Pourquoi croire que l'avenir de l'emploi se résume aux PME innovantes est une fâcheuse erreur d'analyse (et de calcul)<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a focalisé son discours économique sur les PME innovantes.
François Hollande a focalisé son discours économique sur les PME innovantes.
©Reuters

Droit dans le mur

François Hollande souhaite renforcer l'aide aux PME en offrant un amortissement fiscal sur 5 ans pour les entreprises prêtes à rentrer au capital d'une petite structure.

Gilles  Saint-Paul,Francis Kramarz et Olivier Bouba-Olga

Gilles Saint-Paul,Francis Kramarz et Olivier Bouba-Olga

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

Francis Kramarz est économiste, spécialiste des questions d'emploi et du marché du travail.

Professeur à l'école Polytechnique et l'ENSAE, il est également directeur du Centre de recherche en économie et statistique (CREST).

Olivier Bouba-Olga est professeur des Universités en Aménagement de l'Espace et Urbanisme à la Faculté de Sciences économiques de Poitiers et chargé d'enseignement à Sciences-Po Paris (premier cycle ibéro-américain). 

Il a notamment développé la thématique du « Made in Monde » qu’il oppose régulièrement à celle du Made in France.  

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Atlantico : François Hollande souhaite, suite à ses annonces sur l'entrepreneuriat, renforcer l'aide aux PME en offrant un amortissement fiscal sur 5 ans pour les entreprises prêtes à rentrer au capital d'une petite structure. Cette focalisation sur les "PME innovantes" semble sous-entendre qu'elles sont l'avenir de l'emploi. Qu'en est-il dans les faits ?

Olivier Bouba-Olga Sans juger du dispositif, qui peut avoir son intérêt, on observe souvent une focalisation excessive sur ce critère de taille des entreprises. Avec des effets de mode : souvenez-vous que dans les années 1980, dominait le "small is beautiful", en référence au modèle italien du district industriel. Aujourd’hui, c’est plutôt les ETI qui sont à l’honneur, modèle allemand oblige.

Or, d’autres critères comptent, notamment l’appartenance à un groupe. Il y a peu à voir entre une PME indépendante et une PME de groupe. L’INSEE a d’ailleurs revu récemment sa définition de l’entreprise pour mieux en tenir compte. Résultat : les grandes entreprises (plus de 5 000 salariés) emploient non plus 14% de l’ensemble (ancienne définition), mais 28% (nouvelle définition). Symétriquement, ce sont les PME indépendantes dont le poids baisse le plus, passant de plus de 40% des salariés à moins de 30%.

Reste que les grandes entreprises savent mieux profiter des dispositifs (CIR, Pôles de Compétitivité, ...) ce qui multiplie les effets d’aubaine. Traiter les problématiques des PME indépendantes est donc important.

Gilles Saint-Paul : Les PME ne sont ni plus ni moins l’avenir de l’emploi que les autres entreprises. Et si l’on observe souvent que les PME ont des problèmes de rentabilité, cela signifie qu’elles ont un potentiel de croissance et de création d’emploi réduit. Il n’y a pas de raison a priori de vouloir corriger cet état de fait en subventionnant spécifiquement les PME. Cela revient à réallouer les ressources à travers la fiscalité des entreprises les plus productives vers les moins productives, ce qui est inefficace économiquement. Et il faut garder à l’esprit que bien des mesures de cette sorte, bien que soutenues par une rhétorique volontariste, sont en fait le résultat d’activités de lobbying peu soucieuses de l’intérêt général. Cependant, il est exact que les PME sont bien plus vulnérables au durcissement des réglementations du travail, de la fiscalité du capital, ou à l’augmentation du SMIC, car il leur est plus difficile d’optimiser leur situation sur le plan légal et fiscal et de délocaliser leurs activités. Les cadeaux que vient de leur faire M. Hollande doivent être interprétés comme une compensation visant à apaiser les patrons de PME plutôt que procédant d’une conviction que les PME sont le fer de lance de l’économie.

Francis Kramarz : La recherche des économistes qui travaillent maintenant sur des données d'entreprises issues de nombreux pays, France, États-Unis, Angleterre... démontre plusieurs "faits". Les entreprises les plus productives le sont dès le début de leur vie. Ces entreprises productives vont en moyenne innover, exporter, créer des emplois. A contrario, une entreprise peu productive ne le devient pas après un changement de direction, économique ou de gouvernance. Ainsi, les entreprises qui ont réussi (les grandes entreprises d'aujourd'hui) ont été au moment de leur lancement souvent efficaces, sur un bon créneau, avec un bon produit, de bons salariés, de bons managers. Et d'ailleurs, contrairement à l'idée répandue, à l'image d’Épinal, il y a de multiples façons d'innover et non la seule innovation technique ou technologique.

