Berlusconi condamné à 4 ans de prison : Pourquoi il n'ira jamais derrière les barreaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Silvio Berlusconi a vu confirmée mercredi dernier par la Cour d’appel de Milan sa peine de 4 ans de prison pour fraude fiscale
Silvio Berlusconi a vu confirmée mercredi dernier par la Cour d’appel de Milan sa peine de 4 ans de prison pour fraude fiscale
©REUTERS/Giampiero Sposito

Arrête-moi si tu peux

Silvio Berlusconi a vu confirmer mercredi dernier par la Cour d’appel de Milan sa peine de 4 ans de prison pour fraude fiscale. Toute fonction publique lui est également interdite pendant 5 ans. Cependant, un pourvoi en cassation qui laisserait courir l’affaire jusqu’à ce qu'il y ait prescription pourrait lui permettre d'échapper à la prison.

Atlantico : Silvio Berlusconi s’est vu confirmer mercredi dernier par la Cour d’appel de Milan sa peine de 4 ans de prison pour fraude fiscale. Toute fonction publique lui est également interdite pendant 5 ans. Ira-t-il bien en prison ? Si non, pourquoi ? 

Christophe Bouillaud : A ce stade, il est extrêmement peu probable qu'il aille jamais en prison. D'une part, sur le plan judiciaire stricto sensu, le jugement d'appel peut encore être cassé par la Cour de cassation, et cela prendra au moins jusqu'à l'automne avant que cette instance rende une décision; et, par ailleurs, S. Berlusconi cherche aussi à faire annuler l'ensemble de cette procédure en raison de l'hostilité  - qu'il cherche à démontrer  - des juges milanais (en général) à son égard. D'autre part, avec la toute récente formation du gouvernement d'union nationale sous la direction du jeune post- démocrate chrétien Enrico Letta, le "Peuple de la Liberté" (PdL) de S. Berlusconi siège de nouveau directement au gouvernement, et constitue une part indispensable de la nouvelle majorité parlementaire (en particulier au Sénat). Si la magistrature cherchait à tenter quelque chose d'inédit contre S. Berlusconi, on peut supposer, soit que le gouvernement d'union nationale  émette un décret-loi d'application immédiate pour "sauver Berlusconi" - comme cela s'est fait depuis les années 1980 il faut bien le dire à chaque fois que la magistrature le dérangea trop... -, soit que le gouvernement Letta explose immédiatement:  l'on se dirigerait alors droit vers des élections anticipées où S. Berlusconi ferait appel au "peuple" contre les magistrats scélérats et liberticides. Au vu des sondages actuels et au vu de l'état du "Parti démocrate" (PD), il est en plus bien possible qu'il gagne une solide majorité dans les deux Chambres, et qu'il essaye alors d'en finir une bonne fois pour toutes avec les "juges rouges". Je ne crois pas du coup que ces derniers aient trop intérêt à l'escalade, d'autant plus que le public italien a surtout envie de sortir de la crise économique. Le feuilleton des affaires judiciaires de S. Berlusconi n'intéresse sans doute plus grand monde.

Condamné trois fois en première instance en 1997 et 1998, pour un total de 6 ans et 5 mois de prison ferme, il a depuis été acquitté ou a bénéficié de la prescription. En permanence sur la corde raide, comment se débrouille-t-il pour à chaque fois échapper de justesse à la justice ?

