42 % des dirigeants d’entreprise admettent être au courant d’irrégularités comptables : problèmes d’efficacité ou véritable corruption ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Une tendance à la détérioration de l’éthique au travail se déssine.
Une tendance à la détérioration de l’éthique au travail se déssine.
©Reuters

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Une enquête d'Ernst & Young a interrogé plus de 3000 cadres, dirigeants, membres de conseil d’administration ou employés de 36 pays. Le but : mesurer l’impact de la pression grandissante en entreprise sur les rapports humains. Les résultats sont édifiants : bon nombre de pratiques non-éthiques semblent naturelles pour une majorité de répondants.

Daniel Lebègue

Daniel Lebègue

Daniel Lebègue est président de la branche France de l'ONG Transparency International.

Au cours de sa carrière d'administrateur, il a dirigé la Caisse des Dépôts et Consignations et administré plusieurs grands établissements comme le Crédit Agricole, Alcatel ou encore Technip.

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Atlantico : Mensonges d’entreprises sur leurs réelles performances, pots-de-vin pour conquérir des marchés, pressions au résultat sur les employés et managers confinant au harcèlement et au chantage… Bien que les 36 pays de l’étude aient des économies et règlementations disparates, une tendance à la détérioration de l’éthique au travail semblerait se dessiner. Sur fond d’une conjoncture économique morose, les finalités tendent-elles de plus en plus à justifier des moyens peu avouables dans le monde de l’entreprise en France ? 

Daniel Lebègue : L’Europe est entrée en 2013 dans sa sixième année de crise, synonyme de récession et de chômage de masse. Dans tous les secteurs de l’économie, la concurrence internationale s’est énormément durcie et par voie de conséquence la pression qui s’exerce dans les entreprises, sur les dirigeants, les cadres et salariés. Dans un tel contexte, et comme le montre l’étude d’Ernst & Young, le risque de faire passer au second plan l’exigence de légalité et d’éthique par rapport à l’objectif de performance et de productivité est bien réel. C’est bien souvent ainsi que les choses sont vécues dans la vie quotidienne en entreprise. Si l’on peut comprendre les mécanismes, on ne doit pas s’y résigner. Il n’y a pas d’autres réponse possible que la tolérance zéro vis-à-vis de la fraude, de la corruption et de toutes les actions contraires à la probité et à l’éthique. Cette  politique de tolérance zéro sur une telle question est d’ailleurs régulièrement affirmée par les chefs d’entreprises partenaires de notre association Transparency International.

Pour illustrer cela plus largement, on peut citer des affaires récentes qui ont défrayé l’actualité : Médiator, les prothèses PIP et la fraude sur la viande de cheval.

Mais en quoi les entreprises ont-elles un intérêt à la tolérance zéro lorsqu’elles ne sont pas sous le feu des critiques, d'autant plus lorsqu’elles peuvent ainsi obtenir de meilleures performances ou davantage de productivité ?

Ces trois affaires - on pourrait en citer d’autres d’ailleurs - montrent le danger mortel qu’il y a pour des entreprises et les salariés à s’engager dans cette voie de la tolérance de pratiques inégales et non-éthiques. Le cas de Spanghero est une bonne illustration du risque absolument mortel pour une entreprise de s’engager sur cette voie-là. Ses dirigeants ont notamment expliqué que les fraudes sur la tromperie concernant la réelle nature de la viande étaient vitales pour augmenter les marges et le chiffre d’affaire, mais finalement si cela se fait au prix de la mort de l’entreprise, plus personne n’y a intérêt.

Quels autres facteurs peuvent également jouer?

En dehors de la crise, les cas de manipulation comptable et financière sont là. Ils sont d’ailleurs aujourd’hui moins fréquents et moins nombreux que c’était le cas il y a dix ou vingt ans. Auparavant, même dans les grands groupes côtés, il n’y avait par exemple pas de comités d’audit. Le travail effectué dans ces comités est aujourd’hui énorme. Il y a eu vraiment un processus de construction ou de renforcement des dispositifs de contrôle interne. 

Quelles sont les mauvaises pratiques les plus répandues ?

Les cas de corruption pour obtenir des marchés qui sont cependant à mon avis moins nombreux qu’il y a dix ans. La majorité des entreprises ont pris conscience des risques financiers, juridiques, ou de réputation, si elles recourent à de telles pratiques.[…]

En revanche, ce qui me frappe, c’est l’explosion des dossiers de harcèlement et de discrimination au travail. Selon des statistiques portant de 2012, plus de la moitié des affaires jugées au prudhomme étaient relatives à des cas de harcèlement ou de discrimination. Cela constitue une forme de pression mise sur des salariés dans l’entreprise, dans des conditions contraires à la loi.

Qu’entendez-vous ici par discriminations ?

Les discriminations fondées sur le sexe en termes de salaires d'abord. Il y a ensuite les entreprises qui emploient au noir et n’assurent ainsi pas les protections garanties par le droit du travail. Enfin et surtout n'oublions pas le harcèlement moral, cette pression énorme sur des salariés qui ont du mal à suivre le rythme, qui s’écroulent ou qui hélas en viennent au suicide. C’est aussi une forme de dérive par rapport à l’éthique professionnelle et il y a une explosion des cas de ce type-là.  

Comment lutter contre ces dérives ?

Les entreprises qui veulent lutter contre ces dérives mettent en place un plan global souvent appelé de "conformité éthique". On y définit les règles à respecter par tous les salariés en matière commerciale, de relations avec les clients, de protection de sécurité de l’environnement, bref les règles de bonne conduite à respecter par tous.

Deuxièmement, il est très important que les conseils d’administration marquent leur engagement dans des pratiques éthiques. "The top set the tone" ("le sommet donne le ton") comme disent les Anglo-saxons. Quand le patron a un engagement, des valeurs, des pratiques d’intégrité et de transparence, cela se diffuse dans l’entreprise. Quand ce n’est pas le cas, quand celui-ci fait passer son intérêt personnel et recherche l’enrichissement avant l’intérêt collectif, ce « mauvais exemple » risque fort de se diffuser dans l’entreprise.

Enfin, il est impérieux d’avoir un plan d’ensemble diffusé et soutenu avec beaucoup de conviction par le conseil d’administration de l’entreprise. Cela passe notamment par la mise en place de systèmes d’alertes pour faire remonter les incidents ou les dérives. Soulignons également l’utilité de mettre en place un système de reporting, comme les reporting "RSE" : l’entreprise ne reporte pas seulement ses performances financières, mais aussi tout ce qu’elle fait dans le domaine social, environnemental, de relation avec les territoires, etc.

Il apparaît donc que les entreprises sont de plus en plus attentives à prévenir les risques et à se doter de véritables plans d’action pour y faire face. Je relativiserais donc le constat global de l’étude d’Ernst & Young : les pratiques non-conformes à la loi ou à l’éthique sont aujourd’hui moins nombreuses dans les entreprises en France qu’il y a dix ans.

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