Élection au Medef : quels enjeux pour les 5 candidats ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"La France a besoin d’un Medef dirigé par un homme qui ait une véritable expérience du marché."
"La France a besoin d’un Medef dirigé par un homme qui ait une véritable expérience du marché."
©Reuters

Points sensibles

La course est officiellement lancée pour la présidence du Medef : depuis le 3 mai, les noms des 5 hommes qui veulent succéder à Laurence Parisot sont connus. Ils seront réunis mardi par Sophie de Menthon. Quelles sont les 6 questions cruciales à leur poser ?

Michel  Drancourt,Éric Verhaeghe et Denis Jacquet

Michel Drancourt,Éric Verhaeghe et Denis Jacquet

Michel Drancourt est journaliste et docteur en économie, il a mené une longue carrière de patron d'industrie et de délégué de l'Institut de l'entreprise. 

Éric Verhaeghe est diplômé de l'Ena, ancien Président de l'Apec (l'Association pour l'emploi des cadres) et fondateur du cabinet Parménide.

Denis Jacquet est entrepreneur (Edufactory), investisseur (Entreprise et conquête) et président de Parrainer la croissance, une association d'aide aux PME pour rechercher la croissance.

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Atlantico : Pierre Gattaz, Patrick Bernasconi, Geoffroy Roux de Bézieux, Thibault Lanxade et Hervé Lambel. Les 5 candidats à la présidence du Medef sont officiellement en course. Quels sont les profils de ces personnages et dans quelle mesure représentent-ils des visions différentes du patronat et de son rôle ?

Michel Drancourt : Le favori Pierre Gattaz est un candidat que l’on pourrait qualifier de « complet ». Il s’agit en effet d’un homme ayant une véritable expérience de patron d’entreprise personnelle, mais aussi d’une expérience américaine qui lui a donné le « sens du monde » et qui est déjà très engagé dans les organisations professionnelles. Geoffroy Roux de Bézieux, quant à lui, bien qu’étant un homme qui tient la route de par ses solides expériences professionnelles, sera peut-être victime d’une plus faible connaissance des systèmes d’organisations patronales. De son côté, Patrick Bernasconi semble se tenir relativement en retrait de la campagne en comparaison de ses adversaires. Il possède une solide position professionnelle mais son profil d’« ex-lieutenant » de Laurence Parisot pourrait très fortement le desservir car il représente la prolongation d’un règne très discutable. Enfin, Thibault Lanxade et Hervé Lambel sont des personnages relativement discrets, peu connus du grand public, et même de ceux qui s’intéressent à ces élections. Cela ne veut pas dire pour autant que ces candidats n’existent pas, ou n’ont pas de vision, mais reste qu’on ne les connait pour l’instant presque pas. Difficile ainsi de d’analyser leur vision du patronat alors que les parcours des autres nous donnent une idée relativement claire de l'« école de patronat » à laquelle ils appartiennent.

Le CNPF (Conseil national du patronat français), ancêtre du Medef, a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale afin d’être un interlocuteur facilitant la reconstruction d’une France exsangue. Comment son rôle a-t-il évolué  depuis ?

Michel Drancourt : Dans un système français où les pouvoirs publics cherchent toujours à avoir des partenaires qui sont des organisations, le patronat joue aujourd’hui un rôle de syndicat véritable. C’est-à-dire qu’il est essentiellement un interlocuteur commun entre les patrons et les pouvoirs publics, ce qui est d’ailleurs encore plus vrai au niveau régional qu’au niveau national. Les organismes patronaux, ou équivalents, y sont souvent efficaces et dévoués. On pourrait donc dire que le Medef est passé d’un rôle de leadership à celui d’une assemblée en regroupant essentiellement les patrons qui se sentent investis d’un rôle plus important que le simple fait de diriger leur entreprise.

Pour comprendre comment le Medef pourrait évoluer, il faut avant tout regarder comment les entreprises elles-mêmes évoluent. Nous avons eu récemment un exemple intéressant de cette évolution à travers Schneider Electric. En effet, son président est installé à Hong Kong et l’entreprise se compose de responsables régionaux relativement autonomes vis-à-vis du pouvoir central de l’entreprise, qui est lui-même divisé en trois parties, en France, aux Etats-Unis et donc à Hong Kong. Cette évolution doit donc être prise en compte, tout en se rappelant que la technologie moderne nous permet d’avoir des entreprises très décentralisées sans pour autant que les patrons de filiales puissent cacher quoi que ce soit. Le Medef a bien su saisir cette dimension internationale puisque d’une part, il représente les entreprises purement régionales qui ont besoin d’un syndicat au sens strict du terme et d’autre part, il représente les entreprises qui structurent notre économie et qui, quelle que soit leur taille, ont nécessairement une dimension mondiale.