Pour comprendre pourquoi S. Berlusconi a échappé dans une certaine mesure aux conséquences judiciaires de ses actes, il faut bien comprendre que tout ce dont on l'a accusé au fil des années correspond à ce qu'on appelle à de la "criminalité en col blanc". Cette criminalité des hommes d'affaires (fraude fiscale, concurrence faussée, faux bilan, etc.) se trouve dans la plupart des systèmes judiciaires contemporains bien plus difficile à réprimer que la criminalité ordinaire. Il va de soi qu'il est plus facile de trouver les preuves pour condamner un voleur de scooters que celles nécessaires pour condamner par exemple un fraudeur fiscal un peu subtil dans sa démarche. En Italie, ce trait général de la justice en matière de "criminalité en col blanc" est encore accentué par la procédure judiciaire d'une lenteur et d'une complexité déconcertantes. Même dans la seule affaire qui concerne actuellement S. Berlusconi qui sorte de la criminalité en col blanc, celle qui lui est intentée pour avoir fait appel aux services d'une prostituée mineure, on se rend compte de la complexité du procès à l'italienne. Une affaire qui serait audiencée sur une semaine (et encore...) en France peut prendre des semaines, des mois, en Italie. Il faut bien sûr ajouter que S. Berlusconi n'a jamais négligé d'avoir de forts bons avocats...

Par ailleurs, S. Berlusconi a compris depuis les années 1980 que la meilleure manière d'échapper à une décision de justice défavorable est encore de faire changer la loi qui le condamne par un homme politique ami. Dans les années 1980, c'est Bettino Craxi, alors Président du Conseil, qui va sauver son empire télévisuel naissant par une série de lois, alors que déjà la magistrature lui cherchait noise. Son entrée en politique en 1993-94 est souvent interprétée comme le résultat de sa peur de perdre tout appui politique : en entrant en politique, S. Berlusconi décidait de se faire son propre protecteur, contre une magistrature qu'il a toujours considérée, au pire, comme prévenue contre lui ou, au mieux, comme ne comprenant rien aux nécessités des affaires. Pour comprendre son état d'esprit à l'égard de la justice, il faut se rappeler qu'il a déclaré que les magistrats sont des "malades mentaux".  Quand S. Berlusconi est au pouvoir entre 2001 et 2006, il multiplie les lois spécialement faites pour lui sauver la mise judiciaire. On a alors parlé en Italie de lois ad personam. Cela n'a pas été sans effet sur ses affaires judiciaires en cours.

Même s’il est assuré de ne pas se retrouver derrière les barreaux, Silvio Berlusconi a-t-il encore un avenir politique, et sous quelle forme ?

Si je puis me permettre, S. Berlusconi est déjà dans son avenir politique! En effet, qui aurait parié en novembre 2011 qu'il serait encore au centre de la politique italienne au printemps 2013? Pas moi en tout cas! Il commence à faire penser à ces monstres de jeux vidéos ou de films de science-fiction qu'on croit bêtement avoir tué, et que, non, finalement, rien n'atteint. Sa campagne électorale de ce mois de janvier-février 2013, basique avec sa promesse d'abolir la taxe immobilière sur la résidence principale, a été une réussite, en ce qu'elle lui a permis de garder un pouvoir d'obstruction au Parlement. Il finit aujourd'hui par être indispensable à l'existence de tout gouvernement italien. Le Président de la République, Giorgio Napolitano, a été réélu à 87 ans pour un second mandat, uniquement parce qu'il est "Berlusconi-compatible". Le jeu continue donc de plus belle pour S. Berlusconi. Son parti est ressoudé autour de lui, et la politique économique du gouvernement Letta va être obligé de tenir compte des demandes de l'électorat berlusconien pour espérer durer. 

La grande question qui demeure alors dans la politique italienne va être de se demander comment s’accommoder d'un Berlusconi encore là. Berlusconi a répété à maintes reprises qu'il ne veut pas partir en exil pour échapper à la magistrature. Il ne veut pas finir comme son ami Bettino Craxi à Hammamet en Tunisie. Il veut aussi laisser son empire économique à ses enfants. Il faut donc trouver un moyen de rendre toute action de la magistrature contre sa personne et ses intérêts inopérante. Le temps peut aider, mais peut-être faudra-t-il trouver autre chose. Au point d'absurdité où la politique italienne en est arrivée, il ne reste peut-être plus qu'à couronner l'ensemble de l’œuvre de S. Berlusconi par son élection à la Présidence de la République... J'ose espérer que nos amis italiens trouveront une autre solution que mon hypothèse  provocatrice.

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