François Hollande promet de diviser par deux le nombre d’élèves décrocheurs, OK. Mais comment ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un enfant qui ne prend pas le train dès les premières semaines de CP a de fortes chances de décrocher.
Un enfant qui ne prend pas le train dès les premières semaines de CP a de fortes chances de décrocher.
©Reuters

Décrochage

François Hollande a réaffirmé jeudi lors de sa conférence de presse à l'Elysée vouloir réduire de moitié le nombre d'élèves en situation de décrochage scolaire. Mais quels sont les outils à mettre en place pour y parvenir ?

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Le président souhaite diviser par deux le nombre d’élèves touchés par le décrochage scolaire. Le projet est ambitieux mais réaliste pourtant il n’existe pas une seule recette valable sur le plan national. Il va falloir tenir compte des terrains, travailler sur plusieurs leviers, à tous les étages de la scolarité… et admettre que l’école ne peut pas tout faire toute seule. 

Diviser par deux le phénomène du décrochage scolaire est à portée de l’institution scolaire à moyen terme et les annonces connexes de mise en place d’une formation professionnelle digne de ce nom et d’un nombre plus élevé de professeurs face au même nombre d’élèves ne peuvent aller que dans le bon sens. Mais ne nous trompons pas, il sera plus aisé et plus « rentable », comme pour beaucoup d’autre problématiques sociétales, de prévenir que de guérir tant les remédiations mises en place à l’adolescence sont complexes et éprouvantes. C’est donc dès la maternelle qu’il faut agir et en cela : le gouvernement précédent avait tiré une bonne ficelle en reconnaissant toute l’importance de ces deux, trois ou quatre ans passés à l’école avant l’entrée en CP avec la mise en place d’inspecteurs « maternelle ». Le reste n’avait hélas pas suivi. L’expérience montre que les scolarités chaotiques sont liées à des causes précoces, notamment la qualité de l’apprentissage de la lecture. La mise en place des cycles, dans les années 80, avait postulé la possibilité d’apprendre à lire sur les trois années allant de la grande section de maternelle au CE1. La réalité du terrain montre que la qualité des pré-requis à la lecture a une très grande importance. A quoi sert d’apprendre à lire ? Comment apprend-t-on à lire ? Ces questions ont souvent, aujourd’hui très peu de réponses chez un enfant de six ans à son entrée en CP et se traduisent par peu d’investissement dans un processus qui réclame beaucoup de travail et d’effort. Et on sait qu’un enfant qui « ne prend pas le train » dès les premières semaines de CP a de fortes chances de penser que l’école n’est pas faite pour lui, de devenir potentiellement décrocheur. Il faut former, oui, sérieusement. Si l’on compare en effet deux professions de niveaux de salaires similaires dans la fonction publique, les professeurs des écoles et les infirmières, on perçoit l’abîme qui existe entre leurs cursus de formations respectifs.

Mais quelle que soit la formation, elle ne sera jamais complète tellement la diversité des profils d’élèves s’est multipliée au cours des années. Il est terminé ce temps, que les quinquagénaires ont connu, où école et familles se cautionnaient mutuellement pour pousser conjointement les enfants dans les apprentissages. Les rapports sont devenus plus complexes, les frictions plus fréquentes, les parcours des élèves plus difficiles. Il est très difficile pour un enseignant de solutionner seul un décrochage scolaire et ce dès les plus petites classes. L’élève décrocheur est un élève qui fait souvent « mal » à la petite collectivité de la classe. Soit qu’il ne dise rien, soit qu’il rende les conditions d’enseignement si difficiles qu’au final, en plus de décrocher, il porte préjudice à l’ensemble de la classe. Il est important qu’un enseignant, quel qu’il soit, ne soit pas seul face à ce type d’élèves, qu’il puisse compter à la fois sur sa hiérarchie et sur ses collègues. Le décrochage scolaire est un phénomène sociétal, il doit être traité par la société, à défaut, la société de l’école. Il a existé, dans le primaire et la maternelle, il existe toujours mais en nombre désormais trop restreint, des personnels spécialisés, aptes à se pencher sur des parcours individuels d’enfants décrocheurs et à proposer des solutions alternatives efficaces incluant l’action et la collaboration des parents. Ces personnels se réduisent comme peau de chagrin et quand bien même, on en forme toujours, leur cursus de formation a été réduit de moitié voici quelques années. Et encore, n’existent-ils plus après l’école primaire. Ces questions liées au comportement, à l’appétence pour les savoirs, à la synergie avec les familles ont pris de plus en plus de poids au fil des ans et beaucoup de professeurs se perdent, à tous les niveaux, à tenter d’obtenir des conditions propices à l’enseignement, réduisant d’autant les temps de travail. A quelque chose malheur est bon, le décrochage scolaire n’est jamais une surprise et les signes avant coureurs permettraient d’anticiper le phénomène à condition bien sûr que les personnels soient formés, présents et répartis là où les besoins sont les plus prégnants.