Depuis l’affrontement assez violent des 35h, les relations entre le gouvernement et les pouvoirs publics semblent apaisées. Qu’en est-il vraiment ? La gauche au pouvoir est-elle nécessairement en conflit avec la patronat ?

Michel Drancourt : Il ne me semble pas que les relations soient très différentes de ce qu’elles ont toujours été. La méfiance du monde de l’entreprise envers celui de la politique est toujours la même bien qu’elle soit tempérée par notre modèle français de dialogue social qui passe par le biais de structures bien précises. Il reste malgré tout le problème de la pertinence de la représentation au niveau national de certaines entreprises qui ont un esprit international. En effet, il serait peut-être bon que les organisations patronales européennes, qui existent déjà bien qu’on en parle très peu, prennent un peu plus part au débat en France et dans les autres pays de l’Union européenne afin que cette réalité des grandes entreprises puisse entrer ne ligne de compte.

Sur la question de la gauche, le patronat commence à s’y habituer et ne peut faire autrement que de faire avec. Rappelons tout de même que dans la théorie, la social-démocratie n’est pas opposée à l’entreprise et le marxisme est devenu presque inexistant dans notre pays.  

D'aucuns dénoncent le fait que le Medef soit aujourd'hui tourné vers la grande entreprise au détriment des PME. Cela a-t-il toujours été le cas ?

Michel Drancourt : C’est un faux débat car la réalité est que le monde de l’entreprise vit essentiellement de très grandes entreprises qui en font travailler d’autres. S’il n’y avait pas en France, et ailleurs, de grandes entreprises pour structurer l’économie, les petites auraient beaucoup plus de mal à fonctionner. Ainsi, bien que les PME soient très importantes et que la notion de libre entreprise soit fondamentale, il ne faut jamais oublier que ce ne sont pas tellement elles qui font fonctionner notre pays. Et ceci est une constante depuis l’ouverture générale des frontières européennes et internationales car si nous vivons dans une illusion de France Etat-nation, l’Etat n’est plus ce qu’il était et cela n’est pas sans influence sur les entreprises.

De quel Medef la France aurait-elle besoin aujoud’hui ?

Michel Drancourt : La France a besoin d’un Medef dirigé par un homme qui ait une véritable expérience du marché, qui soit capable d’impulser une dynamique qui ne soit pas celle de la dépendance étatique et des financements publics. Il nous faut un Medef d’entrepreneurs, de créateurs d’entreprises, prêts à prendre des risques, qui cherchent des bénéfices issus d’un marché dont ils connaissent la réalité, capable de comprendre que leur activité ne dépend pas uniquement de la France, et une fois encore qui n’attendent pas après l’Etat pour gagner de l’argent.

La fin du règne de Laurence Parisot est l’occasion pour le Medef de se transformer afin de répondre à une réalité économique et sociale en proie à de nombreuses crises. La défiance généralisée envers les politiques, le monde financier voire la démocratie met le syndicat des patrons français devant de nombreux défis. Voici quelques questions auxquelles le nouveau patron du Medef devra répondre.

1. François Hollande avait fait de la finance son ennemi, quelle place y a-t-il pour celle-ci dans le capitalisme français et donc dans le patronat ? 

Eric Verhaeghe :Le Medef de Laurence Parisot était largement dominé par la banque, et par la personnalité hors norme de Michel Pébereau. Le syndicat patronal a de ce fait porté pendant huit ans une vision essentiellement financière du capitalisme français: faible intérêt pour la défense de l’industrie française (sauf la grande industrie), silence complet sur les délocalisations, dont la cause est majoritairement attribuée par le Medef à la fiscalité nationale, panne sèche d’idées sur le financement du tissu de PME innovantes dont chacun sait qu’il détermine le retour à la prospérité.  

Laurence Parisot a complètement passé sous silence le rôle cataclysmique des banques dans la perte de compétitivité des entreprises françaises: accès au capital trop cher, et déstabilisation du marché par l’incompétence des banquiers qui sont aussi ses électeurs favoris. Le Medef n’a manifestement rien eu à redire face aux milliards engloutis par les banques dans des placements hasardeux en Grèce, en Espagne ou à Chypre, et qui sont in fine payés par le renchérissement massif du crédit pour les PME.

D’une manière générale, le Medef s’est tout à fait accommodé d’une économie en crise, où l’accès au capital est totalement intermédié par les banques et les sociétés de gestion. Des initiatives comme le crowdfunding, qui permettent pourtant de desserrer l’étau du commissionnement bancaire, ont été mises de côté, alors qu’elles constituent une véritable alternative à l’amorçage des projets par l’emprunt.

Pourtant, la place de la banque dans l’économie de demain est un sujet central: la France veut-elle poursuivre sa spécialisation dans l’industrie financière? Ou bien veut-elle développer un tissu de petites et moyennes industries innovantes? Si oui, dans quelles conditions? Le Medef de demain aura-t-il des idées sur le sujet? Proposera-t-il de faire une place aux innovateurs ou aux entrepreneurs? A quelles conditions financières (autrement dit, continuera-t-on le racket systématique des projets et des idées par les apporteurs de fonds?)

2. Quelle place existe-t-il pour l'Etat dans les relations sociales et industrielles ? 

Eric Verhaeghe :Le Medef de Laurence Parisot a, à l’image de sa présidente, tenu pendant huit ans une posture paradoxale: demander plus d’Etat pour pouvoir le contesterCette posture s’est souvent vérifiée dans le domaine social. Aucune grande négociation n’a eu lieu sous Laurence Parisot sans que l’Etat n’en prenne l’initiative. Ce fut vrai sous Nicolas Sarkozy, qui avait commandé les négociations sur la modernisation du marché de travail, la représentativité syndicale et la formation professionnelle (cette dernière ayant été sabordée par le Medef qui voulait préserver son financement par le biais des contributions obligatoires des entreprises au titre de la formation). Un an de Hollande a confirmé la subordination profonde du Medef à l’Etat, puisque l’accord sur la sécurisation de l’emploi résulte lui aussi d’une commande présidentielle.

Aucune des négociations dont les partenaires sociaux ont pris l’initiative n’a donné lieu à un texte majeur. Le Medef s’y est chaque fois comporté sur une ligne défensive et minimaliste, sans jamais dégager de vision d’avenir.

Dans le domaine économique, la situation n’est pas meilleure. Le Medef adore demander à l’Etat de diminuer le coût du travail, mais bien entendu ne prend jamais l’initiative de le faire dans son propre périmètre. Par exemple, sous Laurence Parisot, les retraites complémentaires (AGIRC-ARRCO) ont perdu toutes leurs réserves financières et bénéficieront finalement d’une augmentation des cotisations.

En réalité, la vision capitaliste portée par le Medef depuis huit ans est celle d’une dépendance constante vis-à-vis de l’Etat. Quelle est la position des candidats sur ce point?

3. Le Medef est-il prêt à réformer le paritarisme ?

Eric Verhaeghe :30% du budget du Medef sont issus du paritarisme (formation professionnelle, UNEDIC, APEC, etc.) C’est dire la dépendance du monde patronal actuel vis-à-vis d’un univers construit sur l’idée qu’il fallait administrer avec les syndicats des grands machins opaques au niveau national pour éviter de se faire la guerre dans les entreprises. Pendant ce temps, l’Allemagne a développé les relations sociales en entreprise et a ainsi efficacement préservé ses emplois et sa prospérité.

Le Medef est-il prêt à remettre en cause un modèle dont plus personne ne discute la nocivité, mais dont il dépend financièrement?

Le premier test sur ce point interviendra à l’automne avec la négociation sur la formation professionnelle. C’est en effet par ce biais que passe une part importante du financement des organisations syndicales, qu’elles soient patronales ou salariales. Le Medef sera-t-il capable de porter une vision novatrice sur ce sujet, en simplifiant la complexité administrative dont il tire parti (notamment par l’adhésion à des OPCA qui sont de grands pourvoyeurs de fonds pour le syndicalisme), et en diminuant les charges inutiles qui pèsent sur les entreprises (par la rétrocession d’une partie des fonds collectés aux organisations syndicales) ?

4. Le Medef souhaite-t-il achever la réforme de la représentativité ?


Eric Verhaeghe :En 2008, à la demande pressante de Nicolas Sarkozy, le Medef avait négocié la réforme de la représentativité des syndicats de salariés. Il l’a toutefois laissée inachevée, et s’est battu jusqu’ici contre toute réforme de la représentativité patronale.

Pour ce qui concerne les syndicats de salariés, le Medef a laissé en suspens la question d’un seuil minimum de cotisations dans le budget global des organisations syndicales. A l’époque, il avait été question de refuser la représentativité aux syndicats de salariés dont les cotisations représentaient moins des 2/3 des ressources globales (personnels mis à disposition compris). Cette mesure supposait une réforme en profondeur du financement des syndicats, afin de le rendre transparent. Sujet oublié par le Medef depuis 2008...

Pour ce qui concerne la représentativité patronale, le Medef est-il prêt à se soumettre lui-même à une mécanique susceptible de vérifier sa représentativité effective auprès des entreprises, par rapport à d’autres syndicats patronaux?

5. Peut-on espérer la fin du désamour entre le Medef et l'innovation ?

Eric Verhaeghe :Le Medef est probablement le mouvement patronal qui s’intéresse le moins, par rapport à ses concurrents internationaux, à l’innovation. Le prochain président du Medef est-il prêt à en faire l’un de ses chevaux de bataille?

Le Medef semble en effet s’être très peu intéressé depuis plusieurs années à ce qui agite le patronat allemand ou le patronat américain: la promotion de l’innovation. A côté de la spectaculaire proposition de la National Association of Manufacturers intitulée "Croissance", qui propose quatre objectifs pour faire des Etats-Unis le meilleure endroit au monde pour investir. L’un des quatre objectifs s’appelle: «faire des industriels les innovateurs les plus avancés du monde, les propositions du Medef semblent bien pâlichonnes. En dehors du traditionnel: «baissez les charges», le Medef ne propose rien, en tout cas avec le volontarisme des patrons américains.

Innovez, c’est peut-être ce qui manque au Medef aujourd’hui. Et c’est probablement ce qu’on attend de son futur président. Qu’il montre l’exemple.

6. Quelle place existe-t-il au Medef pour les PME ? 

Denis Jacquet : Cette élection est peut-être enfin l'opportunité d'adapter le dialogue social à la réalité d'un monde seul porteur d'emplois nets, comme c'est le cas depuis dix ans, celui des PME. La question est donc de savoir si défendre les grandes entreprises et ses "patrons" a un intérêts et un sens en 2013. Le Medef pourrait, dans la logique de prendre mieux en compte l’intérêt des PME, se doter d'un dirigeant provincial, au moins la prochaine fois, plutôt qu'un représentant parisien, comme toujours, dont les référents culturels, et relationnels sont si éloignés de la réalité du quotidien des PME. Quel intérêt de maintenir dans ce cas, et dans ce cas uniquement, deux meilleurs ennemis sachant que le retour du Medef à une politique PME rendrait stérile la présence de deux syndicats. La croissance reviendra en France le jour où les grandes entreprises seront incitées à aider les petites à grandir, pour cela il faut une unité de lieu et un financement rééquilibré.

De la défense ou non des PME, qui pourtant sont souvent si bien représentées dans les Medef territoriaux, dépend la liste des questions que je me poserais en ce qui concerne le Medef:

  • Le paiement et la répartition de la formation professionnelle, qui doit irriguer massivement les PME en quête de croissance et d'évolution.

  • La négociation des seuils qui enferment nos entreprises dans un effet de taille stérile et castrateur.

  • L'implication plus volontariste sur l'international afin de passer d'une fonction assez touristique à une efficacité conquérante.

  • La participation des salariés au capital des entreprises afin d'en assurer à la fois un meilleur soutien, une plus grande stabilité capitalistique et en faire une source nouvelle de dialogue social. 

  • Une rapide et urgente question d'allongement de la durée de travail des salaries afin de régler le problème de l'équilibre du régime des retraites et par là, la question de la vie professionnelle des seniors et de leur formation et adaptation au monde des PME, seules capables de leur offrir le prolongement nécessaire de leur vie professionnelle.

Enfin, la présence de candidats entrepreneurs est rassurante, mais il ne faut pas qu'ils promettent trop, car on ne bouge pas une institution pareille en un tour d'élection, en revanche il faut mettre la mécanique en route dès l'élection de celui qui sera choisi. En tous cas, les candidats présents donnent envie et confiance, a priori. L'élimination de St. Gelure, une bénédiction. Comment pouvait-il et pouvait-on imaginer un apparatchik parler d'entrepreneuriat... !! Vive la défaite de l'ego et de la cupidité !

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