Un produit innovant peut l'être face une concurrence locale, peut correspondre à une idée commerciale, une façon de traiter ses clients nouvelle. Ce peut être un nouveau service, informatique mais aussi un nouveau mode de transport collectif. Toutefois, les entreprises les plus grandes sont en moyenne destinées à décroître, laisser la place à de nouvelles entreprises. Car ces entreprises plus anciennes ont du mal à se réformer, à attirer les projets du futur... ou en tous cas c'est ainsi que cela se passe dans les économies qui fonctionnent normalement, où les entreprises en place n'ont pu construire de défenses non économiques (politiques, législatives...) et où le marché du crédit aux entreprises fonctionnent au bénéfice de tous (entrants, comme entreprises plus anciennes).

N'en oublie-t-on pas de dire que des secteurs plus "classiques" (automobile, sidérurgie...) sont aussi créateurs d'emplois ?

Olivier Bouba-Olga :Le critère du secteur, comme celui de la taille, a son intérêt et ses limites. On est obnubilé en France par l’industrie, au détriment des services, alors qu’ils sont, sur tout le volet services aux entreprises, inextricablement liés. 

Dans l’industrie, on se concentre trop sur les secteurs de haute technologie, alors que les gisements d’innovation, essentiels pour la croissance et l’emploi, sont partout, y compris dans les secteurs dits de basse technologie. Plutôt que de chercher la bonne taille ou le bon secteur, il convient surtout de favoriser l’innovation. Mais, là encore, attention à ne pas survaloriser l’innovation technologique au détriment des autres formes d’innovation, tout aussi essentielles.

Gilles Saint-Paul : En réalité les secteurs industriels classiques sont malheureusement plutôt destructeurs d’emploi car les gains de productivité y sont structurellement élevés grâce au progrès technique, et ceci est le cas indépendamment de la taille des entreprises que l’on considère.

Francis Kramarz : Les secteurs ne sont pas créateurs d'emplois. Ce sont les entreprises qui les créent. Zara ou H&M en sont un exemple dans un secteur sinistré comme le vêtement. Même lorsque la croissance d'un secteur est positive, cette croissance masque une dispersion des trajectoires individuelles qui défie l'entendement. Et personne ne peut deviner les entreprises qui marcheront demain, surtout pas les hommes politiques. Même les professionnels dont c'est le métier de financer la croissance de telles entreprises ont beaucoup de mal et pour une réussite connaissent beaucoup d'échecs. Certainement, souhaitons le en tous cas, une entreprise automobile française créera de nombreux emplois. Mais, est-ce que ce sera Peugeot, Renault, ou une entreprise dont ni vous ni moi n'avons jamais entendu parler ? Je crois plus à la troisième possibilité.

Quels secteurs créeront donc demain le plus d'emplois ?

Gilles Saint-Paul :Il n’y a pas besoin de s’appeler Mme Irma pour réaliser que les métiers de la santé et plus généralement ceux liés au vieillissement de la population sont appelés à se développer. En ce qui concerne les biens exportables, la question est plus complexe car les avantages comparatifs de la France sont mal cernés et ces secteurs sont exposés à des incertitudes sur la compétitivité.

Francis Kramarz : Clairement, les chiffres démontrent que plus les pays sont riches plus la part des emplois de services est grande. De ce point de vue l'Allemagne est plus une exception que la règle. Et la santé, les services aux entreprises ou aux personnes seront les secteurs où plus de gens travailleront demain qu'aujourd'hui.

N'y a t-il pas par ailleurs un grand malentendu sur le principe d'innovation en oubliant qu'elle se trouve dans toutes les franges de l'économie (grands groupes, secteurs publics...) ?

Olivier Bouba-Olga : La DARES a réalisé un exercice très intéressant de quantification de l’évolution de l’emploi à l’horizon 2020 non pas par secteur mais par métier. Le nombre de postes à pourvoir devrait se maintenir à un niveau élevé, mais, premier élément intéressant, pour une bonne part en raison des départs en fin de carrière (600 000 par an).

Ce sont les emplois les plus qualifiés qui progressent le plus, mais pas seulement : les emplois dans le domaine des services aux personnes également, en raison notamment des besoins liés au vieillissement de la population. Départ en fin de carrière, services aux personnes âgées, bien sûr très liés : c’est le rôle de la démographie dans la dynamique économique qu’il convient au final de réhabiliter !

Gilles Saint-Paul : Le vrai problème est que l’effet des incitations à l’innovation sur la productivité est très difficile à mesurer. Toutes les entreprises sont prêtes à profiter de crédits d’impôt recherche mais les statistiques sur les dépenses de Recherche et Développement ne nous renseignent absolument pas sur l’effet net de ces subventions sur la croissance et le bien-être.

Francis Kramarz : Malheureusement (ou heureusement, je ne sais), il n'y a pas de malentendu. Même si de grands groupes voire le secteur public sont susceptibles d'innover, c'est la concurrence, la compétition qui est le principe moteur de l’innovation (sous toutes ces formes, comme je l'ai dit plus haut), et partant de là, de la création de richesse. Or, les grands groupes sont de par leur taille plus protégés de la concurrence, moins réactifs (en général, bien sûr). Et la fonction publique, et c'est une réforme qui peut être envisagée, pourrait aussi bénéficier des bienfaits de la concurrence pour contrôler ses coûts, améliorer la qualité de ses services. Les Suédois l'ont fait... peut être arriverons nous à faire de même un jour.

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