Une école de bons élèves ?

On pourrait se dire que l’école s’exonère de toute remise en question en arguant du comportement ou du peu d’appétit des élèves pour l’école. Certes, si l’école est le seul endroit où l’enfant doive faire des « efforts », si elle est le seul endroit où il subisse des « frustrations », il y a de fortes chances pour qu’il la vive comme un « mauvais objet ». Pour autant, on reproche souvent à l’école de dispenser un enseignement pour « bons élèves ». Ce n’est pas faux. Il est vrai que les enfants de professeurs ont statistiquement les meilleurs résultats. Réfléchir sur cet axe est devenu indispensable. Trop d’abstraction, trop de théorisation, trop de déconnexion au réel rend abscons un enseignement auquel ne vont souscrire que des enfants disposant d’un contexte familial et éducatif proche de celui de l’école. Là encore vont intervenir les besoins d’une formation permettant à l’enseignant de cerner un public d’élèves qui va évidemment varier en fonction des lieux d’enseignement et la nécessité également du personnel spécialisé qui fait aujourd’hui gravement défaut dans de nombreux secteurs géographiques rendant ainsi inégalitaire l’accès au savoir sur le territoire de la République.

Le sens et l’autonomie

Sens et autonomie sont deux facteurs largement en défaut dans les profils des décrocheurs scolaires et même, à divers degrés, sur l’ensemble des élèves. Il existe certes dans le décrochage ces éléments visibles que sont les comportements ou les ennuis de certains élèves.Peu de sens sur l’apprentissage et ses finalités, peu d’espoir dans ce que pourra leur apporter dans la vie le fait de fréquenter l’école et d’apprendre, peu de confiance dans cette institution pour avoir dès la sortie, le soir, l’exemple d’une école qui n’a pas permis de trouver socialement une place, sont des facteurs devenus largement présents. Mais également autonomie par rapport au savoir et à son propre cursus d’élève. L’enseignement souvent, ne « pénètre » pas, reste en surface et les divers tests pratiqués montrent plus d’aisance des élèves à répéter ou reproduire mécaniquement des savoirs et des techniques sans en avoir compris le sens ni les avoir intégrés suffisamment pour les utiliser dans un processus de recherche ou d’expérimentation. Dans ce « surfaçage » réside une partie de la dégringolade des élèves français dans les différentes enquêtes européennes. Il revient à l’institution de réfléchir à la manière dont elle transmet savoirs et savoir-faire pour parvenir à une mise en sens des apprentissages qui permette à l’élève de passer du savoir répéter au savoir réfléchir.

Et ce que l’école ne peut pas faire…

On touche là aux paramètres de la société moderne, aux caractéristiques bien connues des enfants d’aujourd’hui : l’école ne peut pas se charger de l’éducation, apprendre aux enfants les règles de la bienséance et du vivre ensemble. On lui reproche souvent de ne pas savoir se recentrer sur les fondamentaux, elle ne le peut pas toujours. Appelons un chat un chat : l’école ne peut pas intervenir sur les heures de couchers souvent tardives des enfants, sur les doses abracadabrantes de télévisions et de jeux vidéo, sur la violence des programmes et des jeux, sur cette manière qu’ont les chantres de la société de consommation de véhiculer l’image de l’enfant ou du jeune tout puissant qui en remontre à ses parents et aux adultes à longueur de publicités. L’école ne peut pas non plus restaurer des foyers familiaux en détresse, solutionner les problèmes de travail, de logement, de fins de mois, toute ces misères modernes qui interviennent bien évidemment dans la construction de l’enfant et ceci, avant même qu’il ne rentre à l’école maternelle.

L’école dans un ensemble

S’il est louable et possible de vouloir diviser par deux le nombre d’élèves décrocheurs, s’il est réaliste de penser que l’éducation est un paramètre important de cohésion, de richesse et de sauvegarde du modèle démocratique, vouloir le réaliser dans un contexte de crise chronique est illusoire. Au-delà des besoins en personnels, des réorganisations à envisager, des réflexions à mener pour la formation et les finalités du système éducatif, l’école n’est que l’un des rouages de l’ouvrage en cours. Mais surtout, elle propose aux enfants ce que l’on appelle des « modèles identificatoires », des chemins de vie. Et pour qu’ils séduisent nos enfants, il faut qu’ils soient suffisamment puissants pour s’imposer parmi tous les autres modèles identificatoires qui proviennent des adultes qui entourent l’enfant aussi bien dans la vie réelle que dans le monde médiatique et virtuel devenu omniprésent, quand ce n’est pas oppressant. Pourquoi réduire de moitié et pas totalement ? L’objectif éducatif ne sera rien sans une réflexion globale sur l’enfance et la cohésion de l’ensemble des structures ayant un rôle éducatif. 

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