunes peu qualifiés et de l'économie française ?

Poser la question c'est déjà supposer qu'on peut planifier l'emploi et obtenir de meilleurs résultats que le marché. L'intérêt d'un marché qui fonctionne c'est précisément de révéler, à travers les mécanismes concurrentiels, quels sont les emplois d'avenir et de créer ces emplois. On constate que la France a des points forts dans certains secteurs, comme la grande distribution, la mode, la communication, l'hôtellerie, le tourisme ou l'agro-alimentaire mais lorsqu'on subventionne l'emploi ce sont toujours des secteurs en difficulté qui sont sélectionnés ou encore des emplois "solidaires" à faible valeur ajoutée. L'intérêt d'une économie de marché c'est que la profitabilité d'une activité est positivement corrélée avec son utilité sociale mais c'est exactement le contraire que croient nos gouvernants lorsqu'ils planifient l'emploi au nom de "l'avenir". 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !