Steve Jobs : les secrets d'un patron qui écoutait son cœur plutôt que les études de marché <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Steve Jobs, co-fondateur et ancien P.-D.G. d’Apple, fut celui qui a le plus efficacement recouru au principe jugaad consistant à "suivre son coeur".
Steve Jobs, co-fondateur et ancien P.-D.G. d’Apple, fut celui qui a le plus efficacement recouru au principe jugaad consistant à "suivre son coeur".
©Reuters

Bonnes feuilles

Des entrepreneurs en Inde, en Chine, au Brésil ou en Afrique parviennent à transformer les contraintes en opportunités et à faire plus avec moins grâce à un nouveau mode de management de l'innovation, "l'innovation Jugaad". Le livre que Navi Radjou cosigne avec Jaideep Prabhu et Simone Ahuja en explique les grands principes. Extrait de "L'Innovation jugaad. Redevenons ingénieux !" (1/2).

Navi Radjou,Jaideep Prabhu et Simone Ahuja

Navi Radjou,Jaideep Prabhu et Simone Ahuja

Navi Radjou, français d’origine indienne, est consultant en innovation et leadership, basé dans la Silicon Valley. Membre du World Economic Forum, il est aussi co-auteur de From Smart To Wise.

Jaideep Prabhu est professeur titulaire  de la chaire Jawaharlal Nehru en business et management indien et directeur du centre for India & Global business à la Judge Business School de l’université de Cambridge.

Simone Ahuja a créé Blood Orange, cabinet de conseil en marketing et en stratégie basé à Minneapolis et à Mumbai et spécialisé en innovation dans les pays émergents.

Voir la bio »

Steve Jobs, co-fondateur et ancien P.-D.G. d’ Apple, fut peut-être celui qui a le plus efficacement recouru au principe jugaad consistant à « suivre son cœur ». Jobs a bousculé l’ industrie de l’ électronique grand public à plusieurs reprises, d’ abord avec l’ iPod et l’ iTunes, puis avec l’ iPhone et plus récemment avec l’ iPad. Mais Apple ne s’ est pas appuyé sur des études de marché approfondies pour concevoir et lancer l’ iPad. Sans doute pour le mieux, étant donné que de nombreux consommateurs, analystes et experts des médias étaient convaincus qu’ il n’ y avait pas de marché pour ce produit. Mais Jobs avait un talent incroyable pour déchiffrer le marché et il était bien connu pour sa capacité à anticiper les besoins des consommateurs sans trop compter sur les prévisions des analystes ou des groupes de test.

Plus important encore, Jobs s’ appuyait davantage sur le pouvoir émotionnel de son entreprise, mesuré par les retours d’ expérience de ses consommateurs, que sur son pouvoir intellectuel, mesuré par le nombre de brevets déposés. Il est ainsi révélateur qu’ Apple ait été classée par Booz & Company en 2010 au 81ème rang des entreprises pour l’ importance des dépenses de R&D. En pourcentage de son chiffre d’ affaires, la société consacre un cinquième de ce que Microsoft dépense en R&D. Pourtant, Apple domine le monde des affaires en termes de valeur de marque (brand value), et, dans la même étude, était considérée comme l’ entreprise la plus innovante du monde. Cette réussite est à mettre au crédit de Steve Jobs, et en particulier à trois qualités dont il a toujours su faire preuve, tout au long de sa carrière chez Apple.

Jobs était intuitif

Steve Jobs a toujours été un rêveur qui lisait l’avenir de la technologie bien avant ses concurrents, et ses consommateurs. Il laissait son intuition identifier les opportunités majeures et les moyens de les saisir (fait intéressant, selon Walter Isaacson, son biographe, Jobs aurait appris à faire confiance à son intuition lors d’ un voyage introspectif en Inde en 1974). Grâce à elle, il a réussi à façonner de tout nouveaux marchés et ensuite à les dominer, et ce de façon répétée. Par exemple, quand il est retourné chez Apple en 1997, après une absence de douze ans, il a rencontré un peu par hasard un concepteur nommé Jonathan Ive. Ive était abattu parce que sa dernière invention, un moniteur monobloc qui avait toutes les fonctions d’ un ordinateur intégré, avait été rejetée par les managers d’ Apple qui la considéraient comme trop avant-gardiste. Mais Jobs fut immédiatement séduit par l’ invention d’ Ive. Il y voyait l’ avenir. Il promit à Ive qu’ ils allaient s’ engager dans un partenariat de long terme qui allait changer le monde de l’ informatique pour toujours. Ive fut nommé plus tard au rang de responsable de la conception chez Apple. Cette invention, que Steve Jobs a contribué à mettre sur le marché, était le iMac.

Parce qu’ il a toujours suivi son intuition, Jobs n’ a jamais cherché à faire valider ses décisions, que ce soit par des actionnaires ou par des consommateurs. Dans une interview du magazine Inc. en 1989, Jobs disait : « Vous ne pouvez pas demander aux consommateurs quels sont les produits qu’ ils veulent et ensuite essayer de les leur fournir. Le temps que vous fabriquiez le produit désiré, ils vous demanderont déjà quelque chose de nouveau. » Jobs pratiquait en fait « l’ innovation orientée consommateur » aiguillonnée par l’ intuition, plutôt que l’ innovation menée par le client et façonnée par la rationalité.

Jobs était empathique

Steve Jobs n’ a jamais eu à écouter attentivement les utilisateurs finaux pour comprendre leurs besoins. En s’ identifiant pleinement à eux, il se considérait lui-même comme le premier et plus important client d’ Apple. Et il était souvent un consommateur du futur plutôt que du présent. Ceci l’ a aidé à concevoir des expériences utilisateur sublimes pour se faire plaisir à lui, encore plus qu’ aux autres. En effet, il semble avoir passé toute sa carrière à essayer de répondre à ses propres besoins en tant qu’ utilisateur de technologie, plutôt qu’ à penser et agir comme le font la plupart des concurrents d’ Apple. On pourrait appeler cela de l’ autoempathie ou de la compassion autocentrée.

Jobs était obsessionnellement passionné

Steve Jobs n’ était pas seulement un leader passionné, il était aussi un passionné obsessionnel. Il était obsédé par le fait de séduire ses consommateurs avec des produits étonnants mariant simplicité d’ utilisation et performances techniques exceptionnelles, généralement perçus comme des produits destinés exclusivement aux consommateurs haut de gamme. Sa passion sans bornes pour l’ excellence poussait les employés d’ Apple à se dépasser et à répondre à ses attentes. Le perfectionnisme de Jobs est inscrit dans les principes de développement des produits d’ Apple, tels que le « Pixel Perfect Mockup » (maquette au pixel près) (tout prototype doit être conçu d’ une façon hyper réaliste pour être aussi proche que possible du produit final) ou le fameux « 10 to 3 to 1 » (pour chaque nouvelle fonctionnalité, les ingénieurs d’ Apple créent sans restriction dix maquettes entièrement différentes, puis réduisent leur nombre à trois, et finissent par s’ accorder sur une version finale)38. Bien sûr, les détracteurs de Steve Jobs pensaient que sa passion pour l’ excellence frôlait la folie (le marbre destiné au sol de l’ Apple Store de New York aurait d’ abord été livré à son bureau en Californie afin qu’ il puisse en examiner les veines). Mais, comme le dit l’ adage, la différence entre le génie et la folie, c’ est le succès.

En 2005, dans son discours aux nouveaux diplômés de l’ université de Stanford, Jobs déclarait : « Vous ne pouvez pas relier les points de manière prospective. Vous ne pouvez les raccorder qu’ en les examinant de manière rétrospective. Vous devez donc croire qu’ ils se connecteront éventuellement un jour dans le futur. Vous devez avoir confiance en quelque chose, votre instinct, le destin, la vie, le karma, peu importe, parce que croire que ces points se connecteront un jour sur le chemin vous donne la confiance nécessaire pour suivre votre coeur, même quand cela vous mène parfois hors des sentiers battus, et c’ est cela qui fera toute la différence. »

Tim Cook, le successeur de Steve Jobs, est plus orienté sur le suivi opérationnel, compte tenu de son expérience dans la logistique, et il semble plus préoccupé par la gestion du présent que par la prédiction de l’ avenir. Cependant, Cook est peut être justement ce dont Apple a besoin à présent que les qualités d’ empathie et d’ intuition de Steve Jobs ont gagné par contagion des milliers d’ innovateurs jugaad passionnés chez Apple. Pour aider ces employés à canaliser leur ingéniosité en vue de façonner l’ avenir de l’ informatique tout en conservant l’ héritage de Jobs, Apple a besoin d’ un leader qui soit solidement ancré dans le présent. Tim Cook pourrait précisément être cette personne.

Conclusion

Les innovateurs jugaad tels que Kishore Biyani et Steve Jobs ont vraiment « des tripes », à bien des égards : ils ont le courage et la volonté de prendre des risques, ils font confiance à leur intuition et sont passionnés par ce qu’ ils font, convaincus qu’ ils poursuivent une cause supérieure.

Suivre son coeur, siège de l’ empathie, son intuition et sa passion constitue le dernier des six principes que suivent ces innovateurs. Mais pour qu’ une entreprise puisse être en mesure de mettre en oeuvre l’ approche jugaad de l’ innovation, il ne suffit pas qu’ elle suive ces principes. Comme nous l’ exposons dans le chapitre suivant, pour adopter cette approche, les dirigeants d’ entreprise doivent comprendre quels changements sont nécessaires dans leur organisation mais aussi au niveau des individus.

Extrait de "L'Innovation jugaad. Redevenons ingénieux " (Les Éditions Diateino), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !